Jadis, l’île de Christmas abritait des crabes rouges. Dorénavant, elle croule aussi sous le flot de requérants d’asile.
En l’espace d’un an, la vie y est devenue un véritable cauchemar. Que s’est-il donc passé? Il n’y avait que trois réfugiés birmans qui déambulaient paisiblement sur la route poussiéreuse. Entourés par la jungle, ils me firent un petit signe amical.
En 2006, l’île de Christmas était un paradis pour les crabes. Les quelques visiteurs amoureux de la nature y venaient pour les observer – ils sont des millions –, plonger parmi des coraux de toute beauté et se balader dans les sentiers du parc national, qui couvre 80% de la superficie de cette île minuscule située dans l’océan Indien.
Au mois de novembre, des millions de crabes rouges quittent la jungle pour aller s’accoupler au bord de l’océan. Ce phénomène, appelée la grande migration, demeure sans réponse. Pendant un mois, la moitié des routes de l’île sont fermées. Les habitants ont appris à vivre avec ces millions de crabes qui envahissent tout, y compris les douches, les toilettes, les lits et les penderies.
L’île est isolée des principaux centres urbains australiens. Perth est à 2600 kilomètres au sud. L’avion coûte une fortune. L’Indonésie est plus proche, Djakarta n’est qu’à 900 kilomètres.
Jusqu’en mars 2009, un litre de lait coûtait quatre euros dans l’unique supermarché, tenu par des Chinois. Il y avait des chambres libres dans les motels, les touristes se pâmaient sur les crabes rouges, la vie s’écoulait paisiblement.
Maintenant, il faut débourser sept euros pour le lait. Il n’y a plus une seule chambre de libre sur toute l’île. Les touristes ont disparu. L’ancienne morgue dans laquelle je dormais et sirotais du vin rouge sur la terrasse a été réquisitionnée par un VIP de Canberra, la capitale de l’Australie.
Que s’est-il donc passé ?
Au 1er janvier 2010, Christmas croule littéralement sous les requérants d’asile. Ils sont environ 1500 et leur nombre dépasse maintenant celui des habitants d’origine. Leur présence pose un problème épineux pour le Gouvernement du premier Ministre travailliste, Kévin Rudd.
Un gros problème.
Leur nombre s’explique par le ténébreux centre de détention pour requérants d’asile, planté au milieu de la jungle et entouré par des barbelés belliqueux. Le centre fut construit au début de la guerre en Afghanistan, en 2002. Terminé en 2007, il a coûté la somme de 300 millions d’euros. Le Gouvernement d’alors, dirigé par le conservateur John Howard, appliquait à la lettre la politique dite de la « solution Pacifique ». Une politique intransigeante mais claire : tout requérant d’asile serait d’abord filtré dans les îles Christmas, dépendant du territoire australien, mais aussi sur la petite île de Nauru et de Manus, en Papouasie-Nlle Guinée.
Le message du gouvernement était limpide : Pas question que ces requérant d’asile foulent le sol australien avant d’avoir clairement établit leur statut véritable de réfugiés. Pour un temps, l’aspect rébarbatif du centre de détention de l’île de Christmas a freiné les ardeurs des chercheurs d’une vie meilleure.
Mais le Gouvernement travailliste a jugé qu’une politique plus souple serait plus conforme à son idéologie. Résultat : cette générosité a provoqué un appel d’air sans précédent et les boat-people ont commencé à affluer en masse dès le mois de mars 2009.
La plupart de ces requérants d’asile proviennent d’Irak, d’Afghanistan, du Sri Lanka et, dans une moindre mesure, du Myanmar. Des passeurs indonésiens, sous couvert de solidarité envers les frères musulmans, les envoient dans des rafiots pourris tenter la traversée.
Ceux qui échappent à la faim, à la soif, à la noyade et aux requins, se retrouvent parqués dans ce centre qui n’arrive même plus à les loger décemment.
Les contribuables australiens s’étranglent de rage en lisant la facture. Il faut 180’000 euros pour loger, nourrir, vêtir et filtrer un seul requérant d’asile pendant trois mois.
Mais les insulaires, en majorité des Malais, des Chinois et des Blancs, tous Australiens, en ont aussi ras-le-bol.
Marre de voir que les touristes ont disparu. Marre de voir que les chambres des motels sont maintenant toutes occupées par des bureaucrates chargés de s’occuper des requérants d’asile (au frais du contribuable). Marre de voir que les prix augmentent sans cesse, marre de voir que seuls les fonctionnaires peuvent se payer un journal à cinq euros ou un kilo de salade à trente euros. Marre de voir les écoles surpeuplées.
En décembre 2009, le gouvernement a alloué 45 millions d’euros pour améliorer le système de traitement des eaux usées, qui menaçaient de rendre l’âme sous le flot de cette population.
En l’espace d’un an, l’île est passée de 1200 habitants à quelque 4000. Et ce n’est pas fini. Le flot des requérants ne tarit pas, le flux de fonctionnaires ne se réduit pas. Face à la pénurie de logement, le Gouvernement a promis d’acheminer des tentes à air conditionné ou des caravanes normalement utilisés par des mineurs dans le désert australien.
Cette crise pousse les habitants, les natifs de l’île, à plier bagage. La vie, naguère si paisible, devient un enfer.
L’opposition – la même qui soutenait la « solution Pacifique » — tire à boulets rouges sur le Gouvernement. Ils voudraient transférer le centre sur le « continent ». Les organisations de défense des requérants d’asile plaident pour une solution humaine et digne et, curieusement, s’allient pour un temps avec l’Opposition. Pour le moment, le Gouvernement refuse.
La gestion de requérants d’asile sur une île ne fonctionne pas. Pendant des années, l’île de Lampedusa et les Canaries en ont toutes les deux fait les frais. Actuellement, elles ne reçoivent plus de requérants d’asile en provenance d’Afrique, l’Europe ayant fermé le robinet d’accueil.
Mais la misère est comme la nature. Elle a horreur du vide. L’Australie s’en rend compte aujourd’hui.
Face au désespoir qui pousse des millions de gens en quête d’une vie meilleure demeure cette douloureuse et lancinante question : que fait-il faire ?