A l’occasion d’un voyage à Saint Petersbourg, découvrez Pavlovsk ou le sourire d’une nuit d’été… Le charme d’une résidence des plus séduisantes aux portes de la superbe ville de Pierre le Grand : Saint Petersbourg… Un palais impérial au caractère intime.
De tous les palais impériaux d’été qui se trouvent à quelques kilomètres de Saint-Pétersbourg, celui de Pavlovsk est l’un des plus séduisants. Moins pompeux que Tsarskoïe Selo, moins impérial que Peterhoff, il allie les charmes complémentaires d’une résidence à caractère intime et d’un parc délicieusement bucolique. Ce parc, l’un des plus grands de Russie, est traversé par la rivière Slavianka, qui se plaît à y musarder entre collines et vallons. Elaboré avec amour par ses propriétaires, il devint, au cours des décennies, une
véritable encyclopédie de l’architecture paysagère et reflète à merveille les tendances de l’art des jardins aux XVIIIe et XIXe siècles. Si le style anglais domine avec ses plans libres imitant la nature, autour du palais se déploient les parterres réguliers d’un jardin à la française, alors que les jardins privés adoptent le caractère intime des jardins à la hollandaise avec leurs plantations de tulipes, ce qui constituait une diversité très innovante et spectaculaire pour l’époque. C’est la raison pour laquelle, ce parc sera choisi pour cadre des festivités grandioses organisées en 1814, lors du retour triomphal du tsar Alexandre Ier après sa victoire sur Napoléon, à la suite de la désastreuse retraite de Russie.
Le parc est beau à toute saison, si bien que l’on a pu écrire qu’il ressemblait à une gravure en hiver, à un dessin au pastel au printemps, à une aquarelle en été et à une peinture à l’huile en hiver.
Toutefois, commençons par le commencement : l’histoire de ce palais qui se conjugue avec celui de la Russie. Construit par Catherine II en 1772, il fut offert par cette dernière à son fils Paul qui avait 23 ans et s’y installera en 1770 avec sa jeune femme, la princesse Sophie Dorothée de Wurtemberg, baptisée dans la foi orthodoxe Maria Fédorovna. Le jeune prince, très amoureux, va vivre des années heureuses en cette demeure que lui et son épouse vont meubler et embellir, jusqu’à ce que Paul succède à sa mère en 1796. Paul est un personnage complexe, tourmenté, sur qui pèse une double tragédie : la mort de son père, dont le mystère l’a troublé et ses relations très difficiles avec sa mère, qui le maintiendra à l’écart des affaires durant son règne. De son père Pierre III, il a hérité d’un visage ingrat et d’un tempérament mal équilibré. Cependant il est doué d’une grande intelligence et a reçu une excellente instruction. Il
avait 14 ans quand son père a été tué par les conjurés. Cette mort, l’usurpation du trône par sa mère qu’il voit entourée de nombreux amants, auront des répercussions sur son caractère et sur sa santé : il est nerveux, impulsif, rancunier, souffre de terribles maux de tête et de stress nerveux qui seront cause de son vieillissement précoce. Sa femme est tout son contraire : enjouée, resplendissante de jeunesse et de santé, elle est une personne captivante qui exercera une influence certaine sur son époque et donnera à Paul Ier dix enfants, dont deux empereurs : Alexandre Ier et Nicolas Ier. La nature et la qualité de son éducation l’ont dotée d’une intelligence fine et intuitive et d’admirables dons artistiques. C’est elle, principalement, qui imposera son goût raffiné à ce palais d’où émanent la féminité et la grâce. Pour cela, elle fera appel à Charles Cameron pour l’architecture intérieure, au peintre italien Scotti pour
les peintures murales, à Vincenzo Brenna pour la décoration et à bien d’autres artistes encore et prendra plaisir à distribuer les pièces de façon à y déposer avec art ses collections de faïences, porcelaines, bronzes, ses innombrables tableaux, livres et objets divers, que cette femme cultivée recherchera dans toute l’Europe avec un discernement jamais pris à défaut.
Mais les heures sombres vont sonner. Paul, ayant succédé à sa mère, n’a plus guère de temps pour résider dans sa calme retraite de Pavlovsk, ce coin idyllique dans l’esprit de Jean-Jacques
Rousseau, car ses obligations l’appellent. Il s’empressera d’ailleurs de prendre le contre-pied de la politique maternelle et commencera par changer la loi de succession au trône, imposant
la primogéniture mâle au choix libre de son successeur par le monarque régnant, qui avait failli lui coûter le trône, Catherine II souhaitant que son petit-fils Alexandre prenne
la relève à la place de son père. Par la suite, il remettra ordre et discipline dans l’armée et fera en sorte de faciliter un peu plus la vie du peuple. En effet, Paul Ier luttera contre la
dilapidation des Fonds de l’Etat, desserrera les mailles de l’administration, rendra une certaine autonomie aux allogènes, réduira les privilèges exorbitants de la noblesse et interdira la vente
des serfs sans la cession simultanée de la terre qu’ils cultivaient. Il entreprendra également de réglementer et de limiter les obligations des serfs envers leurs maîtres en proclamant en 1797
qu’ils doivent travailler trois jours pour leurs maîtres, trois jours pour eux, tandis que le dimanche est jour de repos pour tous.
Ces lois vaudront à Paul de se mettre à dos l’aristocratie qui l’accusera de se laisser influencer par l’étranger et principalement par la Prusse de Frédéric II. En 1800, il se rapproche même de
la France et considère l’ascension de Napoléon comme un gage de stabilité qui met fin aux désordres de la Révolution. Ce rapprochement exaspère l’Angleterre, d’autant qu’il s’attaque directement
à eux après l’affaire malheureuse de l’île de Malte. Tant et si bien que l’ambassadeur d’Angleterre à Saint-Pétersbourg reçoit un jour une lettre secrète avec l’ordre de tuer le tsar, mais
par les mains des conspirateurs russes. On comprend que la Grande-Bretagne préférât ne pas trop se salir les mains. Dans la nuit du 11 au 12 mars 1801, grâce à des complicités internes, des
conjurés pénètrent dans la chambre à coucher impériale et mettent le tsar en demeure d’abdiquer, ce que Paul Ier refuse. A la suite d’une confusion générale, l’empereur sera
renversé et étranglé. Le lendemain, la Russie apprendra que Paul Ier a succombé à une attaque et que son fils assure la succession sous le nom d’Alexandre Ier. Une fois encore
se justifiera la définition du régime politique russe : » Un absolutisme tempéré par l’assassinat« .
Alexandre a 24 ans quand il accède au trône. Il tient de sa mère un visage régulier, un regard clair et souriant et une haute taille. Catherine II lui a donné comme précepteur le philosophe
La Harpe qui l’a sensibilisé aux idées progressistes et au culte de la liberté. Sous son règne sera adopté un nombre non négligeable de réformes, bien qu’il faudra attendre
Alexandre II pour que disparaisse enfin l’abominable servage. Mais les Français lui doivent néanmoins quelque chose que Chateaubriand n’oublia pas de souligner dans ses Mémoires d’Outre-Tombe
* : il épargnera Paris lorsqu’il l’occupera avec son armée en 1814 en grand vainqueur des guerres napoléoniennes et aura l’élégance de ne rien piller dans les palais et les musées, cela
parce qu’il a été élevé dans le culte de la beauté et de la culture française par sa grand-mère et sa mère. Il tentera, par la suite, d’établir la paix en Europe en conformité avec les principes
du christianisme. Malheureusement la deuxième décennie de son règne sera beaucoup plus terne et l’empereur ne promulguera pratiquement plus aucune loi dans le sens du progrès. De plus en plus
insatisfait de l’existence – il gardera toute sa vie le remords de l’assassinat de son père qu’il n’a pas empêché – il cherchera la consolation dans une foi mystique qui l’incitera à
s’éloigner des vanités du monde. Monarque, ayant exercé un rôle considérable, il s’efface. C’est en novembre 1825 qu’il décède brutalement. Il n’a que 48 ans. A l’annonce de cette nouvelle, le
peuple reste dubitatif. Le bruit court qu’en réalité sa conscience lui a dicté de quitter le pouvoir pour vivre en anachorète dans la solitude et la prière et qu’il serait devenu ermite sous
le nom de Fedor Kouzmitch. Cette hypothèse s’appuie sur le désir, constamment exprimé par l’empereur de se débarrasser du fardeau de ses hautes fonctions et sur le refus d’un médecin de la cour
de signer le certificat de décès. Cent ans plus tard, l’ouverture de la tombe d’Alexandre Ier n’aidera pas à résoudre le mystère : le cercueil est vide.
Maria Fédorovna
Et qu’advint-il de l’impératrice après la mort de son époux ? Très marquée par ce drame, Maria Fédorovna va changer de style de vie dans ce palais auquel elle consacrera quarante années de sa
vie, tous ses efforts et ses talents. Terminées les marches militaires, les parades, les manoeuvres. L’impératrice réunit autour d’elle un cercle de célèbres artistes, écrivains, poètes,
musiciens et savants, organise des salons littéraires, des soirées musicales et même des expérimentations dans le domaine scientifique. Ainsi la vie et l’activité artistique du premier
compositeur russe du XVIIIe siècle, Dimitri Bortniansky, sont liées à Pavlovsk. Et bientôt la musique dominera l’existence du palais. Par la suite, plusieurs générations de
princes, de grands-ducs et duchesses vont se succéder dans le même respect de la culture et de la beauté. Hélas, presque dévasté pendant la Seconde Guerre mondiale par les
Allemands qui le pillèrent et le brûlèrent, saccageant jusqu’au parc et abattant les arbres d’essences rares pour la construction d’ouvrages
défensifs, il sera ressuscité, dès 1944, grâce aux efforts conjugués des restaurateurs, sous la conduite éclairée d’Anna Zelenova. Le travail titanesque, qui fut le
leur, a permis de rendre à la demeure et à son parc sa séduction d’antan et de réaliser ce qu’on appellera plus tard » l’exploit du siècle ».
En ces lieux où tout invite à la rêverie, nul doute que des fantômes viennent flâner dans les allées et deviser sous les ombrages, alors que chantent les rossignols et glissent les cygnes, et que
les nuits de juin, que les ténèbres ne menacent pas, posent sur le paysage leur lumière opalescente et leur sourire.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
physiquement et qui fut le vainqueur de Napoléon en 1814. Ce passage est tiré des Mémoires d’Outre-Tombe de Chateaubriand, témoin et reporter en quelque sorte. ( Tome II chez Flammarion
– édition du Centenaire, préfacée par Julien Gracq – livre quatrième – chapitre 13 : » Bonaparte avait fait injustement la guerre à Alexandre son admirateur qui implorait la paix à genoux ; Bonaparte avait commandé le carnage de la Moskova ; il avait forcé les Russes à brûler
eux-mêmes Moscou ; Bonaparte avait dépouillé Berlin, humilié son roi, insulté sa reine : à quelles représailles devions-nous donc nous attendre ? vous l’allez voir.
(… )
L’armée des alliés entra dans Paris le 31 mars 1814, à midi. L’empereur de Russie et le roi de Prusse étaient à la tête de leurs troupes. Je les vis défiler sur les boulevards. Stupéfait et
anéanti au-dedans de moi, comme si l’on m’arrachait mon nom de Français pour y substituer le numéro par lequel je devais désormais être connu dans les mines de la Sibérie, je sentais en même
temps mon exaspération s’accroître contre l’homme dont la gloire nous avait réduits à cette honte.
Toutefois cette première invasion des alliés est demeurée sans exemples dans les annales du monde : l’ordre, la paix et la modération régnèrent partout ; les boutiques se rouvrirent ; des
soldats russes de la garde, hauts de six pieds, étaient pilotés à travers les rues par de petits polissons français qui se moquaient d’eux, comme des pantins et des masques du carnaval. Les
vaincus pouvaient être pris pour les vainqueurs ; ceux-ci tremblant de leurs succès, avaient l’air d’en demander excuse. La garde nationale occupait seule l’intérieur de Paris, à l’exception des
hôtels où logeaient les rois et les princes étrangers. Le 31 mars 1814, des armées innombrables occupaient la France ; quelques mois après, toutes ces troupes repassèrent nos frontières, sans
tirer un coup de fusil, sans verser une goutte de sang, depuis la rentrée des Bourbons. L’ancienne France se trouve agrandie sur quelques-unes de ses frontières ; on partage avec elle les
vaisseaux et les magasins d’Anvers ; on lui rend trois cent mille prisonniers dispersés dans les pays où les avait laissés la défaite ou la victoire. Après vingt-cinq années de combat, le bruit
des armes cesse d’un bout de l’Europe à l’autre ; Alexandre s’en va, nous laissant les chefs-d’oeuvre conquis et la liberté déposée dans la Charte, liberté que nous dûmes autant à ses lumières
qu’à son influence. Chef des deux autorités suprêmes, doublement autocrate par l’épée et par la religion, lui seul de tous les souverains de l’Europe avait compris qu’à l’âge de civilisation
auquel la France était arrivée, elle ne pouvait être gouvernée qu’en vertu d’une constitution libre.
(…)
Alexandre ne se considérait que comme un instrument de la Providence et ne s’attribuait rien. Mme de Staël le complimentant sur le bonheur que ses sujets, privés d’une constitution, avaient
d’être gouvernés par lui, il lui fit cette réponse si connue : Je ne suis qu’un accident heureux.
Un jeune homme, dans les rues de Paris, lui témoignait son admiration de l’affabilité avec laquelle il accueillait les moindres citoyens ; il lui répliqua : Est-ce que les souverains ne sont
pas faits pour cela ? – Il ne voulut point habiter le château des Tuileries, se souvenant que Bonaparte s’était plu dans les palais de Vienne, de Berlin et de Moscou.
( … )
Le jour de l’entrée de Louis XVIII à Paris, Alexandre se cacha derrière une croisée, sans aucune marque de distinction, pour voir passer le cortège.
( … )
Alexandre avait quelque chose de calme et de triste : il se promenait dans Paris, à cheval ou à pied, sans suite et sans affectation. Il avait l’air étonné de son triomphe ; ses regards
presque attendris erraient sur une population qu’il semblait considérer comme supérieure à lui : on eût dit qu’il se trouvait un barbare au milieu de nous, comme un Romain se sentait honteux dans
Athènes. Peut-être aussi pensait-il que ces mêmes Français avaient paru dans sa capitale incendiée ; qu’à leur tour ses soldats étaient maîtres de ce Paris où il aurait pu retrouver quelques-unes
des torches éteintes par qui fut Moscou affranchie et consumée. Cette destinée, cette fortune changeante, cette misère commune des peuples et des rois, devaient profondément frapper un esprit
aussi religieux que le sien. »
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