Partons à la découverte du Maroc berbere pour un trek randonnée dans les montagnes et les paysages bucoliques de l’Atlas… Vivez un voyage aventures de 1000 km à pied sur la piste berbère Amazigh…
Amazigh, la piste du Maroc berbère
Découvrir le Maroc Berbere. Douzième jour de marche, j’avance seul sur un sentier qui me jette sans tarder dans le ventre de la montagne et j’attaque un raccourci de pentes raides et glissantes où coulent des filets d’eau glacée. Au-dessus, des crêtes surplombent des collines couvertes de belles cédraies. A l’est, des chaînes de montagnes fauves et pelés grelottent sous une fine couche de neige éblouissante, s’étirent dans l’horizon. Dans ces montagnes où il n’y pas âme qui vive, mon corps plein d’une force étrange, d’un dynamisme puisé sans doute dans l’énergie invisible de la nature, m’entraine continuellement vers le sud. Ce paysage bucolique de hauts plateaux et de montagnes forestières ne se trouve qu’à 250 kilomètres à vol d’oiseau des dunes du Sahara. Magie de la géographie.
Les gelées matinales sont cinglantes mais c’est en cette saison printanière que l’Atlas se révèle pleinement, même si nulle fleur ne vient encore contrarier le paysage, même si aucune violette ne souille la neige d’une tâche de sang pourpre. Ici, dans ce Maroc berbere, le vert et la terre suffisent amplement et surtout, l’air saturé de résine et d’humus se boit à petites gorgées comme un thé délicatement parfumé.
Me sentant en meilleur forme et de plus en plus proche du Haut-Atlas, j’essaie désormais de m’arrêter dans chaque village, histoire de tenter de comprendre ce pays. Je sais que je ne les visiterais jamais assez mais ils me montrent leur présence et je renifle leurs odeurs. Je suis un voyageur frustré car je sais pertinemment que je ne fais qu’effleurer l’épaule de ce pays. Cette frustration est heureusement moins vive que si je le traversais en train ou en voiture. La marche ralentit l’effet. Elle permet d’emprunter des chemins sans issue pour se perdre où le hasard emmène. C’est sous la dictée dédaigneuse du destin que je m’égare à longueur de journée. Je traverse donc des hameaux isolés, sans nom – ou du moins je n’ai pas vu de pancarte – encadrés de paysages d’ocre, d’émeraude et de neige. Les habitations se fondent avec un surprenant mimétisme dans leur environnement. La maison berbère est le plus souvent de terre crue et de toit plat. Le soir, la lumière glisse peu-à-peu le long des montagnes vertes et la nuit est dans la lumière. Je me fais ombre et je fais dormir cette ombre sous la fine toile de ma tente. Ici, il y a le silence, le vent, le vide, la brûlure du soleil l’été et la morsure du froid l’hiver, et l’abandon de la vie au cœur des éléments. Comment ne pas vivre mieux ?
Un pâté de maisons à l’est de Kasba-Tadla. Il m’a fallu six heures pour atteindre ce plateau, une immense étendue de petits champs pierreux au creux d’une vallée de lave aussi éprouvante que n’importe quelle autre montagne. Derrière moi, je remarque une silhouette avec un enfant dans les bras qui vient d’apparaître. Elle ne se doutait pas que j’étais là. Elle avait dû s’approcher par-derrière, je ne l’avais pas remarquée. Elle reste peu de temps et me lance un regard hostile, derrière son voile. Je reconnais les traits d’une vieille femme. Elle saisit l’enfant comme si ma présence l’avait menacée et s’éloigne en trainant les savates sans me gratifier un mot.
Tandis que le soleil décline, j’approche de la dernière des trois habitations avant que la piste ne s’étire au loin: une maison de pierre et de terre entourée de grenadiers. Tintlelli, la maitresse de maison, apparaît vêtue de la superposition de châles colorés que portent les femmes berbères. Elle est aussitôt suivie de son fils Aksim, un jeune homme d’une vingtaine d’année. Je leur demande si je peux passer la nuit chez eux ou planter la tente près de la maison. Sur leurs gardes, ils me prient d’entrer. Je m’asseye pour prendre le thé dans la chaleur du salon de pierre, à côté du métier sur lequel elle tisse des tapis avec la laine de ses moutons. La pièce, un peu ombreuse, prend jour par une minuscule fenêtre. Tandis que son mari travaille comme cuisinier à Marrakech et ne rentre que très rarement au foyer, elle et son fils restent ici pour s’occuper du troupeau et des plantations – une situation que je vais découvrir par la suite très courante, et qui fait que les femmes berbères se retrouvent chef de famille pendant plusieurs mois d’affilée. Aksim a appris le français à l’école. Il me raconte que récemment, sa mère est tombée d’une mule et s’est cassé la main. Il n’y avait aucun médecin à proximité pour l’aider et aucun moyen d’en appeler un. Les médecins sont rares dans la région et on ne trouve quasiment pas de pharmacie, de postes téléphoniques ni de bureau de poste.
– Il faut aller jusqu’en ville, il n’y qu’un bus par jour et parfois il ne vient pas à cause de la neige. Personne ne monte jusqu’ici pour voir comment nous vivons, m’annonce Tintlelli d’une voix arbitraire, serrant son foulard rouge sur son menton tatoué. Les politiques ne viennent qu’en période électorale pour nous promettre des choses qu’ils ne feront jamais.
Elle égrène une série de doléances.
– La piste est en mauvais état, il faut presque deux heures pour aller jusqu’à Kasba-Tadla ou Béni-Mellal. Je n’ai pas l’eau courante et il n’y a qu’un puits pour le tout le monde. Si mon fils part faire des études, je vais rester ici toute seule, et puis il y a le froid, cette année c’est terrible, dit-elle.
– Il n’y a rien à faire pour améliorer la situation, dit son fils, Aksim, il faut juste savoir être patient et espérer que ça va changer un jour.
La nuit est tombée, Tintlelli allume une lanterne et, tandis qu’un tajine de poulet et de pommes de terre mijote dans la marmite, elle commence à travailler à son métier. Assise le long du mur, jambe écartée, elle tisse un tapis avec des bouts de laine. Elle travaille dans l’obscurité et je n’aperçois que son visage derrière les fils du métier, ses deux mains qui passent les brins de laine et le bruit régulier du peigne métallique, ce bruit qui bien des mois après mon retour me trottera encore dans la tête. Sur son front ridé, je lis le harcèlement des soucis, je décèle le voile d’une tristesse. Son fils, assis en tailleur, file la laine de trame en continuant à me parler.
– Le mouvement Amazigh, tout le monde s’en fiche ici, on souhaite simplement ne pas être oublié.
Je demande au jeune homme si lui aussi est favorable à l’enseignement de sa langue natale à l’école, le tamazight.
– Non. Nous ici, nous ne voulons pas divulguer notre langue. C’est les gens des villes qui souhaitent l’apprendre pour pouvoir faire du commerce à la campagne.
Une femme entre, un bébé dans les bras. C’est la voisine, elle vit seule et recherche un peu de compagnie. Je semble l’offusquer en demandant le prénom de son enfant.
– Il est trop jeune. Il n’a pas encore de prénom, m’explique Aksim, jusqu’à l’âge de quarante jours, l’enfant est considéré comme un ange. Il entre ensuite dans le monde des vivants et on pourra lui donner un prénom.
Devant mon air dubitatif, Aksim traduit les paroles de sa mère qui tient à m’expliquer les difficultés d’enfanter, les femmes accouchent souvent seule.
– J’en connais qui on coupé elle-même le cordon de vie. Il est fréquent chez les femmes de ne pas survivre à l’accouchement ou de perdre deux ou trois enfants, un de mort pour un de vivant, c’est cher payer.
La cruauté du climat fait qu’on meurt souvent avant d’avoir vécu, ou si peu. La mortalité infantile atteint les 40% dans certaines vallées isolées.
– Allez raconter au monde entier que notre vie est dure me lance Aksim à huit heures du matin, en acceptant l’argent que je lui donne en échange de son hospitalité. On n’a pas d’argent, pas de route goudronnée, on n’a rien du tout ici!
Les gens font preuve de bonté et d’attention à mon égard. L’accueil des marocains n’est donc pas un vain mot. En témoignent ces nombreuses invitations fleurissant chaque jour et embaumant mon périple. Dans l’ensemble, les marocains me considère toujours d’égal à égal, comme l’un des leurs, comme un ami, comme un frère bien souvent. A titre d’exemple, cette voiture de police qui m’arrête subitement sur une petite route de campagne pour s’enquérir de ma forme physique. Le policier veut simplement savoir si j’ai besoin d’aide, d’un rafraîchissement ou d’un service qu’il se ferait un honneur de me rendre. Grande leçon d’humilité que d’être spontanément et chaleureusement aidé sans arrière-pensée, de constater cette générosité fondamentale et honnête. Introspection inévitable et parfois douloureuse sur la notion de l’accueil, tant dans notre propre esprit que dans nos sociétés occidentales.
Les salutations d’Aksim m’accompagnent longtemps alors que je descends lentement le chemin boisé pour entamer le dernier tronçon de mon périple avant le Haut Atlas. De grandes parois verticales de calcaire annoncent déjà ses prémices. Entrer dans la montagne est toujours une expérience multidimensionnelle. L’atmosphère des contreforts est grise et rose. Les maisons en terre rouge. Une végétation passant du palmier à l’olivier, puis au cactus, au cyprès et au pin. De temps en temps je rencontre sur ma route un troupeau de chèvres aux poils luisants brun foncé, ou de moutons à épaisse toison, quand ce n’est pas un de ces petits ânes au cul délicat qui trotte, trotte.
Lilian Vezin
Découvrez le film et le récit de voyage sur le site Vent du large
Pour aller plus loin :
Site web: http://editions-ventdularge.e-monsite.com/
- Xinjiang, territoire interdit - Juil 3, 2014
- Mekong ; fleuve d’aventures - Juil 3, 2014
- Les Asturies via l’autoroute de la mer - Sep 23, 2013
C’est un plaisir de rencontrer Lilian au cours de son grand eploie, j’étais ému de partager avec lui un moment dans un village au haut atlas ça ma rappeler ma grande traversé du haut atlas en 51 jours!
Félicitation et bon courage
Driss Hemmi