Ce voyage s’est déroulé dans deux pays de l’Asie centrale ex-soviétique : l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. Une partie du voyage se constituait d’un trek sur les contreforts du Pamir… L’autre partie a une importante composante culturelle avec la visite de deux villes d’art musulman de premier ordre : Samarcande et Boukhara ; et tout le pan de l’histoire islamique qui va avec, la route de la soie, les chevaux de Ferghana, l’invasion des hordes de Genghis Khan, le non moindre terrible Tamerlan et l’érudit (et scientifique) Oulough Begh.
Nous avons réalisé un trek d’une dizaine du jours en bordure du pays, dans le magnifique massif des monts Fanskye (et de surcroît très ensoleillé). Un massif qui ne constitue qu’un contrefort de la grande chaîne du Pamir, mais dont les sommets dépassent tout de même les 5000 mètres.
Changement d’ambiance maintenant avec l’importante partie culturelle de ce voyage. Nous avons visité les deux grandes villes d’art d’Ouzbékistan, Boukhara et Samarcande (il en existe une troisième, Khiva, beaucoup plus éloignée et qui n’était pas au programme de notre voyage). Pour rejoindre Boukhara par laquelle nous avons commencé, quatre heures de route, aux confins du désert de Kizyl-Koum. Seule distraction sur le parcours, ce caravansérail de Malikrabat.
Boukhara est une ville de 400 000 habitants environ, bien dotée de monuments islamiques ancien, même si la physionomie générale de la ville n’est pas très authentique (beaucoup de quartier anciens ont été démolis, même récemment). Nous avons démarré la visite de la ville dès notre arrivée : il faut dire qu’il y avait du pain sur la planche ! Pour commencer, la médersa Nadir Divanbégui (construite en 1620). Elle avait été conçue pour être un caravansérail, mais le khân s’est trompé en l’inaugurant et personne n’a osé contredire sa parole ! Seule la porte d’entrée est en fait décorée ainsi, l’intérieur ressemble plutôt à l’envers d’un décor de cinéma… On pourra disserter sur l’interdiction dans l’Islam de représenter des animaux, interdiction allègrement contournée ici.
Cette médersa est située sur la place Liab-I-Khaouz qui constitue le cœur de la ville. Cette place n’est pas très spectaculaire en soi, mais elle a paraît-il une grande importance historique (l’arbre mort à côté de la pièce d’eau est paraît-il d’époque). Le grand vizir Nadir Divanbégui qui aménagea la place, dut exproprier une vieille femme juive, ce qu’il fit en aménageant une citerne sous sa maison, ce qui eut pour effet de désagréger les murs en pisé. On y trouve aussi sur cette place une statue soviétique représentant Nasreddin Hodja, personnage mythique d’inspiration soufie, supposé originaire de Boukhara. Notre guide nous a raconté deux exemples d’histoires de Nasreddin Hodja, que j’ai ensuite retrouvées dans un livre-souvenir acheté en Turquie il y a une vingtaine d’années.
Cette première journée de visite n’était qu’un avant goût, les choses sérieuses étant réservées pour le lendemain. Nous avons attaqué dès l’aurore avec le célèbre minaret Kalian. Mesurant 67 mètres de haut, construit en 1127, ce minaret fut épargné par Gengis Khan en raison de son intérêt stratégique (c’est de ce fait l’un des seuls monuments de la ville qui soit antérieur au XIIIe siècle). Outre son rôle d’appel à la prière, le minaret avait été conçu pour servir de phare pour les caravanes dans le désert. Ses constructeurs s’imaginaient même qu’il serait visible depuis Samarcande, mais c’était évidemment pure naïveté.
Mais ce minaret a connu pire barbare que Gengis Khan : Lénine ! La prise de la ville par les Bolcheviks en 1920 a causé de très importantes dégradations au monument, il est vrai rapidement restauré. La photo de ces dégradations, aujourd’hui visible dans l’un des musées de la ville, était censurée pendant toute la période soviétique.
La mosquée attenante et éponyme de ce minaret, postérieure quant à elle à Gengis Khan, est de très vastes dimensions et en excellent état (elle n’a pas nécessité de restauration). Mais elle est quasiment inutilisée ! Le dictateur ouzbek, le très mal prénommé Islam Karimov, surveille de très près tout ce qui touche de près ou de loin à la religion. Seule une toute petite salle de cette mosquée sert donc à la prière, il n’y a pas d’appel de muezzin et le rassemblement du vendredi est interdit.
Face à la mosquée Kalian, de l’autre côté de la place Poï Kalian, se trouve un autre monument peut-être encore plus beau : la médersa Mir-i-Arab. Malheureusement elle ne se visite pas car elle est encore utilisée comme médersa (c’était l’une des deux seules médersas avec celle de Tachkent, encore en fonctionnement à l’époque soviétique). La seconde photo a été prise du haut du minaret Kalian.
D’autres médersas, quoique moins belles, se trouvent dans le voisinage : la médersa d’Abdoulaziz Khan, datant du XVIIe siècle, ne fut jamais achevée car son architecte a été assassiné, et ça ne se faisait pas d’achever le travail d’une personne assassinée. Face à elle, la médersa d’Oulough Begh, bâtie en 1417, du nom du petit-fils de Tamerlan. Nous reparlerons d’Oulough Begh lors de la visite de Samarcande.
Beaucoup de marchands de souvenirs dans cette ville, en particulier dans les cours de certaines médersas comme celle d’Abdoulaziz Khan, et également dans les (rares) restes des anciens souks couverts, comme sur la seconde photo précédente où la coupole est dite coupole des bijoutiers (parce qu’historiquement se trouvaient là des marchands de bijoux… et c’est d’ailleurs toujours le cas !). Mais si les marchands de souvenirs sont nombreux, leurs clients le sont beaucoup moins. Car étonnamment pour une ville d’art d’une telle importance, il n’y a pas beaucoup de groupes de touristes. Il ne m’a pas été difficile ainsi de photographier la cour de la mosquée Kalian sans personne dedans. Alors que dans bien des pays on peut toujours courir… Probablement que les gens ont peur de venir en Asie centrale, nous laissant les monuments pour nous tout seuls. Comme coin les islamistes, les dictatures et les guerres de W. Bush peuvent avoir du bon !
La visite s’est poursuivie par d’autres monuments de mon avis de second plan, mais que je vais quand même énumérer. La mosquée Magok-i-Attari, du XIIe siècle, est la plus ancienne de Boukhara. Je ne me souviens d’ailleurs plus pourquoi Gengis Khan l’a épargnée. Elle s’est en tout cas retrouvée sous plusieurs mètres de sable, suite à la montée du niveau du sol de la ville au cours de l’histoire. Elle avait été complètement oubliée et ne fut redécouverte qu’en 1939. La citadelle de l’Ark est beaucoup plus récente : XIXe siècle. Elle est située sur la place du Reghistan, nom qui signifie « sable » en ouzbek, mais il n’y a pas ici de médersas comme sur son homonyme de Samarcande. C’était le siège de l’émirat de Boukhara, qui fut un temps une région totalement interdite aux occidentaux (à l’époque du Grand Jeu). Il y a une histoire avec les Britanniques Stoddart et Conolly qui furent mis à mort en 1842. Finalement ce furent les Russes qui obtinrent le protectorat sur la région. L’émir de Boukhara continua de régner, sans réel pouvoir, jusqu’en 1920 (date de l’attaque soviétique). La forteresse, immense, se visite mais ne présente guère d’intérêt. Il n’offre pas de point de vue sur la ville, à ma grande déception. Enfin le mazar Tchama Ayoub, ou « source de Job », est un bâtiment du XIIe siècle reconstruit vers 1980, et abrite une source aux vertus curatives.
Même s’il n’est pas ce qu’il y a de plus spectaculaire, le mausolée d’Ismaïl Samani est considéré comme le bijou de l’architecture boukharienne. C’est le plus ancien monument de Boukhara, et il est particulièrement unique car il porte les traces des civilisations pré-islamiques sogdiennes. Il faut construit en 907 par Samani pour y abriter les corps de son père et de son petit-fils. Au moment des invasions mongoles, les habitants de Boukhara ont réussi à le dissimuler sous le sable et à le soustraire de la folie destructrice de Gengis Khan. Ismaïl Samani fut le fondateur de la dynastie perse des Samanides, dont Boukhara était la capitale renommée dans tout le monde musulman, attirant de nombreux savants et poètes. Il est aujourd’hui devenu un symbole pour le… Tadjikistan, dont la monnaie et le point culminant (l’ex pic Communisme) ont repris le nom. Que ce mausolée se trouve en Ouzbékistan n’est pas bien sûr pour arranger les relations entre les deux pays. Le mausolée proprement dit est une petite construction cubique, décorée à l’intérieur mais sans faïences, car elles n’existaient pas encore au Xe siècle. L’endroit reste un lieu de pèlerinage aujourd’hui, il s’y pratiquerait même des restes de rites zoroastriens.
Presque toutes ces visites, de la mosquée Kalian au mausolée Samani, ont été effectuées en une seule journée : un sacré programme ! Nous avions encore une demi-journée le lendemain à passer dans la ville, consacrée aux achats de souvenirs (des séances dont je me passerais bien à chaque fois mais je suis toujours le seul à être de cet avis). Donc il ne me restait plus qu’à réarpenter la ville en quête de nouvelles visites forcément de seconde zone, tel le Tchor Minar, sorte de folie du XIXe siècle voulue par le riche marchand turkmène Khalif Niyaz-Koul (je suis content que ses quatre tours puissent être toutes visibles sur la photo car ce n’était pas gagné !). Ou cette étonnante réplique miniature du minaret Kalian (nul guide n’en parle). Une matinée que nous avons terminée dans un magasin en plein air, de tapis et de… matériel hifi, situé juste à côté de la mosquée Kalian. Il pleut tellement rarement par ici qu’on n’hésite pas à entreposer du matériel fragile à l’extérieur !
Une après-midi de route était nécessaire pour retourner à Samarcande. Bien que durant trois semaines, notre voyage n’était pas très optimisé du point de vue des transports ; l’autre voyage de Terdav dans la région, qui ne durait que quinze jours, trouvait le temps d’une balade (un peu plus courte certes) dans les monts Fanskye, suivie de Samarcande, de Boukhara et aussi de Khiva qu’ils rejoignaient en une journée de route. Ensuite ils rentraient directement à Tachkent en avion. J’ai donc un peu eu l’impression de m’être fait avoir.
Nous commencerons la présentation de Samarcande par la mosquée de Bibi Khanym. Il ne s’agit pas loin sans faut de la plus belle architecturalement, mais elle est très photographiée, peut-être à cause de sa proximité des hôtels. Les deux photos que j’en présente ici ont d’ailleurs été prises avant notre trek, alors que nous nous étions baladés un peu dans la ville au cours de la soirée. La mosquée Bibi Khanym, du nom de l’épouse favorite, d’origine chinoise, de Tamerlan, fut selon la légende construite à la demande de cette dernière pour faire une surprise à Tamerlan lors de son retour de campagne. Mais l’architecte était très amoureux de Bibi Khanym ce qui ne manqua pas de déplaire à Tamerlan… Ce qui est certain c’est que la mosquée fut construite à la va-vite, avec des briques pas totalement cuites, est qu’elle commença à se délabrer dès la mort de Tamerlan. Elle n’était déjà plus utilisable au XVIe siècle. En outre, la récente restauration, déjà en soi contestable, s’est contentée de refaire les faïences sans consolider l’édifice.
Nous avons commencé la visite de Samarcande par un lieu dont nombre de mes compagnons de voyage ont dit pis que pendre, alors qu’il s’agit d’une curiosité assez exceptionnelle. Je veux parler de l’observatoire d’Oulough Begh. Oulough Begh (1394-1449), petit-fils de Tamerlan, était plus intéressé par l’astronomie que par son métier de souverain. Il fit construire ce gigantesque sextant entre 1428 et 1429, et passa sa vie à cartographier les étoiles. Son traité d’astronomie ne parvint en occident qu’au XVIIe siècle où il demeura une référence pendant deux siècles, sans d’ailleurs que ne fût connue l’identité de son auteur. Oulough Begh fit l’objet d’un véritable culte pendant la période soviétique. En tout cas (et même si ma photo en est complètement ratée !) cette visite m’a bien plu : il est bien rare que nous soit offerte l’occasion d’une visite à caractère scientifique, dans ce monde phagocyté par les littéraires.
Nous reprenons le cours traditionnel de nos visites avec la nécropole Chah-i-Zinda : selon la légende, le cousin de Mahomet, Koussam Ibn-Abbas, passant à Samarcande en 676, y fut décapité par les Zoroastriens alors qu’il accomplissait sa prière. Mais il n’en termina pas moins son rite, avant de partir se réfugier dans un puits des environs où il vivrait toujours… Nul ne sait où se trouve ce puits, mais la nécropole a été érigée en ce lieu. Déjà vénérée au XIIe siècle, puis saccagée par les Mongols, la plupart de ses constructions datent des Timourides (Tamerlan et ses fils) et d’époques ultérieures. La nécropole contient un grand nombre de mausolées décorés de faïences bleues, et répartis le long d’une allée principale. Malheureusement est en cours une opération de restauration du site assez outrageuse. Parmi les mausolées les plus remarquables, se trouve celui de Chadi Moulk Aka (datant de 1372), une femme qui a compté dans la vie de Tamerlan. On trouve aussi, au bout du site, une mosquée, dont les fondations remontent au XIe siècle. Ce site, encore très vénéré de nos jours, n’a pas cessé de l’être pendant la période soviétique.
La visite continue avec le mausolée de Gour Émir, là où sont enterrés tous les Timourides : Tamerlan, Oulough Begh, ainsi que Mohamed Sultan, petit-fils de Tamerlan, et Chah Rokh fils cadet et héritier de Tamerlan. Les corps furent déterrés en 1941 (pour analyse) par les autorités soviétiques, au grand scandale de la population locale. On raconte que Tamerlan avait prédit un cataclysme au pays qui toucherait à son corps ; le lendemain de l’ouverture du caveau, Hitler envahissait l’Union soviétique ! Ces analyses ont néanmoins permis de reconstituer le visage de ces souverains, et de confirmer certaines légendes, par exemple qu’Oulough Begh est mort décapité. Les corps ont ensuite été remis en place. Le mausolée, fut construit en 1403 par Tamerlan pour son petit-fils préféré, mort au combat, mais c’est finalement Tamerlan lui-même qui y a été enterré. L’édifice est coiffé d’un dôme de faïence et doté de quatre minarets, bien qu’aucun fidèle n’en ait jamais été appelé à la prière.
L’intérieur du monument est aussi très finement décoré : sa restauration à l’époque soviétique aurait nécessité plusieurs kilos de feuille d’or ! Les pierres tombales sont en réalité des cénotaphes, les véritables tombes se trouvant dans la crypte (seconde photo). La pierre centrale, celle de Tamerlan, est un monolithe de jade noir, le plus grand morceau de jade du monde.
Et nous terminerons la visite de Samarcande par son joyau : la célèbre place du Reghistan : trois médersas se faisant face. La photo d’ensemble du site n’est pas facile à faire car sur les trois il y en a toujours une qui est à contre-jour ; j’ai donc fait ce que j’ai pu.
Parmi ces trois médersas, la plus ancienne est celle d’Oulough Begh (à gauche sur la photo précédente), construite entre 1417 et 1420 et alors consacrée à l’enseignement des sciences exactes. Elle est considérée comme la plus belle des trois, même si celle de Chir Dor avec ses lions peut être trouvée plus photogénique. Les minarets entourant la médersa ont la propriété de pencher, ce qui n’a pas manqué de faire couler beaucoup d’encre : était-ce voulu pour créer un effet de perspective ou était-ce un accident comme pour la tour de Pise ? Toujours est-il que les ingénieurs soviétiques on jugé intelligent de « redresser » les minarets en les tournant de 180°, une opération qui n’a pas dû être simple car il a fallu préalablement les poser sur une fondation en béton. Résultat, ces minarets ont maintenant vraiment l’air tordus !
Les deux autres médersas sont plus tardives : XVIIe siècle. Faisant face à la médersa d’Oulough Begh, celle de Chir Dor (1619-1635) est décorée de deux lions, en contradiction totale avec les préceptes islamiques. La légende raconte que l’architecte avait représenté des lions à la demande de l’Émir mais il ne savait pas à quoi des lions pouvaient ressembler. La troisième médersa, Tillia Kari, de style persan, occupe le côté nord de la place. Son nom signifie « doré » car elle abrite à l’intérieur une mosquée dorée (1000 m² de feuille d’or). Mais je n’ai pas réussi à en photographier l’intérieur (sans flash).