Louvre Lens est une antenne du musée du Louvre, souvent baptisée Louvre II. Le musée de Louvre Lens a été créé selon un concept original, puisqu’il s’agissait de faire émerger un grand musée moderne au coeur des friches industrielles du Nord Pas de Calais.
Destination Louvre Lens. Il pleuvait, ce vendredi 1er février ; en arrivant à Lens (40 minutes de train depuis Lille), je renonçai donc au parcours pédestre aménagé pour prendre l’une des navettes gratuites qui relient la gare au musée. Sur le trajet jusqu’à Louvre Lens, qui traverse en partie la ville, des boutiques fermées, à vendre ou à louer, de nombreux immeubles aux fenêtres et portes murées, témoignent d’une cité minière autrefois prospère, qui peine toujours à se remettre des restructurations industrielles.
Depuis l’ouverture du Louvre Lens, on a beaucoup écrit dans les milieux professionnels, souvent davantage pour critiquer ce projet que pour en louer la réalisation. Des voix plus ou moins autorisées, attachées à une forme de conservatisme, de parisianisme, voire de paternalisme, se sont élevées contre cette initiative – la palme de la cuistrerie consternante revenant sans doute à un quotidien d’Outre-Manche où l’on pouvait lire : « Les musées britanniques ne doivent surtout pas suivre l’exemple du Louvre en envoyant certains chefs d’œuvre de leurs collections dans de nouvelles succursales implantées dans des régions pauvres et négligées ». Traduisez : « inutile d’offrir aux gueux et aux péquenauds l’accès aux chefs-d’œuvre de l’art, inutile surtout de nous forcer à partir en expédition dans un lointain Ploukistan pour aller les contempler »…
Louvre Lens, un défi de la modernité à relever
En dépit de ces esprits gris, force est de constater que le défi d’installer un grand musée moderne au cœur de friches industrielles a été fort bien relevé. Le bâtiment de Louvre Lens, construit sur un ancien terril plat, d’une sobriété contemporaine et janséniste, avec ses murs d’aluminium poli et son lumineux pavillon central de verre, s’intègre bien à l’environnement existant. Il intimidera moins le visiteur néophyte (les plus jeunes, notamment) que les façades et les lambris dorés des grands musées traditionnels. Car tel est bien le but de cette nouvelle institution : offrir au plus large public un accès facile à un art qu’il n’aurait pas spontanément abordé autrement ni ailleurs. Les musées ne sauraient aujourd’hui réserver leurs espaces à une élite ; ils ont un rôle social et pédagogique de premier plan à remplir.
Suivant une prévention propre aux historiens, j’avoue que j’avais éprouvé quelques réticences lorsque j’avais appris que les œuvres occidentales et orientales partageaient, dans ce musée, le même espace à Louvre Lens. Mais je dois faire amende honorable, la « Galerie du temps », longue de 120 mètres sans aucune cloison, m’a très vite convaincu de la pertinence de ce choix original, qui répond au désir exprimé par Stefan Zweig dans les années 1930 de mettre en lumière une histoire des cultures de l’humanité dans leurs évolutions.
Louvre Lens : un carrefour entre connaisseurs et néophytes
Sans doute est-il impossible de livrer au public, en 205 œuvres, une vision complète, sinon exhaustive, d’une production artistique s’étendant de la Mésopotamie au milieu du XIXe siècle français ; pour autant, les catégories les plus représentatives se trouvent réunies là, sous le regard de visiteurs appartenant à deux groupes socioculturels distincts qui cohabitent sans difficulté.
D’un côté, les connaisseurs, venus admirer ou redécouvrir des chefs-d’œuvre qui leurs sont familiers ; ils pourront en quelques enjambées les confronter à des œuvres de cultures différentes, mais historiquement contemporaines.
De l’autre, les néophytes, qui suivent au gré de leurs sensibilités et de leur curiosité un véritable parcours initiatique, chronologique ou thématique, et peuvent interroger une équipe de médiateurs – historiens de l’art ou plasticiens – répartis dans la salle et d’un abord aisé. La scénographie proposée, fondée sur l’absence de contraintes architecturales intérieures (ni cloisons, ni salles confinées) participe à la fluidité de ce parcours. Un éclairage zénithal bien étudié permet en outre une réelle mise en valeur des pièces présentées et une frise chronologique, sur l’un des murs, indique à tout moment dans quelle période celles-ci se situent.
Ces œuvres, appartenant à toutes les catégories plastiques, peintures, sculptures, meubles, céramiques, proviennent de tous les départements du Louvre ; on y trouve ainsi, entre autres, une curieuse femme vêtue d’une robe-manteau (Afghanistan, 2300-1700 av. J.C.), une statuette représentant le démon Pazuzu (Assyrie, 800-700 av. J.C.), un sarcophage phénicien à visage féminin (Sidon, 325-300 av. J.C.), un bel hermaphrodite de marbre d’après Polyclès (vers 130-150 de notre ère), mais aussi des œuvres maîtresses plus récentes, comme le Saint Sébastien du Pérugin (vers 1490-1500), Saint Matthieu et l’ange de Rembrandt (1661), un Lion au serpent de Barye (1832) et, bien entendu, La Liberté guidant le peuple de Delacroix (1830) que tout visiteur peut apercevoir dès l’entrée de la salle et qui fit l’objet, il y a quelques jours, d’une dégradation heureusement sans conséquences.
A Louvre Lens, un pavillon de verre, auquel on accède depuis le fond de la Galerie du Temps, accueille actuellement une exposition temporaire, « Le Temps à l’œuvre », consacrée au temps, en tant que dimension perçue par l’Homme. J’avoue ne pas y avoir trouvé ce que j’y attendais, en dehors de deux superbes Saisons d’Arcimboldo. Et encore… ces tableaux, protégés par une vitrine, reçoivent tant de reflets de l’extérieur qu’il est pratiquement impossible de les apprécier. C’est dommage.
En revanche, l’autre exposition temporaire de Louvre Lens, « La Renaissance », installée dans la seconde grande galerie, offre de remarquables surprises. Ici, point l’espace ouvert toutefois sur ces 1800 m2 ; la scénographie classique reprend ses droits, avec ses cloisons aux couleurs chaudes. Et, là encore, des œuvres de premier plan se succèdent, comme le Portrait de François Ier par le Titien, celui d’Erasme de Rotterdam par Hans Holbein (1523) – à comparer avec une gravure de Dürer sur le même thème –, une Effigie de Catherine de Médicis par della Robbia (1565-1566), L’Annonciation de Raphaël (dessin), La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne de Leonard de Vinci (circa 1503-1519) ou Vénus debout dans un paysage (1529) de Lucas Cranach, une peinture sur bois qui justifierait à elle seule une visite. Objets d’art, meubles, tapisseries complètent cet ensemble cohérent.
Les curieux pourront enfin découvrir une œuvre tout à fait exceptionnelle, discrètement conservée dans une vitrine ; il s’agit d’un plateau d’accouchée en bois peint, travail de Florence durant la première moitié du XVe siècle, qui représente Le Triomphe de Vénus vénérée par six amoureux légendaires (Achille, Tristan, Lancelot, Samson, Pâris et Troïle).
Cette peinture, qui a heureusement échappé au bûcher des vanités, fait en effet preuve d’une belle hardiesse : Vénus ailée y est représentée à la manière d’un Christ en Majesté, dans un cartouche ogival (une mandorla telle qu’on en trouve dans l’iconographie chrétienne, mais qui symbolise aussi la géométrie du sexe de la femme), entourée de deux angelots aux pieds d’oiseau ; de courts rayons dorés entourent son corps comme une auréole, mais le détail le plus surprenant tient à d’autres rayons de même teinte mais beaucoup plus longs, projetés jusqu’à la face de chaque amoureux, tous agenouillés en adoration.
Ces rayons ne partent en effet ni du visage de Vénus, ni de son cœur, mais de son sexe. Image iconoclaste, insolite, d’autant plus extraordinaire qu’elle appartient au siècle de l’abominable Jérôme Savonarole, dont on sait les exactions qu’il commit contre les Florentins et contre l’Art durant son court, mais délirant gouvernement théocratique.
Cette exposition s’achève le 11 mars prochain. La politique du Louvre Lens est d’organiser chaque année des expositions temporaires d’une durée de 3 à 4 mois – la prochaine sera consacrée à L’Europe de Rubens, à partir du 22 mai. Par ailleurs, le fonds permanent de la Galerie du temps fera l’objet d’un renouvellement annuel de 10 à 15% durant les 5 prochaines années. Voilà qui permettra au public de découvrir régulièrement d’autres œuvres.
Illustrations Louvre Lens : La Galerie du temps, vue générale – Femme vêtue d’une robe-manteau (Afghanistan, 2300-1700 av. J.C.) – Hermaphrodite, d’après Polycles (130-150 après J.C.) – Lucas Cranach, Vénus debout dans un paysage (1529) – Photos T. Savatier – Le Maître de la prise de Tarente, Le Triomphe de Vénus vénérée par six amoureux légendaires (XVe siècle), photo © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi – Idem, détail, photo T. Savatier.
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