Dans ce roman, l’auteur revient sur certains éléments développés dans Orxy and Crake, mais en y
ajoutant un nouveau cadre temporel. Il ne s’agit donc pas d’une suite mais plutôt d’un roman parallèle où on retrouverait certains personnages et certains événements évoqués dans le précédent
roman. Il ne s’agit as non plus d’un « roman avant », puisqu’une partie de The Year of the Flood se déroule avant les événements d’Oryx and Crake et l’autre partie
pendant. Le roman se situe en effet entre deux points temporels définis et pourtant presque inexplicables, l’année Zéro et l’année 25. L’année 25 correspond à l’année où le déluge
sans eau a déferlé sur la terre, exterminant presqu’entièrement la race humaine. L’année zéro doit correspondre (mais je n’en suis pas sûre) au premiers temps des Gardeners, secte écolo_biblique
qui s’est retranchée dans des camps pour fuir l’humanité, construire une nouvelle forme de vie plus respectueuse de la nature et se préparer au grand déluge. Deux femmes, Toby et Ren, vont être
les narrateurs de cette histoire, puisqu’elles sont au moins jusqu’au deux tiers du roman les deux seules survivantes des Gardeners en l’année 25. Il y a donc sans arrêt des ponts temporels entre
les souvenirs de ces deux femmes avant le déluge et leur survie après. Ces deux femmes apparaissaient dans Oryx and Crake, même si ayant lu le livre, je n’ai aucun souvenir d’elles. Toby
travaillait dans un SecretBurger lorsqu’elle a trouvé refuge chez les Gardeners (son patron abusait d’elle), et Ren était danseuse dans un cabaret (et occasionnellement prostitué quand les
clients payaient bien). On retrouvera bien évidemment Jimmy et Crake, ainsi que les Crakers, mais dans la deuxième partie du roman, et presque de façon anecdotique comme si l’auteur faisait là un
effort pour ses lecteurs, lui ayant réclamés des « nouvelles » de ces deux personnages.
J’ai eu un mal de chien à le lire tellement l’histoire de Ren et de Toby m’indifférait au premier point. J’ai même dû à un moment reprendre la lecture pour me remettre dedans. Alors que se
passe-t-il dans ce roman ? Eh bien pas grand-chose finalement. L’auteur à travers ses deux femmes décrit le monde avant le déluge, le monde après le déluge, le monde vu par les Gardeners, le
monde vu par les Corporations, les dérives de chacun et les capacités de chacun à survivre. Je n’ai pas le courage de relire le roman, mais de ce que je m’en souviens, il y a très peu de
« scènes » dans l’écriture d’Atwood. Tout est a posteriori, les « événements » sont toujours racontés/décrits par les personnages après-coup et souvent de manière expéditive
en deux ou trois phrases ou dans une ligne de dialogue. On pourrait objecter que la narration étant le fait de deux personnages, les événements sont forcément racontés a posteriori. Sauf qu’à
plusieurs reprises, le lecteur assiste réellement à des scènes où il « voit » Toby ou Ren évoluer au milieu d’autres personnages et avoir des conversations avec eux. Pour le reste du
roman, tout n’est que description, description d’organisation ou comment chacun, chez les scientifiques et chez les écolos, a sa place. Il n’y a pas de psychologie (ou si peu), les personnages ne
sont pas aussi développés qu’ils le devraient (on passe quand même plus de 400 pages avec eux). Comme dans The Handmail’s Tale, Atwood excelle dans la description de sociétés sectaires,
parvient avec brio à décrire un futur possible (encore que pour The Year of the Flood j’avoue ne pas être convaincue par la description), mais pour dire quoi au final ? On loue chez
Atwood son ironie, ses compétences satiriques.
Certes. Mais l’appel à la fin du roman à écouter les «vrais» hymnes des Gardeners sur son site, m’ont laissée quelque peu songeuse. Je ne suis pas sûre qu’il y ait beaucoup de distance dans
ce livre. D’ailleurs je trouve qu’elle est moins pertinente dans ses idées sur ce futur possible, il n’y a rien de révolutionnaire dans ce qu’elle imagine comme si cette fois elle était trop
proche de l’imaginaire actuel pour être pertinente (l’idée d’un virus qui détruirait l’humanité n’est pas neuve quand même). Tout cela est vain. Les croissements qu’elle imagine entre certaines
espèces (lion et agneau, mouton et couleur de cheveu proche des hommes ou cochon avec des parties de cerveau humains) sont plaisantes mais finalement trop divertissantes pour être crédibles.
Quant aux Crakers qui deviennent bleu quand ils ont envie de coucher (et qui envoient des signaux avec leur sexe en érection), j’ai trouvé ça ridicule. Et puis pour dire quoi ? Que les
scientifiques font n’importe quoi ? Mais ce n’est pas vrai, la réalité est beaucoup plus complexe.
Acteurs interprétants certains passages du roman, notamment les hymnes.
Je n’ai pas eu l’impression en lisant ce roman qu’elle avait une distance critique par rapport aux Gardeners et à leur idéaux écolo-religieux. Elle les décrit avec bienveillance, se moque parfois
un peu mais finalement elle n’a pas un regard lucide sur ce qu’ils représentent. Personnellement, je trouve leur éthique de vie répugnante (ils s’excusent auprès des animaux qu’ils tuent par
mégarde, comme les insectes, ce qui doit leur apporter un réconfort énorme aux insectes de savoir que le mec qui les a écrasés s’excuse et fera une prière), leur dégout de la viande presque
ridicule (surtout quand on voit qu’ils en mangent pour survivre en l’année 25). Alors que dans The Handmail’s Tale, elle montrait les dérives du sectarisme, là il n’y a pas de
dérives. Les gardeners resteront unis jusqu’à la fin, et se retrouveront sur la plage dans les dernières pages du roman à célébrer la fin de l’humanité et l’avènement d’une nouvelle forme de vie.
Or toute position extrême (même écologique) entraine des dérives. La preuve avec les Crakers. Sauf qu’ils apparaissent ici comme naturels, exit leur origine génétique, exit la main de Crake, même
le déluge est perçu comme un événement de Dieu, ce que le roman ne relativise que très peu.
Visiblement il y aura une suite, comme le laisse penser la fin du roman. Mais qui sont des êtres qui avancent en chantant vers les hommes avec leurs torches ? Réponse dans le prochain livre
où elle nous décrira pendant 400 pages une autre secte mais pour toujours arriver au même point. Ceux qui liraient le livre en voulant en apprendre plus sur le déluge seront déçus. Rien n’est
finalement expliqué, on a juste quelques descriptions des symptômes. Ceux qui liraient le roman pour en savoir plus sur Crake et Jimmy, devront se contenter de quelques scènes et d’une
psychologie bidon d’adolescent (en fait Jimmy est amoureux depuis toujours de son amie d’enfance, c’est pour cette raison qu’il ne peut pas s’engager dans de nouvelles relations avec les femmes
et qu’il cumule au contraire les aventures… paroles rapportées de Ren, confirmées ensuite par l’intéressé lui-même). CE qui vu l’amplitude du personnage dans Oryx and Crake est quand
même très décevant.
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