Mon propos ce matin sera different de tous ceux
que j’ai eu l’habitude de tenir jusqu’à aujourd’hui. Ni fait divers, ni
souvenir, ni rappel de l’Histoire, ni jolie carte postale. C’est une fiction.
« Rien à voir avec la réalité » me demanderez-vous ? Et je vous
répondrai : « Rien à voir, puisque c’est un conte ».
..Elle s’appelle Mary, elle est anglaise. Au
cours d’un séjour à Graceland, le « pays des vallées enchantées, des
nuages blancs et des fleurs de lotus », elle est tombée amoureuse de Somchaï,
séduisant professeur d’université. Coup de foudre réciproque. Histoire presque
banale, sauf qu’elle vient d’un milieu « conservateur », et lui – si
on osait la comparaison avec la Grande Bretagne – serait plutôt
« travailliste ». Depuis quelques décennies, le « pays des
vallées enchantées et de fleurs de lotus » est secoué de graves crises
politiques qui obligent chacun à prendre position. Une partie de la population
contre l’autre. Si l’entente de Mary et
de Somchaï est quasi parfaite, il en est tout autrement sur le terrain de la
politique. Pourtant, sans jamais
chercher à la convaincre, mais du fait de son seul rayonnement silencieux et
tranquille, Somchaï a fini par rallier Mary
à ses idées et à ses convictions.
Mary, celle que l’on considérait comme l’étrangère, hermétique à la complexité
de ce pays du « Milieu de l’Asie » (on dit 中国
« Zhong Guo » en chinois), finit par porter un autre regard sur ce
pays de soie ondulante, gracieusement posé sur le bronze de la répression. Pays
d’opérette où l’on chante et boit beaucoup pour oublier la rigueur brutale des
saisons. Il faut un peu de temps pour comprendre un pays de soleil généreux,
lorsqu’on vient des froides brumes londoniennes.
Somchaï et Mary sont maintenant sur la même
longueur d’onde. Accord total, presque parfait, si toutefois ce mot avait un
sens lorsqu’il s’agit de sentiments humains. Et puis un jour – alors qu’elle est loin de lui et que seul un
fil invisible les relie – la violence explose et le sang est répandu
dans ce doux pays des rizières. Elle a peur pour lui, il la rassure. Son pays
est le « pays des nuages blancs et des lotus » l’aurait elle
oublié ? Pourtant la rage se propage dans tout le pays jusqu’aux provinces
les plus éloignées, et les communications deviennent de plus en plus difficiles
à obtenir. Une nuit, alors qu’elle l’interroge une fois de plus sur sa
sécurité, elle l’entend lui répondre : « Oh moi, je n’ai rien à voir
avec ces agitateurs, ces opposants… »
Mary ne comprend plus, est-ce bien l’homme qu’elle aime qui lui parle avec
cette étrange désinvolture ? Elle insiste, mais n’obtient rien de plus
qu’un vague : « Excuse-moi je suis avec un professeur, nous sommes en train de prendre un
verre ». Mary ne peut fermer l’œil
de la nuit, et dès le lendemain, interroge à nouveau son amant. Il lui dit tout
simplement : « J’ai peur ». « De quoi » ? Questionne t’elle inquiète. « La police
est partout, ils sont comme des chasseurs, ou plutôt non, ce sont eux le bêtes
noires traqueuses. Ils sont devenus une sorte de gouvernement de l’ombre. Deux de mes amis proches sont détenus pour interrogatoire.
D’autres ont disparu. Le temps de la répression est arrivé. Alors je suis pour
le parti en place à présent, je n’ai plus le choix ».
Mary, dans ses brumes londoniennes, a alors compris
que pour survivre, il fallait parfois aller jusqu’à renier ses propres idées. Pour
garder sa liberté d’agir plus tard sans doute. A moins que ça ne soit tout
simplement pour rester en vie ».
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