La scène artistique indienne fait preuve d’un beau dynamisme ; ses acteurs, hommes et femmes, abordent toutes les formes de création, de la peinture à la sculpture, des installations à la vidéo et à la photographie. Le Musée d’art contemporain de Lyon en offre un réel aperçu, dans le cadre de son exposition « Indian Highway IV » (jusqu’au 31 juillet 2011).
Pas moins de 31 artistes proposent leurs créations dont les thèmes, pour la plupart, abordent, souvent de manière dérangeante, l’état de la société indienne contemporaine.
Sans doute l’œuvre la plus spectaculaire de cette manifestation est-elle Take off your Shoes and Wash your Hands (2007), de Subodh Gupta, une structure d’acier inoxydable de 25 mètres de long où sont rangées des centaines d’ustensiles de cuisine, subtile alliance du ready made cher à Duchamp et des équipements domestiques indiens. J’avais déjà évoqué cet artiste qui travaille sur la société de consommation dans un article de décembre 2010, consacré à « La Route de la soie » (Le Tri postal, Lille).
Le même métal sert à Valay Shende pour sa sculpture, Transit (2010), la reconstitution en bouchons d’inox d’un camion et de ses passagers aux silhouettes fantomatiques (tant en cabine que dans la benne arrière), de grandeur naturelle qui aurait mérité une salle un peu plus vaste. Dans un esprit assez proche, autour des problématiques de transports urbains et de leur durée de vie limitée, Jitish Kallat expose deux sculptures, Aquasaurus (2008) et Autosaurus Tripous (2007), un camion citerne et un taxi-triporteur sous forme de squelette, à l’image des dinosaures de nos musées. Deux autres squelettes, de vache, cette fois, constituent l’installation de Sudarshan Shetty, Double Cow from the Show Love (2006). Un marteau vient frapper le pis de bronze de l’une des vaches à l’approche des visiteurs…
Autre installation, de Shilpa Gupta, I Keep Falling You, un gigantesque essaim constitué de microphones interroge le visiteur dans une semi-obscurité, tandis que Hema Upadhyay propose une maquette urbaine tridimensionnelle réalisée en produits de récupération, 8 feet x 12 feet (2009). On notera encore une intéressante série de photographies de Tejal Shah, réalisée sur le thème des expériences de Charcot sur l’hystérie, Hysteria : Iconography from the Salpetrier Series (2007-2009). Etonnante est également l’installation de Thukral & Tagra, Put it on (2011), la reconstitution d’une chambre à coucher particulièrement kitsch, décorée d’un papier peint discrètement érotique et de toiles, sur le thème du sida et du préservatif.
On pourrait bien sûr citer d’autres artistes, comme Sheela Gowda et son étrange forteresse constituée de barils d’essence, Darkroom (2006), mais mon coup de cœur va définitivement à N S Harsha pour sa toile Come Give Us a Speech (2008). Cette œuvre aux dimensions muséales (10,9 x 1,82 m) représente une foule de personnages, tous différents, significatifs de toutes les couches sociales de la population indienne, au cœur desquels s’égarent des personnalités politiques et artistiques mondiales, notamment un astronaute, Bill Gates, Gandhi et Marcel Duchamp portant son célèbre urinoir, tandis que son voisin semble tenir entre ses mains Roue de bicyclette (1913-1964). Il s’agit là d’un regard à la fois amusé et absurde sur le monde contemporain qui n’oublie pas de mentionner les menaces qui pèsent sur lui, comme la figure de ce terroriste kamikaze qui se fait exploser avec sa bombe.
Occidentalisation de la société, globalisation culturelle et économique, thématiques environnementales, précarité, mais aussi fatalisme et pesanteurs des traditions constituent les thèmes de la majorité des œuvres exposées. Thèmes, et non fil conducteur car on peine à en identifier un qui ne soit pas simplement la nationalité des artistes présents. Quoi qu’il en soit, cette réunion de créateurs engagés portant un regard critique sur le monde dans lequel ils vivent est une fenêtre ouverte sur un art en pleine expansion et trop peu connu du public français.
Illustrations : Affiche de l’exposition – Subodh Gupta, Take off your Shoes and Wash your Hands – Valay Shende, Transit – Thukral & Tagra, Put it on – N S Harsha, Come Give Us a Speech (détail, en haut, 3e de gauche à droite, Marcel Duchamp et son urinoir). Photos © T. Savatier.
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