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Le livre des vins rares ou disparus : Flacons oubliés et vins de légende

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Avec son format oblong (dit « à l’italienne ») et, en couverture, la reproduction d’un tableau du XVIIe siècle de Lubin Baugin au centre duquel un verre dévoile, en transparence, la robe délicieusement ambrée de ce que l’on devine être un nectar, ce livre ne ressemble à aucun autre.

Son titre attise la curiosité, l’amateur, moins intimidé qu’intrigué, se demande ce qu’il recèle ; consciemment ou non, il pressent que sa lecture s’apparentera à une initiation. Et il aura raison. Le Livre des vins rares ou disparus (Bartillat, 208 pages, 20 €) de Robert de Goulaine en est à sa troisième édition, et il suffit de le savourer (car tel est bien le mot qui convient) page après page pour comprendre les raisons de ce succès.

L’auteur ne cherche pas à proposer un guide supplémentaire sur un marché déjà saturé ; ses avis ne feront pas la réputation d’un vigneron, pas plus qu’ils ne la détruiront d’ailleurs ; en outre, aucun producteur ne tentera, à sa lecture, de modifier la personnalité de ses vins pour lui complaire. Car les vins dont il est ici question relèvent de l’exception et, parfois, de la légende, ce qui ne signifie pas pour autant que leurs prix ( pour ceux d’entre eux qui existent encore) seront forcément inaccessibles. En revanche, ils offrent une personnalité et une qualité qui les éloignent de tous les produits standardisés, lesquels, aujourd’hui, remplissent les rayons des supermarchés et de bien d’autres boutiques.

Le voyage auquel nous convie Robert de Goulaine ressemble – il le dit lui-même – à un « vagabondage » autour du globe. Avec pour bâton de pèlerin une belle érudition, un humour souvent décapant et une parfaite connaissance de son domaine, il nous invite à une école buissonnière du vin qui, comme toutes les écoles buissonnières, sait réserver sa part de rêve. Nous partons ainsi sur les traces du mythique tokai de Hongrie, l’Aszù Essenzcia, du Constancia d’Afrique du Sud, dont il ne reste pratiquement de trace que dans les œuvres d’Alexandre Dumas et de Baudelaire, du vin Jaune du Jura, que l’on peut facilement se procurer et qui, si l’on ne veut pas le déguster pour lui-même, fera merveille sur une volaille aux morilles ou un vieux Comté.

En Champagne, il sera question, non de bulles industrielles, mais du Bouzy et du rosé de Riceys ; l’auteur nous conduira encore chez des vignerons d’Allemagne, de Belgique (mais oui !), de Suisse, de la vallée du Rhône. Avec lui, nous visiterons l’Italie pour son recioto della valpolicella, une variété d’amarone « au parfum de rose fanée », l’Espagne, le Bordelais, les Etats-Unis et nous irons même jusqu’aux latitudes les plus improbables, au Canada, afin d’y découvrir des vins confidentiels, comme ce vin de glace, issu d’un raisin dont les grappes sont récoltées avant le lever du jour, par une température descendant parfois jusqu’à -18°C. Tout aussi surprenants, mais bien plus faciles à dénicher, nous serons confrontés au Clos Cristal, un Saumur-Champigny (dont je reparlerai dans une prochaine chronique) qui faisait les délices de Clémenceau, ou au Château Musar, excellent vin libanais que me fit un jour goûter un homme d’affaires anglais dont la cave n’avait rien à envier à celle d’un relais gastronomique.

Chaque chapitre traite d’une région du monde, les intitulés ouvrent de belles perspectives : Casaque jaune et botte de paille, L’or du Rhin, Dieu est peut-être belge, La Loire secrète, etc. Les domaines y sont décrits, avec leur histoire, leurs cépages, leur mode de vinification et, naturellement, leurs flacons égarés dans la seule mémoire des initiés. Au passage, l’auteur livre des anecdotes savoureuses, donne des avis parfois fort tranchés, mais toujours argumentés et brosse le portrait des vignerons, car, derrière ces bouteilles étonnantes, se dissimule le travail discret d’hommes et de femmes réunis par l’amour de leur métier. Dans ce livre, on ne rencontrera aucune concession aux modes, pas plus qu’aux caprices du marketing. Enfin, loin de se présenter comme un traité technique dont la lecture serait complexe et sèche, Le Livre des vins rares ou disparus est écrit d’une plume alerte et, pour tout dire, réellement littéraire. J’en veux pour preuve ce court extrait, où l’humour le dispute à la gastronomie :

« […] mais avec une truite au bleu, un Steinberger d’année récente, en provenance d’un terrain schisteux de l’ancien monastère d’Eberbach, sera le plus approprié. En retirer la peau d’un geste délicat (après avoir gobé les joues), afin de mettre à nu la chair à peine rosée de la bête, exige un doigté comparable à celui qu’il faut pour déshabiller une vierge. Certes, les truites sont d’élevage par les temps qui courent et les vierges authentiques, trop peu nubiles pour qu’il soit permis de les effeuiller sans offenser les mœurs ; cela ne change rien aux données fondamentales de l’opération. »

Il faut être un fin connaisseur pour évoquer aujourd’hui la truite au bleu, sans doute la meilleure et la moins répandue des façons de cuisiner ce poisson. Elle nécessite que l’animal soit fraîchement assommé avant cuisson pour que sa peau conserve son mucus – car c’est ce mucus qui, sous l’effet d’un court-bouillon vinaigré, virera au bleu et donnera à ce plat son aspect unique. Il faut l’être encore davantage pour conseiller au lecteur de gober les joues de la truite, toujours ignorées ou oubliées, voire méprisées, alors qu’elles en sont, incontestablement, la partie la plus subtile.

Nombreux sont les animaux dont les joues réjouissent le palais ; morceaux de choix chez le bar et la daurade grillés ou cuits en croûte de sel, ces joues deviennent un plat de résistance si l’on peut s’en procurer de lotte ou de cabillaud (notamment préparées dans une sauce crémée au pineau blanc des Charentes). Quant aux viandes, rien ne peut égaler la joue de bœuf pour réaliser un bourguignon, un pot-au-feu ou un bœuf aux carottes (elle y sera goûteuse et fondante à souhait), sans négliger la joue de porc, délicieuse accompagnée d’une sauce à l’orange sanguine relevée d’un soupçon de gingembre frais.

Recueil de chroniques gourmandes présentées comme une chasse au trésor, ce livre est avant tout celui d’un passionné. Il invite le lecteur à chiner dans les œnothèques et, bien davantage encore, à parcourir les terroirs pour tenter d’exhumer quelques bouteilles afin de les partager, un jour, avec de vrais amateurs.

Illustrations : Vermeer, Le Verre de vin (vers 1660, Staatliche Museen, Berlin) – Le Caravage, Bacchus (vers 1597, Galerie des Offices, Florence).

Thierry Savatier
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