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Au-delà d’Eboli ; ville emblématique du Sud « misérable » en Italie

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rapinoja-dscf5526.1282329332.JPG Eboli, c’est la ville emblématique du Sud misérable que décrit l’écrivain et peintre antifasciste Carlo Levi, relégué dans le Mezzogiorno par Mussolini, dans son livre fameux ‘Le Christ s’est arrêté à Eboli” porté à l’écran par Francesco Rosi.

Un peu plus au sud, dans cette région qui revit et se défait des stéréotypes, dans le parc national du Pollino, sous l’égide de l’association Arte Continua, un programme de sculptures et d’installation en plein air voit le jour, dans des petits villages de montagne, au bout de routes incertaines, sur des crêtes ventées, me rappelant mon expérience sicilienne de l’an dernier.

Anni Rapinoja Skycleaner

Commençons par les cimes : à San Paolo Albanese, petit village peuplé d’Albanais de Skanderberg, l’artiste finlandaise Anni Rapinoja a planté, avec l’aide des habitants, des gratte-ciels : des balais de genêts attachés à des branches fichées dans la terre, sur une colline près du cimetière. Ces Nettoyeurs du ciel (Skycleaner), bien alignés, 13 rangées de sept, forment une forêt magique de paratonnerres, d’éoliennes, de lances : défi au ciel, rituel des saisons (changer les genêts tous les ans), rite à la fois domestique et mystique, protection de la terre et des hommes.

holler-dscf5528-1.1282329267.JPG Moins écologique, plus emblématique et tout aussi aérien, l’oeuvre de Carsten Höller, RB Ride, est un carrousel (’una giostra’) fabriqué par la firme espagnole Roblès Bouso (RB) et récupéré dans un parc d’attraction. Installé sur un col venteux à plus de 1000 mètres au-dessus de San Severino Lucano, près d’un poste de vigiles de feu de forêt, surplombant les vallées et les bois, ce carrousel bariolé tutoie le ciel. Ses touches multicolores détonent au milieu du vert sombre des pins; sans doute, la nuit, brillant de tous ses feux, il doit sembler mystérieux et extra-terrestre aux habitants des villages de la vallée qui lèvent les yeux vers le ciel. S’installer dans une des douze nacelles ombellifères, c’est partir dans un long voyage au-dessus des hommes, contempler le paysage, holler-dscf5528-2.1282329279.JPG forêts et sommets, au loin un lac artificiel bleu turquoise, se rapprocher du ciel, de l’être suprême ou des anges. Car, et c’est là toute la magie du dispositif, au lieu de procurer des frissons cinétiques de fête foraine, ce carrousel tourne avec une infinie lenteur : il faut douze minutes pour faire un tour et, pour peu que l’aimable préposé au fonctionnement ne soit pas pressé, rien ne vous empêche d’en faire plusieurs. Alors, peu à peu, dans un silence absolu, la méditation se fait jour, le monde terrestre s’estompe, et, contemplant les cieux, on s’abstrait de tout. Les ombres des nacelles, comme des roues dentées, nous rappellent au sol, à la pesanteur, au réel.

Revenu sur terre, on peut imaginer le théâtre végétal de Penone, au bord d’un fleuve à sec près de Noepoli, mais il faudra patienter, le temps que les arbres poussent autour de la scène, comme une cervelle de pierre. Et je n’ai pas vu les installations de Nils-Udo et de Claudia Losi, faites en collaboration avec les habitants, ni celle de Rondinone dans la collection Berlingieri, toute proche.

kapoor-2.1282329294.jpg Mais il est temps de plonger sous terre. A Latronico Terme, dans une prairie au-dessus des thermes, un renflement oblong, tel une éminence pénilienne, soulève la terre; il est fendu de tout son long par une tranchée d’un blanc éclatant dans laquelle il faut s’engager, par des marches ou par une rampe. Dans la fraîcheur relative du fond, sous les lèvres plantées d’arbustes, une des parois est brune, ombrée : il faut un instant pour que l’oeil kapoor-dscf5515.1282329306.JPG s’habitue et discerne une grotte, un creux, une excavation rectangulaire, de la taille d’un écran de cinéma, mais face auquel on ne peut avoir aucun recul, aucune distance, on doit se laisser absorber. Earth Cinema, d’Anish Kapoor est une pièce terrestre, infernale, sexuelle, qui évoque la copulation avec la terre, la fertilité primitive. Et c’est aussi une installation sur le spectacle, sur la représentation, sur l’absence de distance du spectateur. Que voyons-nous sur cet écran ? L’histoire du monde, géologie et mythes ?

Ainsi va-t-on, entre ciel et profondeur, entre anges et bêtes, explorant rites magiques et méditation silencieuse dans les monts du Pollino.

Photos de l’auteur, excepté la 1ère photo Kapoor, de Sandra Traverso. 1400ème billet du blog.

Marc Lenot

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