Nikola Tesla ; un génie entouré de fantasmes
Le nom de Nikola Tesla (1856-1943) apparaît fréquemment sur les pages web traitant d’électricité et d’énergie. Parfois pour rendre hommage à un grand inventeur soi-disant méconnu. Souvent pour fantasmer sur l’ « énergie libre » et autres sujets pseudo-physiques. A mon humble avis il s’agit là principalement d’un effet de la « loi de Clarke »:
« Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. » (Arthur C. Clarke).
En effet, les inventions de Tesla étaient tellement inattendues et spectaculaires à son époque qu’elles ont souvent été mal comprises du public, auréolées de mystère et perpétuées sous forme de légendes urbaines ayant abouti à de véritables mythes, dont le sommet est probablement atteint dans le film « Le Prestige ».
Aujourd’hui, d’un point de vue scientifique, il ne reste aucun mystère sur les inventions de Tesla. On sait pourquoi celles qui fonctionnent fonctionnent, et pourquoi les autres n’ont pas fonctionné.
Les réalisations de Nikola Tesla
Tesla était un inventeur, pas un théoricien. Il a déposé environ 300 brevets, plus un certain nombres attribués à Edison, son employeur d’un temps, mais pas une seule équation, principe ou théorie ne porte son nom. Même le nom de l’unité de champ magnétique est un honneur posthume.
Le génie de Tesla est d’avoir rapidement compris et appliqué les équations de Maxwell (1865) liant le champ magnétique et le champ électrique :
- en 1887 il invente la Machine électrique synchrone qui permet de transformer l’énergie électrique en énergie mécanique (moteur) ou vice-versa (alternateur). Il comprend que le courant alternatif est plus facile à transporter que le courant continu promu par Edison et s’associle à Westinghouse. Ils construisent et exploitent dès 1896, la première usine électrique industrielle, hydroélectrique, aux chutes du Niagara, qui alimente la ville de Buffalo, à 30 km de là.
- Autour de 1891, il invente sa fameuse « bobine de Tesla », un transformateur à résonance produisant de hautes tensions à haute fréquence. A haute puissance, son montage peut produire de jolis arcs électriques qui font la joie des producteurs d’effets spéciaux et l’étonnement des spectateurs depuis un bon siècle.
« Modern Thinker » de Peter Terren (aka Dr Electric) . Cliquer pour le « making of » et les précautions d’usage…
- Mais le transformateur de Tesla est surtout un émetteur radio plus efficace que celui de Hertz datant de 1887. Dès 1893, Tesla en décrit de multiples applications [1] et réalise les premières transmissions sans fil, quelques années avant Marconi. En effet, Marconi n’est plus considéré comme l’inventeur de la radio depuis 1943, date à laquelle la Cour Suprême des Etats-Unis a considéré que son brevet de 1896 n’apportait aucune invention par rapport à ceux de Tesla, Lodge et Stone, antérieurs.
- En 1897-8, Tesla construisit deux maquettes de bateaux télécommandés. Son brevet [2] contient « accessoirement » celui de la première porte logique électronique !
Parmi les nombreux autres brevets et publications de Tesla, citons le principe du radar en 1900, une pompe ou « turbine de Tesla » sans ailettes vers 1913, un avion à décollage vertical en 1928 puis une arme du type canon à particules en 1937.
Mais le plus gros projet de Tesla fut aussi son plus gros échec!
La transmission d’énergie sans fil
Il faut bien comprendre qu’avant l’invention de l’amplificateur, les émetteurs radio devaient être assez puissants pour transmettre l’énergie nécessaire à l’exploitation du signal par le récepteur, typiquement un « poste à galène« . Pour Tesla et ses contemporains, transmettre un signal ou transmettre de l’énergie, c’était kif-kif. Il n’est donc pas surprenant que Tesla ait eu l’idée de transmettre de l’énergie électrique sans fil : c’était une application logique de sa bobine, dans la ligne de sa grande oeuvre qu’est l’électrification en courant alternatif.
D’ailleurs la Tour de Wardenclyffe qu’il construisit dès 1901 avait deux objectifs : transmettre des signaux radio à travers l’Atlantique, et expérimenter la transmission d’énergie sans fil. Tesla y a installé une version surpuissante de son « magnifying transmitter » alimentée par un générateur de 200 kW.
A l’Exposition Universelle de St. Louis de 1904, un prix est offert à qui pourra alimenter un moteur de 75 watts à une distance de 30 mètres. L’objectif paraissait donc atteignable à l’époque grâce aux progrès rapides dus entre autres à Tesla. Le hic, c’est que la puissance reçue décroit comme le carré de la distance à l’émetteur. En supposant un rendement parfait dont il était très loin, l’émetteur (omnidirectionnel) de Tesla aurait théoriquement pu fournir 17 W/m² à une distance de 30m. Tesla aurait donc du fabriquer une antenne de réception parfaite d’environ 5m² pour alimenter le moteur de 75W.
Tesla était parfaitement conscient de ceci, donc il a pensé contourner la difficulté en utilisant des « ondes stationnaires terrestres » à très basse fréquence (8 Hz) qu’il a cru détecter et qu’il considérait comme sa plus grande découverte. L’idée était de mettre toute l’atmosphère terrestre en résonance électromagnétique avec sa tour, rien de moins. Et pendant plusieurs années Tesla a effectivement compris beaucoup de choses à propos de la propagation des ondes dans l’atmosphère, mais pas assez pour retenir les investisseurs qui ont retiré leur soutien à un projet qui n’avançait pas. De plus, dès 1901 Marconi avait réussi des transmissions télégraphiques transatlantiques. A partir de 1905 Tesla n’eut plus les moyens de financer son projet et la tour de Wardenclyffe fut démolie en 1917.
Pourtant il existe bien quelque chose qui ressemble aux ondes stationnaires terrestres de Tesla : les résonances de Schumann. Elles n’ont été mises en évidence que dans les années 1960, mais des calculs récents [3] montrent qu’il n’est pas possible de l’exploiter pour la transmission d’énergie. Par contre une variante envisagée par Tesla dans un autre brevet [4] serait éventuellement envisageable d’après [3], au prix d’installations titanesques.
Alors, qui a gagné le prix de St. Louis ? On peut dire que c’est la NASA, en 1975. L’ antenne parabolique de 26m de leur centre de communication avec l’espace lointain de Goldstone a été dirigée vers quelques mètres carrés de récepteurs situés sur une montagne distante de 1.5 km et réussi à transmettre une puissance de 34 kW avec un rendement de 82% [5]. L’histoire ne dit pas en combien de millisecondes les oiseaux traversant le faisceau se transforment en poulets grillés, mais c’est bien un inconvénient de cette technologie que l’on n’imagine plus que pour d’éventuelles centrales solaires orbitales. Un autre inconvénient est que cette méthode est très directionnelle : on ne transmet l’énergie que d’un point A à un point B bien précis.
Avec une transmission moins directionnelle, ce n’est qu’en 2007 qu’une équipe du MIT et de l’entreprise Witricity a réussi à allumer une ampoule de 60 watts à une distance de 2 mètres [6]. Witricity a des objectifs beaucoup plus modestes que Tesla : fournir quelques fractions de watts aux téléphones et autres petits appareils électroniques dans un bâtiment, ce serait déjà pas mal.
Et l’énergie libre ? (ou gratuite ?)
En 1893, Tesla disait dans une conférence [7]:
« Dans quelques générations nos machines seront propulsées par cette énergie disponible à tout endroit de l’univers.[…] Dans l’espace il y a une forme d’énergie. Est-elle statique ou cinétique ? Si elle est statique, toutes nos recherches auront été vaines. Si elle est cinétique – et nous savons qu’elle l’est –, ce n’est qu’une question de temps, et l’humanité aura mis en harmonie ses techniques énergétiques avec les grands rouages de la nature. » (Nikola Tesla)
C’est très beau. Mais prudent. Tesla était convaincu que l’atmosphère était remplie d’énergie électromagnétique (« nous savons qu’elle l’est »), mais il fixe tout de même un horizon de « quelques générations » pour l’exploiter, alors qu’il n’a mis que 10 ans pour lancer l’électrification industrielle de l’Amérique. De plus il envisage l’échec : « Si elle est statique, toutes nos recherches auront été vaines ». Et que ce soit dans cette conférence ou d’autres publications je n’ai jamais trouvé de référence explicite à de la « free energy », que ceci soit traduit par « énergie gratuite » ou par « énergie libre ». Tesla était un trop bon physicien pour croire aux chimères du mouvement perpétuel, contrairement à beaucoup de ceux qui le citent actuellement.
Ce qui m’étonne un peu, c’est que Tesla ne se soit pas intéressé à la lumière, alors que Maxwell avait montré qu’elle était un rayonnement électromagnétique au même titre que les ondes radio, et que Hertz avait décrit l’effet photoélectrique en 1887. Tesla aurait pu inventer le panneau solaire et se rapprocher de son objectif plus vite qu’avec la tour de Wardenclyffe…
Un mythe : la Pierce Arrow électrique de 1931
Un certains nombre de sites dont un en français [8] publient le récit d’un certain Peter Savo, qui raconte avoir roulé en 1931 avec Tesla dans une voiture Pierce-Arrow modifiée par l’inventeur. Elle aurait été propulsée par un moteur électrique connecté à un « récepteur d’énergie libre » à lampes de la taille d’un poste radio muni d’un fil d’antenne de 2m50. Ils auraient parcouru 80 km avec des pointes à 145 km/h.
Disons le tout net : ça ne tient pas debout. Selon la wikipédia, non seulement le dénommé Peter Savo n’a commencé à raconter cette histoire qu’en 1967 et n’est pas un neveu de Tesla comme il le prétend, mais aucune autre source ne corrobore ne serait-ce que l’existence de cette voiture.
Mais ce qui me range définitivement dans le camp des comploteurs de l’industrie de l’énergie qui s’acharnent à faire disparaître toute trace de l’énergie libre de Tesla, c’est l’antenne. Comme on l’a vu plus haut, un fil d’antenne de 2m50 ne peut recevoir la puissance nécessaire que d’un énorme émetteur tout proche qui aurait frit la voiture et ses passagers en quelques secondes. Et si la mystérieuse énergie n’était pas électromagnétique, alors pourquoi une antenne et des lampes à vide ?
Une De Lorean volante propulsée par un réacteur à fusion thermonucléaire alimenté à la bière me parait beaucoup plus vraisemblable.
Retrouvez tous les articles de Philippe sur son blog
Références
- Nikola Tesla « Method of and Apparatus for Controlling Mechanism of Moving Vehicle or Vehicles », 1898, U.S. Patent 0,613,809
- Nikola Tesla « On Light and Other High Frequency Phenomena« , 1893
- « TESLA ON GLOBAL WIRELESS ENERGY TRANSMISSION FOR TELECOMMUNICATIONS AND OTHER PURPOSES » With Additional Comments by Henry Bradford and Gary Peterson
- Nikola Tesla « ART OF TRANSMITTING ELECTRICAL ENERGY THROUGH THE NATURAL MEDIUMS » May 16, 1900, U.S. Patent No. 787,412
- « Goldstone Demo of Wireless Power Transmission » video sur Youtube
- Franklin Hadley « Goodbye wires!« , 2007, MIT NEWS
- Nikola Tesla « Experiments with Alternating Currents of High Frequency« , 20 mai 1891 conférence à l’Université Columbia de New York
- Igor Spajic, « La voiture à énergie libre de Nikola Tesla », revue Nexus, sur amessi.org
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