Erez, un jeune Israélien, est soldat dans ce célèbre fort où il découvre la guerre et tous affres et où il revient quelques années plus tard comme officier à la tête d’une section de commando formatée pour faire la guerre. Mais, l’opinion publique se retournent contre l’armée et les politiques abandonnent leurs soldats qui ne peuvent que subir et se faire tuer pour une cause qu’il ne comprennent plus.
« Si l’enfer existe, c’est à ça qu’il ressemble : la forteresse de Beaufort ! » C’est la première impression d’Erez, car Linaz ça ne fait pas assez viril pour son supérieur hiérarchique, un jeune soldat israélien qui découvre cette forteresse pendant la guerre du Liban à la fin des années quatre-vingt-dix. Il affronte le froid, la saleté, la puanteur, la promiscuité, la peur, … et la mort de son ami, décapité par un obus.
Quelques années après, Il revient dans ce fort à la tête d’une section qu’il a formée comme «une machine de guerre » pour combattre pour son pays. Il va transcender ces gamins à peine sortis de l’adolescence, leur inculquant l’esprit de corps, la solidarité, la fraternité, le sens du sacrifice et du devoir envers la patrie. Mais, progressivement, la guerre s’enlise, les combattants se terrent dans leur forteresse, les supérieurs rechignent à se battre, le pays ne croit plus en ses troupes, la guerre perd tout son sens et les soldats se demandent se qu’ils font là et pourquoi ils se feraient tuer pour une cause qui n’existe plus.
Ce roman c’est en fait, l’histoire de la déroute des troupes israélienne au Sud Liban au tournant du millénaire. Tsahal qui avait l’habitude de triompher de ses ennemis sans coup férir avec l’appui de tout un peuple mobilisé, se trouve brusquement mis en échec par une guerre qui n’en n’est plus réellement une. Les soldats sont cantonnés dans leurs fortifications et subissent les assauts des ennemis sans pouvoir riposter. La guerre a changé, le combat s’est déplacé sur le front de l’opinion publique et la manipulation de l’information paralyse le pouvoir politique et fragilise les soldats qui se plaignent : « de chasseurs, nous sommes devenus gibiers,…Nous ne sommes plus que des cibles qui encaissent sans riposter, des cibles dans l’attente des coups. »
Ces soldats abandonnés par les leurs, livrés à la vindicte d’un ennemi mille fois plus motivé et soutenu par le monde entier, pour qui « la guerre est un rêve, la paix, un cauchemar… ! ». Comme Barbusse en permission à Paris, ils éprouvent cette profonde scission que s’instaure entre le peuple et son armée. « Tout le pays grouille de gens qui n’y comprennent que dalle à l’armée, mais savent mieux que tous ce qu’il faut faire. » Ces soldats qui ne comprennent pas que la guerre ne se gagne plus les armes à la main mais dans les médias, auprès de l’opinion publique et qui ne sont plus que des pantins qu’on manipule pour leurrer les populations. « Ca a bousillé les mômes d’entendre à la radio qu’on ne croit pas à ce qu’ils font. » Et, le retour au pays se fait dans l’incompréhension, l’incrédulité, le déphasage, avec la honte, les séquelles, les gueules cassées, et tout ce qui ne sera pas dit… qu’on ne peut pas dire.
C’est aussi l’histoire de ces grands adolescents devenus des hommes sous le feu de l’ennemi qui ont tutoyé les limites de l’humanité, approché les frontières de l’enfer et sont devenus des seigneurs de la guerre, des capitaines Conan, frères d’armes qui ne seront jamais compris et qui auront toujours une certaine difficulté à revenir dans le monde civil dont ils ont remis en cause nombre de valeurs y compris la religion. Ces hommes qui ont repoussé les limites de la vie là, où ceux qui n’ont pas combattu n’iront jamais et ne comprendront jamais ce qu’il s’y trouve. Et, « … si la paix n’est pas établie d’ici là, je veux que mon fils connaisse ce que j’ai connu, les défis, les souffrances et la peur. Parce que ça m’a poussé à regarder le monde d’une manière différente, à découvrir les choses les plus essentielles à mes yeux : l’amour de la famille, l’amour de la vie, leur fragilité. » Faut-il vraiment tant de souffrance, de douleur, de morts … pour pouvoir comprendre tout cela ?
Et la vraie question qui reste en suspens à la fin de ce livre n’est pas de discuter sur l’inutilité de cette guerre mais savoir pourquoi l’auteur la juge inutile. Serait-ce pour nous signifier que la guerre n’apportera jamais une solution pérenne à la cohabitation des peuples dans ce pays ou plus cruellement, pour nous rappeler qu’on n’a pas donné les moyens à l’armée de résoudre le problème comme elle l’aurait pu ? Et, pour ma part, j’ai la triste impression que Leshem fait partie de ceux qu’on appelle les « faucons » ceux qui croient fermement qu’Israël ne peut que détruire ses voisins et ennemis pour assurer sa pérennité et sa sécurité.
J’aurais préféré refermer ce livre avec une autre impression car c’est un bon livre qui commence comme le crépitement d’une uzzi dans une embuscade mais qui rapidement reprend le rythme de tout bon roman juif, ou presque, expliquant, expliquant encore et encore comme pour être sûr que le lecteur a bien compris le message.