Avec Solar, Ian McEwan, auteur anglais, plonge ses lecteurs dans le monde des sciences et notamment de la physique… Un univers que Ian McEwan décrit avec maîtrise et talent, sans pour autant pousser suffisamment la réflexion, ni le débat sur l’utilité des études scientifique, la dominance de pseudo théories, d’une superficialité des médias, des politiques ou de la vague écologique ….
Michael Beard est le parfait anti-héros. Ce lauréat britannique du prix Nobel de physique pour ses découvertes dans la physique des particules de lumière à partir d’Einstein eut, autrefois, son heure de gloire. Aujourd’hui, en 2000, dépassé mais vivant de son statut à travers conférences et autres interventions honoris causa, il contemple le naufrage de sa vie personnelle: son cinquième mariage bat de l’aile. Par chance, il est choisi pour diriger
un projet de recherche britannique visant à développer les nouvelles énergies « propres » puis il est envoyé sur une base de l’Arctique avec un groupe d’artistes et autres people pour
contribuer à éveiller les consciences à l’environnement.
Tout l’humour de McEwan peut alors se déployer: il utilise un style extrêmement clair et sobre, fait de phrases à la mécanique d’horloger, pour démolir constamment son personnage qui lui-même démolit la vague écolo actuelle, le tout avec un salutaire ton mordant et avec un regard particulièrement acerbe. On rit donc souvent à la lecture des gesticulations du monde scientifique, intellectuel et médiatique. L’épisode dans la base arctique a le mérite de montrer à quel point ces opérations médiatiques sont elles-mêmes pollueuses et, plus grave, vides de sens, uniquement des entreprises à satisfaire les égos et les vanités. Mais l’épisode le plus férocement drôle est toute la polémique entre Beard et une universitaire professeur d’anthropologie sociale: alors qu’ils débattent de la validité de leurs approches respectives, Beard est amené, dans la conférence de presse qui suit, à expliquer aux journalistes pour quelles raisons les femmes sont moins nombreuses dans les laboratoires de physique, ce qui est traduit par « Nobel Prize Says No to Lab Chicks » par la presse. Les débats publics et télévisés qui sont ensuite organisés pour diffuser le malentendu ne font qu’empirer les choses et Beard est alors taxé de néonazi.
L’ensemble est très drôle, McEwan démontrant avec brio à quel point on ne peut plus tenir un discours de plus de deux minutes sans perdre l’attention de ses auditeurs, ce qui résulte en malentendus et en méprises. Il montre également à quel point notre société médiatique fonctionne sur un mode de pensée préfabriqué, prédigéré, totalement creux et que quiconque cherche à apporter nuance ou approfondissement est alors vu comme un dangereux réactionnaire ou, dans ce cas, un néonazi. Au passage, il fait écho au débat qui agite les milieux universitaires en ce moment entre culture et science. Et d’ailleurs, l’un de mes premiers reproches se situe là: il ne donne qu’un écho mais ne traite pas ce débat, même par la fiction. En fait, McEwan fait rire avec son sujet, mais, je pense l’esquive.
Du coup, j’élargis à présent mon propos à l’ensemble du roman. Celui-ci est structuré en trois parties: la première en 2000 avec l’épisode de la base en Arctique et celui de l’accident qui va propulser l’intrigue pour la suite du roman, à l’instar des précédentes oeuvres de McEwan; la seconde a lieu en 2005 et examine le chemin parcouru ainsi que les conséquences de cet accident; enfin, la dernière a lieu en 2009 et sert de règlement de tout compte pour Beard (une sorte de « reckoning » aux proportions bibliques, à hauteur individuelle). Première remarque, ce reckoning final n’est pas totalement satisfaisant. Il est à la fois très bien fait, car totalement crédible et plausible, mais en même temps littérairement inabouti. Ou alors McEwan l’a fait volontairement (ce que je crois), mais dans ce cas, le roman pourrait continuer, car certes, Beard subit certaines conséquences de ses actions, mais, finalement, au vu de quelques éléments donnés (l’invitation au sommet de Copenhague), on se dit que passé le choc, Beard se remettra sur ses pieds et que tout repartira comme en 14.
Et de fait, c’est l’ensemble du roman que j’ai trouve insatisfaisant. En effet, McEwan a bâtit un personnage parfait avec Beard: dépassé, veule, lâche, hypocrite, gros, menteur, tricheur, se mentant à lui-même et aux autres, incapable d’avoir la moindre volonté que ce soit pour avoir une morale plus élevée ou même essayer de maigrir, Beard est la métaphore sur pattes de l’ensemble de l’humanité (ou tout du moins de l’Occident aveugle et hypocrite) qu’il méprise lui-même allégrement. Or, il est totalement comme elle, incapable de faire le moindre effort, grossissant tout au long du roman, devenant malade, atteint de cancer qu’il cherche à ignorer: si son esprit (son âme?) est l’humanité, son corps est la Terre (ainsi, lors d’un passage parrmi les mieux réussis du roman l’illustre alors qu’il fait un discours sur l’environnement à des investisseurs pour les convaincre de miser sur son énergie propre solaire, il est pris de nausée jusqu’à aller vomir après son discours parce qu’il s’est empiffré de crevettes juste avant par peur d’avoir faim pendant son discours!).
Socialement, Beard est un Claude Allègre britannique, foncièrement antipathique, qui fustige les littéraires et leur paresse intellectuelle, leur pseudo-études, ayant lui-même démontré qu’il pouvait atteindre le même niveau sur Milton qu’une étudiante en lettres faisant sa thèse sur Milton pour pouvoir la séduire en une semaine (faisant d’elle sa première femme). Il méprise également le relativisme intellectuel qui trouve son origine dans le postmodernisme et la domination des études culturelles. De manière assez brillante d’ailleurs, cette ambivalence donne un équilibre et une tension constante à la narration. Tous ces thèmes permettent à McEwan et à son personnage de fustiger la superficialité des études universitaires et de leur pseudo-théories, la superficialité de la vague écolo, la superficialité des médias, celle des politiques.
Un critique demandait si on pouvait reprocher à McEwan d’avoir trop bien écrit son roman. Je pense que oui, car certes il écrit extrêmement bien, il construit son roman de manière parfaite et pleine, équilibrée et avec une belle constance thématique, le tout dans un ton ironique réjouissant, mais, au final, il lui manque une « âme, » justement. Cette âme, je l’attendais dans la vision brillante, profonde qu’il aurait pu et dû véhiculer de la superficialité de notre époque. Or, avec Beard, il trouve les limites de sa propre démonstration puisque Beard lui-même est atteint des maux qu’il fustige. Donc le roman semble parfaitement construit: le personnage s’accorde à la thématique, le tout raconté avec brio, mais justement, cette perfection apparente pointe avec acuité l’absence de réelle profondeur dans la réflexion.
Car, finalement, à part dénoncer les tendances actuelles, il ne m’a guère permis de regarder ces problèmes sous un angle neuf. Un ami, B., suggère que ces personnages de scientifiques sont un moyen pour McEwan de se protéger de lui-même et de la critique en prenant de la distance avec ses modèles. Mais, de fait, en sacrifiant lui-même à la hype littéraire du cynisme de bon aloi, en nous faisant rire avec beaucoup d’intelligence et de mordant, McEwan tombe dans le travers qu’il entend dénoncer. Peut-être aurait-il mieux valu qu’il soit tout simplement plus honnête et pour cela accepter d’être peut-être moins brillant, moins drapé dans sa figure d’auteur confirmé et doué. Contrairement à B., je pense que McEwan a sacrifié sa sincérité à l’aune de l’humour et du brio.
Cependant, en conclusion, je voudrais expliquer ce qui vaut à McEwan une critique aussi sévère de ma part. En fait — et je souhaite là modifier l’impression que l’on pourrait tirer à la lecture des paragraphes précédents — une telle sévérité s’explique à la fois par l’attente que j’avais investi dans cet auteur après avoir lu Atonement mais aussi par le plaisir évident et indéniable que j’ai pris à lire Solar. D’où cette question, face au talent, à la maîtrise déployés dans ce roman, face à l’absence de véritable réflexion, et face à cette impression que l’auteur n’ose pas nous livrer sa pensée et se masque derrière la virtuosité d’un humour corrosif, question qui est peut-être l’origine de cette formule: à quoi (cela sert-il d’être aussi) bon?
— Mathieu
La lecture de Solar m’a beaucoup moins réjouie que Mathieu. J’avais beaucoup reproché aux livres de McEwan une entrée en matière très bluffante, avec généralement une scène unique dans
lequel se cristallisait tous les personnages et leurs actions, suivie par un développement creux, banal, en-deça de cette première scène (je pense notamment à la scène de nuit dans
Saturday, ou à la scène de l’accident en ballon dans Amsterdam). Dans Solar, il y a bien quelques scènes qui se détachent de l’ensemble du roman, par leur propos ou par
leur mise en scène, mais rien d’aussi brillant que dans ses précédents livres.
Je dois avouer que la première partie du roman, celle dont parle Mathieu et qui évoque le voyage de Beard dans l’Articque, m’a profondément ennuyée. Je n’ai trouvé les propos de Beard/McEwan, ni
drôles, ni transcendants. Si le propos est de critiquer la soi-disante révolution verte, cette critique dans le roman me parait faible, digne d’un article du Monde, sans réelle intérêt
littéraire (et scientifique).
La deuxième partie du roman m’a beaucoup plus intéressée, notamment la scène du discours de Beard avec à sa suite la disucssion avec un maitre de conférence. A la fin de son discours, Beard
raconte une anecdote qui lui est arrivée quelques jours auparavant dans un train (la scène était assez bien menée dans le roman). Beard croyant qu’un passager mangeait ses chips, s’est mis à les
dévorer sans retenue, avant de se rendre compte qu’il ne s’agissait pas de ses chips, mais bien de celles du passager. Le maitre de conférence lui demande alors à la fin de son discours pour
quelle raison a-t-il inventé/évoqué cette histoire. Beard lui répond qu’il ne s’agit pas d’une invention mais bien d’une expérience vécue. A cela, le maitre de conférence lui répond que cet
histoire du « Unmithing Thief » est un classique de la littérature, qu’elle apparait dans un grand nombre de romans, avec quelques variations (les chips deviennent des fruits etc,). Enervé, Beard
rétroque:
« My experience belongs to me, not the collective bloody unconscious ». Beard ne croit pas aux théories psychologiques, pas plus qu’il ne croit en la capacité de la littérature à parler
d’expériences vécues. Comme il le répète à l’envie:
« Stick to photons – no resting mass, no charge, no controversy on the human scale ».
Beard refuse tout déterminisme, pense que les théories psy ne sont que des fadaises (notamment celle concernant Melissa et son amour des hommes mûrs). Et pourtant Beard a un rapport à la
nourriture qui tient de l’obsession, rappelant par la même le comportement de sa mère lorsqu’il était enfant et qu’elle le gavait à sens propre de son amour. Il est d’ailleurs intéressant que le
discours de Beard (hyper scientifique) se termine par cette anecdote dont la véracité même va être remise en cause par le discours littéraire.
J’attendais par la suite un prolongement de ces quelques réflexions sur la particularité de la littérature par rapport à la science, sur les caractéristiques des deux discours, et sur la vision
qu’un scientifique peut avoir de la littérature.
Certes dans la troisième partie, le roman revient sur les études de Beard et comment à l’occasion de ses années d’études, il a fréquenté des étudiants en sciences humaines (et comment pour
séduire une femme, il a lu tout Milton au point de devenir presque un spécialiste). Sauf que, à moins que je n’ai pas bien lu le roman, toute cette réflexion est évacuée, au profit d’une
résolution classique de l’intrigue. Le meurtre dont s’accuse Beard à la fin de la première partie, refait surface et trouve en partie sa résolution dans ce dernier chapitre du roman. Je trouve
que l’histoire de ce meurtre est inutile depuis le départ. Je ne vois pas l’intérêt littéraire de ce schéma, si ce n’est offrir au romancier une artitecture romanesque classique dont il pourra
tirer une fin.
Solar est donc pour moi un livre râté, car l’auteur n’est pas allé au bout de sa thématique, et s’est conformé à un schéma plus traditionnel. Certes, le livre est très bien écrit, certes
certaines scènes sont marquantes, mais l’ensemble n’est pas convainquant.
— LN
En fait, après lecture de la critique de H., je me rends compte que nous reprochons le même défaut à Solar: la volonté de McEwan de nous livrer une oeuvre parfaite dans sa construction
formelle mais qui pêche sur le plan de la réflexion. Là où Atonement était une merveilleuse, merveilleuse mise en abîme poignante et bouleversante sur ce qu’est la littérature et sa
portée dans nos vies, Solar ne parvient pas à apporter la même profondeur sur les rapports entre la science et la littérature et se sert de son humour contre le discours écologiste
actuel pour esquiver cette absence. Il n’en reste pas moins qu’un roman raté par un tel auteur, de par les thèmes abordés, vaut d’être lu, ne serait-ce que parce qu’en plus il est bien écrit.
— Mathieu
Fiche : # Relié: 304 pages
# Editeur : Jonathan Cape Ltd; Édition : First Edition, First Printing (18 mars 2010)
# ISBN-10: 0224090496
# ISBN-13: 978-0224090490
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