Venise est aujourd’hui confrontée à la dégradation inéluctable de son patrimoine et doit envisager sa restauration. Mais cette situation a un prix au-delà du coût souvent très importants de ces efforts de conservation et de restauration : la déception des touristes…
Les édifices anciens, c’est vrai, ne cessent pas de se dégrader. Ils demandent donc à être restaurés. Ainsi disparaissent-ils quelque temps sous des sarcophages protecteurs. Les visiteurs qui viennent souvent de loin pour les voir, en sont du coup pour leur frais. On peut comprendre leur déception. Les photos qu’ils prennent ne peuvent ressembler à celles des ouvrages ou catalogues qui leur ont tant donné envie de faire le voyage. Mais comment faire ? (1)
Les travaux de restauration doivent souvent s’étendre sur plusieurs années et les édifices comme les lieux sont défigurés par les toiles gigantesques qui couvrent les échafaudages. Celles-ci peuvent bien parfois reproduire joliment en photo grandeur nature les façades qu’elles dissimulent, comme celles de Stephansdom à Wien (voir photo ci-contre). L’effet n’est pas le même. Surtout, la mode est aujourd’hui d’en faire des panneaux publicitaires à la discrétion des mécènes qui contribuent aux réfections en cours.
Des travaux de sauvetage à Venise
Venise réserve ainsi cet été ce type de désagrément à ses visiteurs, même si ce n’est pas la première fois. Depuis quarante ans qu’on s’y promène, quel quartier, chaque année, n’a pas eu son chantier ? N’est-ce pas à ce prix que cette ville unique au monde puisse survivre, agressée de façon si virulente par l’environnement inhospitalier où elle s’est établie au défi du bon sens, la mer et le sel marin ? Mais il faut avouer que les malheureux qui la découvrent pour la première fois, cet été, sont servis.
Son centre autour de la Place San Marco est méconnaissable. Quelle photo-souvenir en rapporter ? D’abord, aux abords du campanile, des palissades protègent le chantier qui procède à l’élévation du niveau du sol et de ses dalles et au renouvellement du réseau de drainage ; il s’inscrit dans le cadre global du projet de défense de Venise « Mose » qui doit dresser un barrage mobile aux entrées de la lagune contre les flots de « l’aqua alta », cette marée qui, sous l’action conjuguée du vent du sud et des pluies, depuis des dizaines d’années maintenant, envahit la place plusieurs fois par an, à hauteur de 40 à 60 centimètres sinon plus, et ronge l’assise des monuments.
Des travaux de réfection nécessaires
Dans le même temps, plusieurs édifices sont eux aussi en cours de réfection. Après la Tour de l’Horloge enfin rendue à la contemplation avec ses sonneurs maures après des années de dissimulation, c’est au tour de la basilique San Marco d’afficher une sorte de bandeau sur l’œil : sa partie gauche au-dessus de la tribune disparaît sous un gigantesque écran.
Auparavant, le visiteur, arrivé par les embarcadères de la Pieta ou de San Zaccharia, sera passé par le Ponte de la Paglia. Et là, première surprise, le Pont des Soupirs émerge à peine, englouti dans d’immenses toiles recouvrant d’un ciel d’azur les hauts murs du Palais des Doges qu’il relie à ses annexes de la prison. Cela fait déjà quelques années qu’il est ainsi encastré. Seule la publicité à changé : la marque automobile Lancia a laissé la place à la promotion d’une montre de luxe.
À peine le visiteur gagne-t-il la Piazzetta où se dressent les colonnes du Lion de San Marco et de San Téodoro, qu’est jetée devant lui cette fois sur la Libreria Sansoviniana une immense bâche vantant un parfum Yves Saint-Laurent, « La Parisienne », avec une godiche blonde en goguette feignant la surprise les yeux écarquillés, sur fond de silhouette de… Tour Effel dans un ciel d’aube ou de crépuscule. Cette publicité couvrait les abris-bus en mai à Paris.
La même surprise attend le visiteur sur le pont de l’Accadémia : le musée de l’Accadémia sur l’autre rive est enfoui, lui aussi, depuis plusieurs années sous les placards publicitaires d’une maison de prêt-à-porter Burberry qui, disent-ils, contribue à la restauration de la Galleria. On ne voit pas davantage la baroque Ca Rezzonico sur le Canal Grande en face du Palazzo Grassi et du paquet de cigarettes éperonné par un siège de bar, offert en vitrine aux fans de l’art contemporain prisé du milliardaire Pinault (2).
Même à Burano, l’île de pêcheurs aux maisons de couleurs, des quais le long des canaux sont en chantier : on y change les câbles et les tuyaux qui alimentent les riverains en eau, gaz, électricité et téléphone.
Le fatras d’une salle de spectacle en plein air
Mais, comme si ça ne suffisait pas, il a fallu voir, au mois de juillet dernier, la Piazza San Marco maquillée en salle de spectacle en plein air avec ses centaines de sièges alignés devant une haute scène noire couverte, dressée contre l’aile opposée à la Basilique, qui abrite le Musée Correr. Charles Aznavour y est venu chanter. Dans tout ce fatras, il était inutile de chercher à prendre une photo ! Impossible, de quelque côté que l’on se tourne, d’avoir une vue d’ensemble de la Piazza San Marco.
Si les travaux de sauvetage et de restauration sont évidemment prioritaires et ne souffrent aucune discussion, en est-il de même de l’envahissement et de la défiguration d’une des plus belles places du monde par une salle de spectacle en plein air réservée trois heures en soirée à quelques centaines de spectateurs ? Mais qu’y faire ? À quoi bon trépigner ? Le mieux n’est-il pas de se promettre de revenir ? Venise n’est pas une ville ordinaire que l’on visite une fois. La prouesse humaine qu’elle représente, – fût-ce au prix d’une police implacable qui sollicitait ses délateurs dans les quartiers par une boîte aux lettres anonymes, la « bocca di leone » – mérite qu’on y vienne et revienne pour s’imprégner de son décor grandiose comme de son étonnante histoire. Et, alors, une chose est sûre, on verra… que les échafaudages changent de place.
Paul Villach
(1) Paul Villach, « Petites jouissances secrètes devant l’art prisé d’un milliardaire à Venise », AgoraVox, 2 août 2010.
(2) Paul Villach, « Ces monuments sous échafaudage : comment concilier restauration et tourisme ? », AgoraVox, 1 septembre 2008.
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on ne peu construire l’avenir sans connaitre son passé, cela vaut pour les individus comme pour les nations et ces beaux monuments sont des livres ouvert pour qui sait les lire ….
Quand meurt la culture, on peut manipuler plus facilement les foules.
pire en grèce
Le budget de la Culture a été augmenté depuis la crise ces dernières années. Comment nier le contraire alors que c’est les chiffres qui le montre?
Mais il a baissé le budget de la culture en France. Au début du quinquennat qui se termine. Il a pu rester stable d’une année sur l’autre. J’en sais quelque chose, j’ai bossé 10 ans avec le Ministère de la Culture. Même si il n’est pas touché comme dans nos pays voisins. Je suis d’accord avec Jean-Luc, et je pense que si Sarko est réélu, et bien notre culture ressemblera à celle de l’Italie. On peut aussi le faire baisser mécaniquement, en lui affectant des responsabilités qu’il n’avait pas, tout en n’augmentant pas les fonds. Il faut regarder cette vidéo pour comprendre ce qui nous attend…
Je ne pense pas qu’on puisse dire que c’est pareil en France même si on peut toujours légitimement considérer qu’on ne fait pas assez pour la culture… Où est-ce pareil? La France est à ce jour le seul pays européen à n’avoir absolument pas touché à son budget « culture »… alors qu’il a été baissé de 30 à 80% partout ailleurs… Italie, Grèce, pays baltes où les salaires des personnes travaillant dans les domaines culturels ont souvent été baissé de 50% ou plus afin d’éviter leur disparition et bien sûr les risques de dégradation aggravés…
la culture n’est pas la priorité en économie libérale malheureusement!
Dans les Balkans et en Grèce, c’est absolument catastrophique…. l’art et la culture ne sont pas des priorités politiques actuelles… malheureusement pour nos enfants !
ça me semble logique, c’est pareil en France…