Découvrez les trésors de l’égyptologie en m’accompagnant dans le Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre. Commençons tout naturellement aujourd’hui par la Crypte du Sphinx.
Mais qu’était donc le Sphinx, cette créature hybride et si fascinante?
Permettez-moi, en prémices à ce premier article, d’indiquer que mon but est, dans un premier temps, de vous inviter à m’accompagner à la découverte du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, à Paris, salle après salle, vitrine après vitrine.
Certes, m’objecteront les plus pessimistes d’entre vous, vu mon âge avancé – à 62 ans, je me considère dans l’adolescence de ce que d’aucuns nomment la vieillesse -, à la vitesse à laquelle je me promènerai avec vous dans le Louvre, nous n’arriverons jamais au bout des trente salles.
Peu me chaut, en vérité : l’essentiel ne sera-t-il pas de vous avoir communiqué quelques parcelles de ma passion et, partant, de vous suggérer de vous rendre véritablement dans ce Temple des Arts qu’est l’ancien palais des Rois de France ?
Si mon approche vous agrée, je me réjouirai de vous compter désormais parmi ceux de mes lecteurs qui m’accompagneront dans cette déambulation égyptologique.
Dois-je ajouter que je suis à votre disposition pour répondre aux questionnements qui seraient vôtres ?
Il est près de 9 H. du matin quand, pénétrant au Louvre par la petite et presque dissimulée entrée du 99 de la rue de Rivoli et descendant l’escalier vers la pyramide inversée,
j’arrive face à l’allée des boutiques qui conduit jusqu’au hall d’accueil.
Comme je n’ai pas de sac – un bloc de feuilles et un bic me suffisent -, nul besoin de déposer quoi que ce soit sur le tapis roulant ; et donc, nul besoin d’attendre avec les quelques rares visiteurs qui, comme moi, empruntent cette voie, mais ont un quelconque bagage à présenter aux rayons X.
Dans le Hall Napoléon, qu’abondamment éclairent d’une superbe lumière matinale les quelque 673 losanges et triangles de verre de la jadis tant décriée pyramide de Pei voulue par François Mitterrand, je n’ai plus qu’à me diriger vers l’escalator qui me conduit à l’aile Sully, dans la mesure où, bénéficiant de ce précieux laisser-passer d’Enseignant belge, j’évite toute file d’attente à la caisse, derrière tous ceux qui descendent par l’escalier hélicoïdal, entrée officielle du Musée pour des millions d’ »homo touristicus ».
Enfin, je suis dans « mon » Musée.
Mon coeur s’emporte à chaque fois que je me dirige – (que je cours, presque …) – vers cette section égyptienne que, d’année en année, je redécouvre avec toujours autant de plaisir, d’intérêt, de passion …
Après avoir contourné, pratiquement seul à cette heure matinale (quel bonheur !), les fondations médiévales de l’ancien Palais des Rois de France, du bout d’une passerelle en bois, j’aperçois enfin, éminemment majestueux, imposant, judicieusement mis en lumière sous une voûte qui l’encadre à merveille, LE sphinx. Colossal.
J’aime naïvement me persuader qu’il m’attend …
Depuis un an que nous ne nous étions plus vus …
Avouerais-je que, parfois, quand nous sommes complètement seuls lui et moi, je me prends à lui parler; un peu comme à un animal de compagnie …
Après ceux d’Amenhotep III, au bord de la Néva, à Saint-Pétersbourg, ce sphinx (A 23), avec ses 480 cm de long, 154 de large et 183 de hauteur, constitue l’un des plus grands conservés hors d’Egypte.
Il s’agit d’une statue de granite rose, pesant 12 tonnes, faisant partie d’une paire trouvée à Tanis, dans l’est du Delta du Nil. Acheté en 1826, ramené par Jean-François Champollion, trop lourd et trop délicat à transporter, le monument n’a pas quitté la crypte dans laquelle il est exposé depuis 1849.
(Le second sphinx de cette paire, au départ déjà en bien plus mauvais état, réside au Caire où, jusqu’en 1963, il fut exposé dans le jardin du musée. Dans un état actuellement encore plus déplorable, les fragments qui en subsistent se trouveraient relégués dans la partie de ce même jardin non accessible au public.)
Est-il besoin de rappeler que cet « animal » hybride est composé à la fois d’un corps de lion et d’une tête humaine ?
L’Egypte étant le pays par excellence de l’hybridation, des représentations de la déesse Hathor au visage humain pourvu d’oreilles de vache, du dieu Thot à tête d’Ibis ou Montou à tête de faucon peuplent les départements d’antiquités égyptiennes du Louvre et des musées du monde entier.
Si tous sont des corps humains dotés d’une tête animale, pour les sphinx, il s’agit exactement de l’inverse : nous sommes en présence d’un corps animal surmonté d’une tête humaine. Mais quoiqu’il en soit, cette hybridation relève d’une tentative des Egyptiens de se donner une image de l’essence divine : la forme humaine évoque l’individuation de l’être, tandis que dans la forme animale se retrouve l’espèce tout entière.
Dans le cas des sphinx, l’individu en tant que tel est présent, – voire reconnaissable -, par son visage : c’est celui du souverain. C’est Pharaon, avec sa coiffure royale (le némès) et sa barbe postiche. Ce visage surmonte un corps léonin, parangon s’il en est de la force, de la puissance, de la supériorité physique. C’est donc par le truchement de l’animalité que Pharaon peut transcender sa condition humaine et participer du divin, tout en restant indéniablement une image royale, et non divine.
Ainsi, pour ce qui concerne le sphinx de Guizeh par exemple (sur lequel je reviendrai abondamment dans mon prochain article), tous les égyptologues – ou presque – s’accordent à reconnaître en lui l’image de Chephren, pharaon de la IVème dynastie, en tant que dieu Harmachis, divinité à part entière.
Les huit campagnes de fouilles sous-marines successives menées d’octobre 1994 à juin 1998 par le Centre d’études alexandrines (CEA) à l’extrême est de l’île de Pharos, dans le port d’Alexandrie, ont permis de découvrir un important ensemble d’une trentaine de nouveaux exemplaires de sphinx. Ils semblent tous provenir d’un même endroit dans la mesure où, chaque fois qu’une inscription mentionne un toponyme ou des divinités, il s’agit toujours du grand sanctuaire solaire d’Héliopolis ou de ses dieux. Parmi ceux qui ont déjà été sortis de l’eau, et bien que la plupart d’entre eux soient en granite rose ou noir, ces sphinx sont taillés dans les pierres les plus diverses : quartzite, calcite ou grauwacke. Grâce à l’analyse des cartouches royaux, on peut d’ores et déjà préciser qu’ils s’échelonnent de la XIIème dynastie (sphinx de Sésostris III, usurpé par Mérenptah, souverain de la XIXème dynastie) à l’époque ptolémaïque (sphinx de Psammétique II, troisième souverain de la XXVIème dynastie, particulièrement remarquable par ses dimensions : 3, 10 m de long, 1, 30 m de haut et 0, 90 m de large)
Sur celui qui nous occupe ici, dans cette crypte, des inscriptions hiéroglyphiques, manifestement des usurpations, se retrouvent à la fois sur le poitrail, les épaules et le socle. Elles font mention des différents pharaons qui se sont approprié l’œuvre : Amenemhat II, à la XIIème dynastie, Merenptah, à la XIXème et Chéchonq Ier, à la XXIIème.
Posé sur un socle dont la partie avant droite est fortement érodée, amputant ainsi une de ses pattes antérieures, l’animal a été sculpté dans la pose devenue traditionnelle et qui fera référence durant toute la civilisation égyptienne, période hellénistique comprise (ceux que je viens de mentionner ci-avant exposés notamment au Musée national d’Alexandrie le prouvant sans conteste) : pattes antérieures étendues à plat vers l’avant, pattes postérieures repliées et la queue s’enroulant soit sur la cuisse droite, comme ici, soit sur la gauche.
Quant à la tête du souverain, elle présente elle-aussi les caractéristiques les plus classiques désormais : le port du némès dont les deux pans retombent sur les côtés du poitrail et la tresse sur le dos de l’animal. Sur le devant plastronne l’uraeus royal, déesse se présentant sous l’aspect d’un cobra femelle en fureur, prête à cracher son venin brûlant, dressant sa gorge dilatée et personnifiant l’oeil de Rê, protecteur du roi.
De nombreux critères matériels : en fait des caractéristiques stylistiques, comme le pli du némès et l’aspect concave de ses pans, la largeur, typique de l’Ancien Empire, de la face ventrale de l’uraeus, les deux plis de peau interrompus et presque parallèles sur chaque flanc de l’animal, l’absence de veine sous-cutanée antérieure, le rendu spécialement naturaliste et extrêmement sobre de la face externe de la patte antérieure, ainsi que du jarret, permettent de dater ce monument, sans discussion possible, du début de l’Ancien Empire.
Peut-être, dès lors, serait-il un portrait de Snéfrou, premier pharaon de la IVème dynastie, et père de Chéops ?
(Cherpion : 1991, 21-40 ; Corteggiani : 1998, 29-30 ; Zivie-Coche : 1997, 19-22 et 31)
Par souci de déontologie, mais aussi pour permettre à ceux d’entre vous qui le désireraient de compléter leurs connaissances, j’indique en note infra-paginale de mes articles les ouvrages que j’ai compulsés.
En cliquant sur les noms d’auteurs ci-dessus, vous serez automatiquement dirigés vers un des quatre dossiers « Bibliographie » de mon blog et y trouverez la référence complète du livre cité.
Un article riche et passionnant. Je n’y connais guère en matière d’art égyptien, mais dès qu’un reportage passe sur France 5 ou Arte, je ne le rate pas. En attendant avec impatience les prochains articles.
Merci Daniel.
En espérant ne pas vous décevoir par la suite …