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Quand la Joconde nous parle du temps qui passe…

la joconde

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Il est le tableau le plus visité au monde. L’une des œuvres d’art les plus célèbres. Et pourtant, combien savent que la Joconde nous parle, peut-être, du temps qui passe ? Nous proposons ici une analyse succincte de ce tableau en nous appuyant sur les réflexions de Daniel Arasse.

La Joconde – aussi appelée Mona Lisa – a été commencée en 1503 par Léonard de Vinci. Le tableau a été commandé par un certain Francesco del Giocondo, un marchand d’étoffes de Florence, qui aurait voulu faire faire le portrait de son épouse, Lisa Gherardini. Il s’agit d’une peinture à l’huile sur un panneau de bois de 77 par 53 centimètres. La commande visait sans doute, dans l’esprit de Francesco del Giocondo, à remercier sa femme de lui avoir donné un enfant – le troisième – en 1502. Invité en 1517 à la cour de François Ier, Léonard emmène avec lui la peinture qu’il n’aura de cesse de retravailler. Le portrait de la Joconde a d’ailleurs vraisemblablement été acheté par le roi de France.

mona lisa la joconde

Laissons la parole à Daniel Arasse, un célèbre historien de l’art :

« D’abord, la Joconde est assise dans une loggia, c’est-à-dire qu’il y a des colonnes de part et d’autre, sur les bords droit et gauche, jointes par le muret, derrière elle. Elle tourne le dos au paysage, qui est très lointain. Ensuite, elle est assise dans un fauteuil, je le sais uniquement parce que le bras gauche de la figure est appuyé, parallèlement au plan de l’image, sur un accoudoir. Mais cet accoudoir est l’unique trace du fauteuil, il n’y a pas de dossier, ce qui est étrange. Et puis le paysage à l’arrière-plan est curieux puisqu’il est composé uniquement de rochers, de terre et d’eau. Il n’y a pas une seule construction humaine, pas un arbre, il y a seulement dans ce paysage quasiment pré-humain un pont, et c’est cela qui m’a posé beaucoup de problèmes d’interprétation. Ce pont enjambe ce qui doit être une rivière, mais qu’on ne distingue pas. » [1]

La Joconde est donc un portrait. Au Moyen Age, ce sujet avait été complètement oublié en raison des progrès du christianisme : celui-ci, parce qu’il exigeait que l’on s’intéresse à Dieu et à l’au-delà et parce que le péché d’orgueil était condamné, a annihilé toute velléité de faire de personnes existantes les sujets mêmes d’œuvres d’art. C’est seulement aux XIVe et XVe siècles que, les progrès du naturalisme et la glorification de l’individu aidant, les premiers portraits revirent le jour.

Lisa Gherardini – puisque c’est très probablement d’elle qu’il s’agit – est représentée de trois-quarts, portant un costume sombre et couverte d’un léger voile sur sa tête. Elle se trouve devant un paysage dont les seuls signes de civilisation se limitent, au second plan, à un pont, à droite, et à un sentier, à gauche. À l’arrière-plan se trouvent des montagnes et un marécage. Le regard pénétrant et le léger sourire de Mona Lisa interpellent le spectateur.

Le visage de la Joconde est représenté d’une manière très réaliste. La précision avec laquelle sont rendus les mouvements aux coins des yeux et aux commissures des lèvres est flagrante.

Dans ce portrait, Léonard de Vinci utilise une technique appelée sfumato. Ce terme désigne une manière de « noyer les contours dans une vapeur légère » disait Diderot. Autrement dit, c’est une technique consistant à atténuer les contours en créant un effet vaporeux. Dans ce tableau, c’est ce qui permet de faire ressortir si bien la femme représentée par un contraste entre elle et le paysage vaporeux. Le sfumato est une des techniques utilisée pour créer une perspective. En effet, on lit dans L’Atelier du peintre, à propos du sfumato, ceci : « c’est avant tout une conception de la lumière considérée comme un phénomène optique qui modifie la couleur, le contour des objets et l’espace qui les environne, selon la distance qui sépare le spectateur de ce qui est représenté. »

C’est ce qui explique, dans la Joconde, le passage d’un brun verdâtre à un vert bleuté qui rejoint le ciel. Le paysage, grâce à la technique du sfumato, est représenté dans une perspective atmosphérique qui autorise la création de différents plans par la modulation des tonalités. En effet, pour Léonard, plus un objet est éloigné, moins on le distingue car plus il est petit. En outre, comme il est plus éloigné, la masse d’air qui le sépare de l’œil du spectateur est plus épaisse, donc ses contours seront moins nets et il se teintera d’azur. Enfin, son relief sera moins prononcé parce que les ombres seront moins visibles. Plus on regarde au loin dans le paysage derrière Mona Lisa, moins les contours et les objets représentés sont nets. Par exemple, le pont, à droite, est comme entouré d’une légère vapeur. Quant aux montagnes à l’arrière-plan, on distingue leurs formes mais sans plus.

De multiples interprétations du portrait ont été proposées. L’une d’elles, proposée par Daniel Arasse, nous paraît particulièrement brillante. Laissons donc la parole à l’historien. Celui-ci débute sa réflexion en posant une question qui trouvera sa réponse à la fin.

« Or, comment se fait-il que dans ce paysage des origines il y ait déjà un pont alors que toute présence humaine a disparu ? » […]

« En fait, ce qui me fascine, c’est ce qui lie profondément la figure au paysage de l’arrière-plan. Si vous regardez bien ce dernier, vous vous rendrez compte qu’il est incohérent, c’est-à-dire que dans la partie droite, du point de vue du spectateur, vous avez des montagnes très hautes, et tout en haut un lac, plat, comme un miroir, qui donne une ligne d’horizon très élevée. Dans la partie gauche, au contraire, le paysage est beaucoup plus bas, et il n’y a pas moyen de concevoir le passage entre les deux parties. En réalité, il y a un hiatus, caché, transformé par la figure elle-même et par le sourire de la Joconde. C’est du côté du paysage le plus haut que sourit la Joconde. La bouche se relève très légèrement de ce côté-là, et la transition impossible entre les deux parties du paysage se fait dans la figure, par le sourire de la figure.

« Vous me direz, et alors ? Eh bien, je crois qu’à ce moment-là, il faut avoir lu les textes de Léonard, se rappeler qu’il était un grand admirateur d’Ovide et de ses Métamorphoses, et que pour Léonard comme pour Ovide – c’est un thème classique et courant – la beauté est éphémère. Il y a de fameuses phrases d’Hélène chez Ovide à ce sujet : « Aujourd’hui je suis belle mais que serais-je dans quelques temps ? » C’est ce thème-là que traite Léonard, avec une densité cosmologique assez extraordinaire, car La Joconde c’est la grâce, la grâce d’un sourire. Or le sourire, c’est éphémère, ça ne dure qu’un instant. Et c’est ce sourire de la grâce qui fait l’union du chaos du paysage qui est derrière, c’est-à-dire que du chaos on passe à la grâce, et de la grâce on repassera au chaos. Il s’agit donc d’une méditation sur une double temporalité, et nous sommes là au cœur du problème du portrait, puisque le portrait est inévitablement une méditation sur le temps qui passe. […] On passe donc, avec ce sourire éphémère de La Joconde, du temps immémorial du chaos au temps fugitif et présent de la grâce, mais on reviendra à ce temps sans fin du chaos et de l’absence de forme.

« Restait ce pont, dont je ne comprenais pas la présence jusqu’au moment où j’ai lu Carlo Pedretti, le grand spécialiste de Léonard de Vinci […]. A propos de cette interrogation sur la présence du pont, il dit une chose très simple à laquelle je n’avais pas pensé, à savoir que c’est le symbole du temps qui passe ; s’il y a pont, il y a une rivière, qui est le symbole banal par excellence du temps qui passe. C’est un indice donné au spectateur que l’étrangeté du rapport entre ce paysage chaotique et cette grâce souriante est le temps qui passe. Le thème du tableau, c’est le temps. C’est aussi pour cette raison que la figure tourne sur elle-même, car un mouvement se fait dans le temps… Et l’analyse peut repartir à ce moment-là. Le tableau est fascinant parce que sa densité et sa sobriété font qu’il n’arrête pas de renvoyer la réflexion et le regard au regard…

« Cela dit, et je n’en dis pas plus sur La Joconde, je ne pense pas que messere Giocondo aurait aimé le tableau s’il l’avait vu. Je pense même qu’il l’aurait refusé parce qu’il ne lui aurait pas plu. Et le fait de faire de l’histoire permet d’avoir un regard un peu plus neuf sur les choses. Je pense que Francesco del Giocondo n’aurait pas accepté le tableau fini pour une bonne et simple raison : c’est qu’à l’époque, c’est un tableau scandaleux. Aujourd’hui, c’est le chef d’œuvre des chefs d’œuvres, mais en 1503-1505, c’est un tableau inadmissible. Pourquoi ? Voilà un bon bourgeois florentin, et pas n’importe qui, qui commande au plus grand peintre du moment le portrait de se femme parce qu’elle lui a donné des enfants, et ce peintre lui présente, comme portrait, une jeune femme qui sourit, ce qui est incorrect, toute proche de nous, épilée des sourcils et des cheveux – alors qu’on sait très bien qu’à cette époque seules les femmes de mauvaise vie s’épilent – et ensuite il la plante devant un paysage pré-humain affreux, terrible. Or, comment voulez-vous qu’un mari souhaite voir sa femme charmante, aimante, qui lui a donné deux enfants, devant un tel paysage et non pas devant des prairies, des arbres et des petits oiseaux, ce qu’on trouve dans les fonds de portrait de Raphaël contemporains de Léonard. Il n’aurait pas pu comprendre, et je pense que c’est pour Francesco del Giocondo ou pour ce genre de spectateur que Léonard de Vinci a peint le pont, pour leur expliquer qu’il ne faisait pas n’importe quoi, et qu’il y avait effectivement une méditation profonde sur le temps. Mais je crois que ce tableau était trop innovateur, il impliquait à l’époque un tel bouleversement des pratiques du portrait qu’il ne pouvait pas être compris immédiatement. » [3]

La Joconde, son sourire énigmatique et son paysage étrange à l’arrière-plan constituent ainsi une réflexion sur le temps qui passe.

Article sur la Joconde sur le site Panorama de l’art

[1] ARASSE, Daniel, « Scandaleuse Joconde », in L’Histoire, juin 2005, n° 299, p. 50.

[2] L’Atelier du peintre. Dictionnaire des termes techniques, Paris, Larousse, 1998, pp. 328-329.

[3] Op. cit., ARASSE, Daniel, pp. 50-51.

Thucydide69

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