Difficile dans ce monde praguois tant marqué par le fantastique de ne pas s’arrêter sur la fameuse statue du Golem qui répond derrière l’ hôtel de Ville à celle du Maharal de Prague.Le Rabbin est enterré dans le vieux cimetière juif , sa pierre ornée d’un lion rappelle à la fois la tribu de juda et son nom Loewe qui ,en allemand, signifie lion.
De nombreuses pierres , signes de piété envers les morts dans le judaïsme, forment comme un kaddish minéral perpétuellement récité autour de sa tombe.
Le Maharal fut lun penseur audacieux. il est rare qu’un homme de cette nature se voit honoré par une statue sur un hôtel de ville, comme une preuve que Prague sait privilégier la légende au réel.
La pensée du Mahahral est parmi les plus élaborées de cette époque , mais la légende surpasse tellement la vérité qu’il convient de s’ arrêter quelques instants sur le sens du récit qui le dépeint comme le créateur du Golem, légende que Gustav Meyrink reprit dans son ouvrage éponyme.
La légende du golem pourrait aussi bien s’ appeler aussi le jeu de la mort et de la vérité ; c’est parce qu’il a tracé le mot emet qui commence par aleph et signifie vérité que le Mahara a pu animer sa créature pour protéger le ghetto. C’est parce qu’il efface le Aleph , que la créature meurt, retournant à sa condition inanimée.
Le mot qui demeure sur son front privé du aleph est » met » qui signifie mort . ce qui sépare la vérité de la mort c’est donc un aleph, la lettre de l’ origine absolue .
La Bible commence en effet par un bet , un bet, deuxième lettre de l’ alphabet hébreu et qui ressemble à une parenthèse mathématique, à ces crochets qui délimitent les fonctions.Le monde est donc créé depuis le chiffre 2, marqué par une dualité et cherchant à revenir à son unité originelle perdue.
Avant le bet , l’ absence de l’ Aleph nous renvoie à la question de l’ origine et, l’ oubli de cette origine, nous apprend la légende du golem, mène à la mort .
L’origine étant inconnue , on ne peut certes aller au delà de la deuxième lettre mais pourtant questionner l’inconnaissable est la vérité de la vie. Question sans espoir de réponse , perpétuelle interrogation.
La légende du Maharal part en fait de l’ idée juive que l’ homme qui ne s’interroge pas sur l’ origine est comme mort, stérile .
Peut être la bible doit-elle être lue comme un gigantesque commentaire de l’ absence de ce aleph. Absence de Dieu ? Athéisme de l’ écriture ?
Les textes du livre du Zohar , le maître livre de la kabbale avec le sefer ha bahir, exposés précisément dans la synagogue Maisel enseignent la similitude de cette lettre absente et de l’ain sof , l’infini.
Fécondité sans fin des erreurs de lecture et d’interprétation, hasard des contresens qui en se retournant créent du sens, la Kabbale est fondée sur une interprétation partielle d’un dialogue de Platon, le Parménide , par Philon d’ Alexandrie .
Erreur ou géniale trahison, reprise par Plotin, puis sans doute reconduite par Isaac Louria en Espagne pour créer tout un système de métaphysique et une mystique. Fécondité inépuisable de l’interprétation, trahir un texte c’est aussi le servir pour en révéler le potentiel hérétique envers la pensée génitrice elle même.
Borges dans sa nouvelle « l’aleph » raconte la contemplation dans une cave de Buenos Aires d’ un objet qui permet de percevoir l’ univers entier de tous les points de vue possible.
Comme par ces coïncidences exagérées qu ‘affectionnait Jung , l’ aleph du Maharal ressurgit par ricochet à Prague quelques siècles plus tard par l’intermédiaire de Bernard Bolzano, dont la légende ne dit pas s’il trouva l’ infini dans une cave mais dont l’histoire nous confirme que L’infini mathématique fut sa préoccupation majeure .
Le génial mathématicien est une des figures les plus injustement oubliées de la ville, seule une petite plaque discrète près de l’ Opéra rappelle où vécut le Père Bolzano, prêtre de l’ Eglise catholique tchèque et fils de commerçant italien.
Avec Bolzano, prague possède un penseur profond pour lequel l’ infini est autant une question de foi catholique que de mathématique. La publication de son ouvrage «les paradoxes de l’infini» est une des grandes dates de la philosophie mathématique.
Si Bolzano n’est véritablement connu de nos jours que de rares spécialistes des prémices de la phénoménologie ou du tâtonnement des philosophes du cercle de Vienne, son œuvre a fécondé dans cette Prague du renouveau la philosophie de la connaissance la plus moderne.
De ceux qui ,comme Husserl, surent reconnaître leur dette en venant donner dans la ville une célèbre conférence, à ceux qui, comme Frege, turent la figure du père Bolzano pour ne pas avoir à lui être redevable, sans parler des logiciens polonais Twardowski et Tarski et leurs successeurs de l’ école de Lvov-Varsovie, Bolzano est le vrai père caché d’une bonne partie de la réflexion philosophique contemporaine.
C’est également grâce à ses avancées sur l’ infini que Cantor va formuler la théorie des ensembles.
Cantor, grand mathématicien déjà reconnu, ne trouve plus le sommeil dans ce Halle de la fin du XIXéme où il enseigne qui va devenir un temple de la nouvelle mathématique , l’infini le soucie à tel point qu’il va écrire à la curie romaine pour demander conseil et se soulager des douloureuses questions théologiques qui l’ assiègent.
La question de l’infini pour Cantor possède là encore des ressorts théologiques car si l’infini réside autant dans les parties du monde que dans le tout , la cohérence du monde se dérobe sous ses pieds. Que l’infini soit compris dans une partie n’est pas sans rapport avec la théologie de la transsubstantiation, Cantor s’entretiendra avec le cardinal Franzelin et acceptera de reconnaître que l’ infini n’ appartient qu’ à dieu et utilisera la notion de transfini pour désigner l’ infini des hommes .
Au moment où Cantor fait oeuvre de diplomatie avec sa conscience , l’inconscient, pour sa part, ressurgit alors que le pieux mathématicien choisit un symbole pour désigner le transfini.
Comme un clin d’œil praguois, c’est l’ aleph qui est choisi par un Cantor qui ignore sûrement tout du Maharal et de la légende du Golem.
De Prague à Berlin, d’un rabbin kabbaliste à un mathématicien catholique hanté par le problème de la transsubstantiation, peut être peut-on ,avec Bolzano comme intermédiaire, retracer le cheminement improbable d’une lettre effacée sur le front d’ une statue d’ argile et retrouvée dans des pages d’ écritures mathématiques rédigées fiévreusement dans une petite ville allemande.
Bolzano aurait- il erré dans une cave praguoises à la recherche de l’ Aleph? , voici une idée éminemment Borgesienne.
Et bien que celui-ci situe sa nouvelle à Buenos Aires , on peut dire que Prague est de ces villes où l’ infini pourrait se trouver négligemment enfoui dans une vieille malle au fond d’une cave obscure .
Une légende praguoise , mais il y en a tellement, de vraies et de fausses , prétend qu’ en 1941 , on retrouva au fond d’une synagogue incendiée un vieux coffre intact ornée d’une inscription hébraïque « ici repose la vérité ». Au fond de ce coffre , il n’ y avait qu’un tas informe d’argile.
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