Dans Là-bas, il n’y a plus de rivière, Hanna Krall recueille les témoignages des rescapés juifs polonais de la Shoah pour qu’ils racontent leur histoire où celle de leurs proches qui ont disparu dans cet enfer. Avec des petits morceaux de textes, elle reconstitue la vie et la disparition de tout un peuple de juifs pieux et fatalistes.
« Racontez-moi une histoire. Une vraie… importante… sur quelqu’un ou bien la vôtre… », demande Hanna quand elle termine ses interviews et qu’elle a débranché son micro. Alors ces survivants de la shoah, juifs polonais souvent hassidiques, qu’elle rencontre aux quatre coins de la planète lui confient leur histoire, celle de ceux qui ne sont pas revenus, celle de leur famille ou celle qu’ils ont vue ou entendue.
Un livre de témoignages de rescapés juifs polonais de la Shoah
Mais, il est difficile de parler de ces événements qu’ils ne peuvent pas oublier, qu’ils ne peuvent pas ranger dans les placards de leur histoire, qui hantent leurs jours mais surtout leurs nuits. Alors pour raconter il faut du temps, les mots sortent de la bouche par bribes, par fragments, comme ces morceaux d’histoires qu’Hanna essaie de rassembler comme les pièces d’un puzzle pour reconstituer seize histoires, seize témoignages, sur la vie de ces juifs pieux et fatalistes qui s’en remettent à Dieu et à ses rabbins pour échapper à la tenaille qui les broient entre les mâchoires nazies d’un côté et communistes de l’autre.
Des souvenirs évanescents, des images ancrées dans la mémoire, des photos passées, des objets égarés, quelques reliques pieusement recueillies, des ossements exhumés, des cendres à disperser, toutes cette matière qu’Hanna recueille pour faire revivre le peuple juif de Pologne et raconter sa disparition en près de deux cents petits morceaux de récits que le lecteur assemble pour reconstruire l’histoire de ce peuple martyre. De la douleur, de la souffrance, de l’émotion, de la culpabilité, de la réticence, qu’il faut accepter pour comprendre que chacun a eu son histoire et que la vérité n’est pas une, ni livresque. Elle est dans le cœur de chacun.
A travers ces témoignages, nous pouvons voir ces juifs pieux et soumis, durs au travail, assidus dans leurs affaires pour construire des familles solides et nombreuses pour perpétuer le peuple d’Israël dans ces terres de Pologne, mais pas forcément très fidèles en amour. Nous pouvons voir aussi comment ce peuple a été rayé de la carte, «l’histoire des juifs de Tykocin était terminée » dit un témoin, avec une brutalité et une bestialité difficilement imaginable. Hanna accuse les Allemandes et notamment ceux du 101° Bataillon de Hambourg qui ont exécuté froidement, sans état d’âmes des centaines de juifs en y prenant même un certain plaisir.
Et dans ces témoignages reviennent comme toujours la mémoire des disparus, les raisons pour lesquelles ils sont disparus, la vie de ceux qui sont revenus et surtout pourquoi et comment ils sont sortis des camps, les justes qu’on sanctifie et ceux qu’on a oublié, comment vivre après ? où tracer la ligne entre les bourreaux et les martyres ? Toutes questions qui n’ont pas de réponses car comme dit Hanna, « je n’essaye pas de percer le secret de ceux qui ont survécu. »
Et c’est l’histoire de certains de ces gens qui sont morts pour rien et d’autres qui doivent maintenant vivre avec, vivre sans, essayer de vivre sans, oublier, essayer d’oublier, se souvenir pour que les autres n’oublient pas, souffrir en silence, vouloir la vengeance, chercher à comprendre ou tout simplement nier ce qui a été…
On pourrait en tirer un film dit Hanna, « mais sur quoi au juste ? Sur le châtiment ? Le hasard ? Dieu ? »