Si la poésie est d’abord une soif ardente qu’il lui faut apaiser, un univers mouvant inaccessible comme un feu d’herbes, elle est également une voix inspirante qui jette son ferment et mêle Dieu et l’amour en une seule entité d’un bord à l’autre du monde. C’est la raison pour laquelle le poète, mieux que quiconque, nous invite à accueillir le printemps, les violettes doubles, le coq qui chante, les chiens qui rêvent, les genêts fleuris, la mer voisine, les labours plats, la maison appuyée contre la nuit, afin d’être réceptifs aux simples miracles quotidiens.
O vieilles pluies souvenez-vous d’Augustin Meaulnes
Qui pénétrait en coup de vent
Et comme un prince dans l’école
A la limite des féeries et des marais
En un pays mené de biais par les averses
Et meurtri dans son coeur par le fouet des rouliers
Le lit défait du garde-chasse
Les chemins creux du monde entier
C’est là que je t’attends c’est là que je te veille
Printemps comme un chanteur des rues printemps pareil
A la petite lumière d’un vélo sur la route
Voici que le plus simple entre nous s’émerveille
D’avoir entre les mains un bouquet de jonquilles
Et l’oiseau qui dormait encore se souvient
D’une fenêtre au bout du monde
Peut-être que là-bas dans les terres perdues
Une jeune fille de famille toute nue
Se dresse à la croisée ouverte et se regarde
Dans un morceau de lune triste comme un parc
Peut-être bien que c’est ainsi dans les romans
Une grosse cloche avec le printemps dedans
Mon amour tu es là comme une herbe qui penche
Sa longue écriture douce sur la page
Et je lis dans tes yeux et tu peux bien baisser
Ta paupière pareille à du genêt mouillé
J’épelle à haute voix comme un enfant qui dort
La chaude et mesurée syllabe de ton corps.
Symphonie du printemps – 1948 –
Ainsi chante le délicat poète René Guy Cadou ( 1920 – 1951 ) depuis de pays de Brière dont il nous dévoile les solitudes aquatiques et les rouches frémissantes sous le vent. La lampe d’un sanctuaire rustique – nous dit son ami Michel Manoll – brillait toujours au bout de cette allée de légende où l’ombre féerique d’Augustin Meaulnes apaisait le feu des tournesols. Ce que René Guy a vu, le décor dans lequel il a vécu, ces humbles choses qui constitueront son imagerie baroque, enfin les êtres avec lesquels il fera alliance, nourriront d’une sève drue une mémoire qu’il entretenait comme un arbre privilégié et qui vivait en lui tel un pommier fleuri.
Et ce poète, qui n’ira jamais plus loin que la barrière de l’octroi, ne voyagera guère que dans les livres, aura en permanence à ses côtés un jardin fleuri et printanier, n’en sera pas moins dans l’attente du voyage indicible, dont il n’est pas donné au poète de pénétrer le sens obscur, mais où la mort prématurée trace déjà ses traits funèbres. Néanmoins, son esprit était suffisamment délié pour affronter la rude nuit de la maladie qui l’emportera si jeune, parce qu’il plaçait au même degré les souvenirs des faits et ceux de ses rêves, et ensemble la présence du coeur révélateur et ses correspondances secrètes.
Ce matin la mésange avait lancé son chant
Plus clair que de coutume et sans notes moroses
Les papillons baisaient les pétales des roses
La nature fêtait le retour du printemps.
Si la poésie est d’abord une soif ardente qu’il lui faut apaiser, un univers mouvant inaccessible comme un feu d’herbes, elle est également une voix inspirante qui jette son ferment et mêle Dieu et l’amour en une seule entité d’un bord à l’autre du monde. C’est la raison pour laquelle le poète, mieux que quiconque, nous invite à accueillir le printemps, les violettes doubles, le coq qui chante, les chiens qui rêvent, les genêts fleuris, la mer voisine, les labours plats, la maison appuyée contre la nuit, afin d’être réceptifs aux simples miracles quotidiens.
Celui qui entre par hasard dans la demeure d’un poète
Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui
Que chaque noeud du bois renferme davantage
De cris d’oiseaux que tout le coeur de la forêt
Il suffit qu’une lampe pose son cou de femme
A la tombée du soir contre un angle verni
Pour délivrer soudain mille peuples d’abeilles
Et l’odeur de pain frais des cerisiers fleuris
Car tel est le bonheur de cette solitude
Qu’une caresse toute plate de la main
Redonne à ces grands meubles noirs et taciturnes
La légèreté d’une arbre dans le matin.
Des poètes comme René Guy Cadou ne meurent qu’en apparence. Parti au printemps de l’an 1951, il ne cesse plus d’accompagner les renaissances d’une saison qui avait empli de fleurs son encrier.