A la nuit succède le jour est un récit de souvenirs de Pavlik et Natacha Schagall ; deux russes obligés de s’exiler après la révolution russe, alors que le monde qu’ils avaient toujours connu était en train de s’effondrer de l’intérieur. Une oeuvre entre amour, résilience et leçon sociale…
Mémoires croisées de deux Russes Blancs nés en 1897, rencontrés au front et mariés dans la foulée, avant de s’exiler en France via la Bulgarie en 1925. Ce livre de souvenirs, pieusement recueillis, traduits en français et en allemand et édités par leurs filles Irène et Tatiana, est destiné à l’édification des petits-enfants et arrière petits-enfants, Français depuis deux générations. Les éditions Atlantica en avaient édité une première version française en 2007, il s’agit ici d’une seconde édition.
Pavlik est né dans une bonne famille de Saint-Pétersbourg avec trois enfants. Son grand-père avait été serf avant de s’enfuir à la ville, où est devenu entrepreneur en construction. Natacha est née la même année dans la même ville, dans une famille de huit enfants originaire de vieille noblesse et au père officier. Tous deux ne se connaissent pas mais vivent une enfance heureuse, se souvenant des Noël glacials russes tout illuminés de bougies, de nourriture et de cadeaux, du printemps explosif qui donne envie de vivre, dans le nord russe, et des vacances d’été à la datcha de campagne où explorer la forêt, nager, et faire les foins avec les paysans.
Tout ce monde d’avant, immobile depuis des siècles, s’est écroulé de l’intérieur. Le tsar incapable et ses ministres comploteurs, le voyant Raspoutine et la guerre contre l’Allemagne, les soldats abandonnés faute de munitions et le peuple qui gronde de l’écart entre une élite corrompue vautrée dans les ors et la misère à la base. Lénine en profite pour faire son coup de main avant son coup d’État. Les grands mots de l’idéal se résolvent vite en grands maux pour la société. La racaille avinée se sert, à titre de revanche, et plus personne ne produit plus. Tout ce qui tenait la société s’écroule. Sauf le Parti, qui saura tout noyauter, voyant dans tout tiède un opposant comploteur.
Pris dans cette tourmente, sans idées politiques, Pavlik devenu capitaine au front, est chargé de l’instruction du premier bataillon féminin de volontaires, créé de femmes venues de toute la Russie et de tous âges entre 17 et 50 ans pour faire honte aux soldats déserteurs et à l’anarchie de fin de règne. C’est là que, dans l’honneur et le devoir, Pavlik rencontre Natacha. Ils fuiront ensemble, maladroitement et sans but, avant de s’exiler de façon définitive. Leur Russie a disparu à jamais.
C’est une belle histoire d’amour, récit croisés de souvenirs intimes écrits à deux mains, unies pour le meilleur comme pour le pire. Je me demande cependant ce qu’est devenu le petit Nikolaï, frère cadet de Pavlik de 13 ans plus jeune, abandonné à 11 ans à Sébastopol. A-t-il vécu jusqu’à l’âge adulte avec sa sœur Maroussia, mariée de fraîche date et qui disparaîtra dans les camps staliniens des années plus tard ?
C’est une vérité édifiante sur les soubresauts de l’histoire, comment un grand pays s’est brutalement effondré sur lui-même en quelques mois. Tsar faible, noblesse obnubilée par un mage fou, conduite de la guerre laissée sans organisation.
C’est une leçon sociale, combien le ressentiment attisé par les politicards idéologues pour accaparer le pouvoir à leur seul profit rejette de larges pans de la population, pas hostiles à l’origine. Craignez les Che Guevara, Chavez, Grillo et autres Mélenchon ! Leur baratin manipulateur engendre la haine, la jalousie, la violence, et tous ces sentiments bas du tréfonds.
C’est un exemple réussi de résilience, comment un officier valeureux et respecté se mue en entrepreneur du bâtiment en Bulgarie, avant de refaire une nouvelle fois sa vie en France avec sa femme, sous-officier du tsar puis institutrice de maternelle après des études d’agronomie.
Pavlik et Natacha Schagall, A la nuit succède le jour, 2012, éditions Baudelaire, 250 pages, €18.53