Zone de combat d’Hugues Jallon est un livre bien difficile à décrire. Ce n’est pas vraiment un roman, cela ressemble à un texte de fiction, assez déroutant et non moins intéressant, qui pousse le lecteur dans une réflexion sur la nécessité de lutter contre les évidences et les erreurs que produisent souvent les images.
« Vos sequelles seront durables mais peu nombreuses.Votre douleur sera faible mais constante croyez-le bien,en dépit de vos efforts admirables.(..)C’est sûr vous souffrirez. C’est fatal. »
Dès lors les individus qui parcourent ce texte de fiction ne s’identifient que par leur traumatismes: survivants d’attentat, parents s’imaginant sans cesse la mort de leur enfant, personnes ayant pris conscience de menaces nouvelles, plus proches d’elle (terrorisme, infections virales, scandale alimentaire). Car cette zone de combat s’est diffusée (par la télévision notamment) dans les espaces privés, contaminant tout le monde, créant une communauté de terrorisés.
« Croyez-le bien depuis quelques décennies nous nous étions habitués à vivre à l’écart tranquillement à distance loin des grandes tueries des guerres des massacres oubliés depuis plusieurs générations au moins et puis voilà, nous y sommes, nous avons commencé à recevoir des messages confus et menaçants, nous avons visionné par dizaines de mauvais enregistrements vidéo précédent ou suivant les attaques REVENDIQUEES PAR ATTRIBUEES A (…) Chaque jour qui passe, nous nous sentons manifestement plus proches les uns des autres ICI MAINTENANT ENSEMBLE nous partageons la même terreur, nous entreprenons de la chasser au profit d’une atmosphère bienfaisante. »
Seul conseil répété inlassablement tout au long du texte: ne formez pas d’images. Et le langage pour lutter contre les images répétées inlassablement par la télévision.
Ce livre m’a beaucoup fait penser au Onze de Pierre Michon, même travail sur le langage et même exercice de style. Là où Michon évoquait les relations ambiguës entre l’histoire et la fiction, Hugues Fallon s’attache à décrire une société post-11 septembre (même si l’événement en lui-même n’est pas complètement évoqué), une société caractérisée par la peur. Peur des attentats, peur des aliments, peur des virus. Au final l’auteur décrit une société vivant dans un flux d’images traumatisées et qui finit par prendre conscience de sa mortalité. Une société rongée par l’image et qui doit retrouver le chemin du langage. Langage qui lui-même peut devenir un instrument du combat comme en atteste la fin du roman.
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