Aller au contenu

Yukio Mishima: un écrivain charnellement attaché au Japon (Littérature japonaise)

Votre séjour en Croatie est unique ; notre expertise l’est aussi! Pour mieux préparer vos vacances, consultez le guide voyage Croatie et téléchargez les Ebooks gratuits : conseils pratiques, idées de visites et bonnes adresses.  

 

Qui était Yukio Mishima, cet écrivain japonais à la réputation sulfureuse et au talent internationalement reconnu ? Deux essais permettent d’approcher la personnalité, l’histoire et en partie l’histoire de Yukio Mishima, un auteur charnellement attaché à la terre du Japon.  Marguerite Yourcenar dans Yukio Mishima ou la vision du vide dépeint un nationaliste par tradition, tandis que Jenifer Lesieur propose une biographie journalistique assez superficielle, sans analyse de la littérature de Mishima mais utile à la compréhension de l’homme.

mishima la mer de la fertilite

Yukio Mishima ou la vision du vide selon Marguerite Yourcenar

marguerite yourcenar mishima ou la vision du vide folioMarguerite Yourcenar, l’auteur des Mémoires d’Hadrien, premier académicien femme, livre en ce court essai une biographie littéraire de l’auteur le plus sulfureux du Japon. J’avais cru, à la première lecture il y a des décennies, que dame Marguerite était passée à côté de maître Yukio, sollicitée seulement par la spécialité qu’on lui attribuait volontiers, celle des amours interdites. Mais il faut lire cette prose admirable avec la lenteur qui convient. L’essai est plus profond qu’il n’y parait, s’ouvrant sur une épigraphe de William Blake, « l’Énergie est le délice éternel » et se terminant sur les mystères intimes du suicide par seppuku face à la foule.

Marguerite Yourcenar considère Mishima, mais sans le recul du temps, comme elle avait considéré Hadrien, en distinguant et reliant tout à la fois l’individu, l’œuvre et le personnage. L’individu ressort de la biographie formelle, l’œuvre des vibrations profondes de son existence en l’auteur, le personnage du masque qu’il prend en société. Mishima (nom de plume) est autre que Hiraoka (son vrai nom), mais il est lui en son intime, imaginé, magnifié, fantasmé. « Je est un autre », « Madame Bovary, c’est moi », le paradoxe du comédien (un écrivain en est un puisqu’il devient personnage) est que l’on est soi-même jouant à quelqu’un d’autre. Ce pourquoi il faut rechercher la vie dans les œuvres et le masque sur la vie. L’essai s’y hasarde avec pudeur et intuition.

Mishima, ayant eu l’enfance qu’on sait et l’adolescence chétive et tourmentée qu’il a décrite, est toujours resté écartelé entre Apollon et Dionysos, entre la froide raison (le personnage de Honda) et le feu de la passion (le personnage de Kiyoaki). « Dans tous les cas, repliement ou crainte précède l’abandon désordonné ou la discipline exacerbée, qui est la même chose », écrit Yourcenar p.17. Mishima se méfie de ses désirs, il ne s’y lâche que par l’excès orgiastique ou par l’excès obsessionnel d’ordre. Le soleil et l’acier. Avec ce mélange d’Occident grec et de Japon ancien, « le besoin presque paranoïaque de normalisation, l’obsession de la honte sociale, dont l’ethnologue Ruth Benedict a si bien dit qu’elle avait remplacé dans nos civilisations celle du péché » p.24.

Marguerite cherche à « voir par quels cheminements le Mishima brillant, adulé, ou, ce qui revient au même, détesté pour ses provocations et ses succès, est devenu peu à peu l’homme déterminé à mourir » p.86. Recherche un peu vaine, avoue-t-elle, mais qui rejoint le goût stoïcien sur le bien vivre qui est se préparer à bien mourir. Pas l’exotisme donc, d’un Mishima trop japonais pour être compris de nos sociétés occidentales, mais un universel qui rejoint l’antique – pour la transcendance, contre le matérialisme. A l’issue de l’existence il n’y a pas Dieu mais le Vide : le bouddhisme n’est pas le christianisme. La mort par éventrement est pour Mishima l’équivalent mâle d’un accouchement (décrit pour l’épouse de Yûichi dans Les amours interdites) ou d’un avortement (celui de Satoko dans Neige de printemps) : il s’agit de donner la vie – donc de mourir – par les entrailles, loin des enfumages de la tête ou des flambées du cœur. Donner la vie, donner sa vie, sont le serpent de l’éternel retour qui se mord la queue et enroule ses anneaux dans le Vide.

Ni fasciste, ni impérialiste, Yourcenar montre combien Mishima était nationaliste par tradition, charnellement attaché à la terre du Japon et à sa culture shinto, symbolisé par l’empereur-soleil. « L’erreur de grave du Mishima de quarante-trois ans, comme celle, plus excusable, de l’Isao de vingt ans en 1936, est de n’avoir pas vue que, même si le visage de Sa Majesté resplendissait de nouveau dans le soleil levant, le monde des ‘ventres pleins’, du plaisir ‘éventé’ et de l’innocence ‘vendue’ resterait le même ou se reformerait, et que le même Zaibatsu, sans lequel un État moderne ne saurait subsister, et reprendrait sa place prépondérante, sous le même nom, ou d’autres noms » p.107. Mais Yukio Mishima n’était pas un politicien, il ne prenait de la politique de son temps que ce qui pouvait servir à son dessein de témoigner de la Tradition. Son suicide est politique – les Japonais s’en souviennent encore aujourd’hui – mais vain puisque la société ne va pas changer pour un énergumène, même symbolique. Mishima en était conscient, lui qui était attiré par lui-même face au Vide. Il n’y a donc pas « erreur grave », à mon sens, mais fin personnelle, assumée, consciente, malgré les « excuses » japonaise que devront faire ceux qui restent à l’empereur, au gouvernement, à la société, aux lecteurs, à la famille, aux enfants…

têtes de Mishima et de Morita son second Time Magazine 1970

« Pour la première fois de sa vie, il a fait ce qu’il désirait faire », déclare sa mère après son suicide p.127. Marguerite Yourcenar trouve cette remarque « exagérée » mais elle me semble pourtant très juste : Mishima, par son acte individuel, est sorti des convenances et autres liens obligés de la société japonaise. Certes, il a revendiqué la Tradition et accompli son acte comme un ancien samouraï, mais c’est bien tout seul (avec son compagnon choisi Morita qui ressemblait à son amour collégien Omi), et non pas collectivement comme les kamikaze.

L’auteur classique Yourcenar, nourrie de latin et de philosophie stoïcienne, avait du mal à pénétrer la ferveur et la profondeur shinto d’une personnalité comme Mishima. N’écrit-elle pas également que Le soleil et l’acier est « un essai quasi délirant » ? p.89. C’est probablement cela, ce goût excessif pour la tempérance, qui m’avait gêné à première lecture. Je le relativise aujourd’hui, où la mesure sous toutes ses formes est passée de mode – au détriment d’un jugement juste et d’une pensée haute.

Marguerite Yourcenar, Mishima ou la vision du vide, 1980, Gallimard, 129 pages, réédité en Folio 1993, 132 pages, €5.93

 

Biographie de Mishima, un survol sans analyse de Jennifer Lesieur

jennifer lesieur mishima bioA qui veut connaître rapidement la vie réelle de cet auteur japonais sulfureux, ce livre pourra suffire. Il est une biographie de journaliste, vite pompée, vite écrite, vite oubliée. Un survol sans analyse, sans enquête personnelle, uniquement descriptif. Nous sommes loin d’une biographie littéraire, malgré le nom de Gallimard apposé sur l’édition. Avec même une erreur flagrante p.233 quand il est dit que « sous une chaleur accablante, il rencontre par hasard Isao, le fils d’Iinuma (…) Honda y aperçoit trois grains de beauté alignés, les mêmes que ceux qu’il avait remarqué un jour sur Iinuma ».  Il faut lire Kiyoaki et pas Iinuma !

En 16 chapitres courts qui se lisent en une soirée, une chronologie, une bibliographie, un cahier (très sommaire) de photos, quelques notes en référence, vous en saurez autant sur l’écrivain qu’une fiche Wikipedia, mais sous forme brochée d’un objet à classer dans sa bibliothèque.

Kimitake Hiraoka est né par hasard le 14 janvier 1925 et est mort volontairement Yukio Mishima le 25 novembre 1970.

  • Enfance tordue par une grand-mère névrosée qui l’arrache tout bébé à sa mère et ne lui rend, pour cause d’approche de l’agonie, qu’à l’âge de 12 ans.
  • Adolescence tourmentée d’un garçon chétif et très sensible qui n’a jamais eu le droit d’aller au soleil et de jouer avec les autres garçons.
  • Jeunesse qui s’émancipe enfin, avide d’air, de lumière et d’épanouissement physique (musculation, kendo, karaté) après un voyage en Grèce.
  • Maturité responsable avec études juridiques, concours du prestigieux ministère des Finances, mariage, production littéraire, deux enfants – fille et garçon.
  • Et puis l’approche de la vieillesse, du flétrissement physique, du relâchement des passions, de l’étiolement des idées, du succès qui passe.

Hiraoka, descendant de paysans par sa lignée paternelle, a adopté l’origine noble de sa grand-mère. Il a voulu mourir en samouraï selon le rite millénaire du bushido, la voie du guerrier, en quoi il voyait l’âme culturelle du Japon. Ce pays auquel il était charnellement attaché, depuis les arbres et les fleurs jusqu’à la mer et aux montagnes, aux nuages et à la pluie ou la neige. Il évoque cette nature dans ses œuvres mieux que Kawabata, son mentor dans les lettres, prix Nobel à sa place.

Yukio Mishima jeune

Il raconte dans Confession d’un masque  combien son enfance contrainte l’a rendu névrosé, l’attirant vers l’idéal qu’il ne serait jamais : le garçon mâle japonais à l’aise dans son corps et avec les femmes. Déviance sexuelle mimétique, désir pour ce qu’il voudrait être et qu’il admire : la beauté, la musculature, la force, l’aisance – lui qui mesurait à peine 1m60.

Hiraoka a été bien sage, Mishima son double en a trop fait. Auteur prolifique, il est maniaquement organisé (la névrose obsessionnelle, ce travers né de l’éducation japonaise). Il a écrit des feuilletons populaires autant que de grands romans littéraires, commis des films de série B comme des pièces de théâtre, s’est mis en scène nu devant les photographes, mimant saint Sébastien ou le samouraï brandissant son sabre. Il a été explorer les boites gay de Tokyo, sans vraiment y consommer, préférant l’anonymat des parcs ou l’exotisme du Brésil. Il a été bon père pour ses jeunes enfants, mais pas attaché à la fonction paternelle, les abandonnant par sa mort à l’âge tendre (11 ans pour sa fille Noriko, 8 ans pour son fils Ichiro).

Il faut dire que les exemples successifs de son grand-père et de son père l’ont fait mépriser la paternité, tous deux démissionnaires face aux mères, puis autoritaires à contretemps avec le fils.

Pour le reste, lisez directement les œuvres, cette biographie ne fait que les résumer sans approfondir.

Mishima de Jennifer Lesieur 2011, Gallimard Folio biographie, 277 pages, €7.51

Où trouver les oeuvres et romans de Yukio Mishima?

Pourquoi lire ou relire les plus beaux romans de Mishima…

Argoul

1 commentaire pour “Yukio Mishima: un écrivain charnellement attaché au Japon (Littérature japonaise)”

  1. Il était obsédé par le pessimisme et l’idée de souffrance …il a été au bout de ses visions en se suicidant dans la tradition japonaise en s’éventrant… On ne peut imaginer plus atroce comme fin volontaire…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

 

  1. Accueil
  2. /
  3. Derniers articles
  4. /
  5. ASIE
  6. /
  7. Japon
  8. /
  9. Culture japonaise
  10. /
  11. Yukio Mishima: un écrivain charnellement attaché au Japon (Littérature japonaise)