Premiers pas en Bosnie Herzégovine, petite leçon sur l’histoire de l’ex-Yougoslavie
-« Puis-je te demander d’ou tu viens? », m’interroge Mirko, le chauffeur d’autobus en voyant bien, par mon sac a dos et mon accent pitoyable, que je ne suis pas de la place.
-« Du Canada »
-« En vacances? »
-« Oui, je fais le tour… des Balkans », lui repondis-je, en ne voulant pas mentionner ex-Yougoslavie pour ne pas raviver de mauvais souvenirs.
-« La Croatie n’est pas dans les Balkans » me repond-il, sechement.
Olala. Je croyais qu’invoquer une zone geographique, plutot qu’un ancien pays cree un peu artificiellement et dont le nom rappelle de lourdes souffrances, allait faire de moi quelqu’un de diplomate. Erreur. Beaucoup de Croates ont tellement ete touches par la guerre qu’ils ne veulent plus rien savoir de tout ce qui pourrait les lier a leur voisin, surtout Serbes
De Tito à la désintégration de la Yougoslavie
Le maréchal Tito a été le leader communiste de la Yougoslavie jusqu’à sa mort en 1980. Ne d’un père Croate et d’une mère Slovène, il croyait en la suppression des tensions ethniques et nationalistes et a réussi à créer un état assez homogène et juste pour chacun. Sa mort a été le seul événement qui a réuni tout les Yougoslaves (les Slaves du Sud) pour une journée.
La désintégration de la Yougoslavie aurait été presque sans heurt et naturelle si ce n’avait été du nationalisme démesuré du Serbe Milosevic, alors président de la République. Celui-ci voulait faire une état ou les Serbes dominaient, « la Grande Serbie ». Décidés a ne pas être gouvernes par des Serbes, les Slovènes et les Croates déclarent leur indépendance. Les Slovènes, plus industrialises et occidentalises, souhaitaient leur indépendance depuis longtemps
Etant un pays assez homogène, les dégâts ne furent pas trop graves (10 jours de guerre seulement). Les Croates, eux, avaient de fortes minorités serbes le long de la frontière. La, ça devenait plus complique. La Serbie entendait bien profiter du fait que des Serbes se trouvaient en minorité en Croatie pour s’engager dans une guerre de territoire. Si les ambitions de Milosevic n’étaient surement pas seulement nationalistes mais surtout une conquête de ressources et de bouts de pays, il s’engagea dans une campagne de désinformation pour faire peur et radicaliser les Serbes minoritaires (ça ne vous rappelle pas nos voisins du Sud, ça?). Des fondamentalistes Musulmans aux terroristes Croates, tout y passa.
Quand on a peur, on se défend, quand on croit que tout devient une attaque personnelle, on riposte. C’est un peu ce qui est arrive en Croatie, la rébellion des Serbes croates et la destruction de plusieurs villes. Du reste, l’indépendance de la Croatie semblait elle aussi assez logique, puisque mise a part les régions frontalières, le reste du pays était majoritairement Croate et catholique.
Mais la Bosnie avait été un modèle exemplaire de tolérance avec environ 45% de Musulmans, 20% de Croates et 30% de Serbes. Tout ce beau monde se considérait Bosniaque avant tout. Mais avec la guerre de territoire de Milosevic, la situation allait se dégrader. Les Serbes avec la Serbie, à la limite sur la frontière avec la Croatie, les Croates avec les Croates, mais que faire des autres Bosniaques? Et puis si des régions étaient Serbe, Croate ou Bosniaque en majorité, il y avait bien toujours les minorités de ces mêmes peuples, donc toujours le même problème. En détruisant l’équilibre Bosniaque de cohabitation, la Bosnie devait devenir un champ de bataille incroyablement meurtrier
Accords de paix Dayton, 1995
Le conflit s’est terminé par un accord de paix, parrainé par les Américains. La Bosnie devait rester la Bosnie, sans annexion ni a la Serbie, ni a la Croatie, mais en créant une sous-république, la Republika Srpska, a prédominance serbe, a l’intérieur de la confédération de Bosnie-Herzégovine (elle, a prédominance Croato-Musulmane). Je ne sais pas en quoi ça a vraiment pu calmer les esprits. Si un jour la Republika Srpska décide de déclarer son indépendance ou de s’annexer a la Serbie, il y aura invariablement une guerre de Bosnie 2.
En attendant, la paix est bel et bien revenue en Bosnie, il y a encore des tensions, et encore pire une division du pays, mais on est loin de l’absurdité de la guerre.
Déconcertante république serbe de Bosnie
C’est a Trebinje, dans la Republique serbe, que j’ai mis les pieds en premier. Une bonne idée de ce qu’il reste de la Bosnie. Gris, sale, sans trop d’activité économique. Incroyable, mais je me sens un peu comme dans un village colombien, avec une touche de village tchèque pas trop favorise d’il y a 10 ans.
De beaux monuments montrant ce que la Bosnie avait accompli avant la guerre, la tolérance: une petite mosquée, une église catholique, et une superbe église orthodoxe chapeautant la colline qui domine la ville. Dominance serbe, vous dites? Eh oui, et malheureusement, ça risque d’être comme ça à Trebinje pour toujours, maintenant.
Voici l’église orthodoxe ou plutôt la cathédrale Hercegovačka Gračanica qui surplombe Trebinje et sa rivière. L’intérieur est très coloré et vraiment superbe. Quelle différence avec les églises catholiques!
Les montagnes derrière ont été dévastées par le napalm pendant la guerre, et ça peine a repousser. Il parait que c’était complètement vert auparavant…
L’Herzégovine ; Apocalypse et renaissance à Mostar
Mostar, deuxième plus grande ville de BiH (plus court que son nom au complet, et par respect pour les Croates je n’écrirai pas seulement Bosnie qui elle, est majoritairement musulmane, alors que Herzégovine est un peu plus croate). Les villes ne représentent pas toujours bien un pays, mais on y trouve toujours un part de vérité. Mostar, donc, est un squelette qui revit. Elle est reconstruite tranquillement, un peu chaotiquement parfois, mais elle revit, ce qui est l’important.
Il en ressort un dynamisme et un air de « déjà-vu-en-Croatie » qui surprend. Le retour des terrasses, des cafés pris entre amis, de la fierté de leur ville. Le centre historique de Mostar a été dévasté mais méticuleusement reconstruit, un vrai enchantement pour les yeux.
Il est midi, les muezzins depuis les mosquées lancent des cris, comme une lamentation: c’est l’appel a la prière. Les églises, elles, ne comptent pas se laisser enterrer et entrent dans une symphonie bruyante de cloches qui balancent. Si le son émanant des clochers est plus fort que l’appel des mosquées, les musulmans n’ont pas a s’en faire: les mosquées excédent en nombre et les minarets couronnent le coin de chaque quartier. Mostar avait été le symbole par excellence de cohabitation, la rive est (musulmane) de la rivière turquoise Neretva reliée a la rive ouest (croate) de la ville par un magnifique pont ottoman, vieux de quelques centaines d’années. Pendant la guerre, les Croates l’avaient fait exploser, détruisant du coup le symbole national Bosniaque d’unité. Une journée de lamentation nationale avait suivi.
Mais maintenant, il est de retour ce pont, plus beau que jamais. Et la ville renaît presque paisiblement. Mais quelque chose a été détruit. Les musulmans se sentent persécutés. Les Croates s’enferment dans leur quartier
Les balles…
Mais petit a petit les gens se rencontrent à nouveau dans le centre, prennent un café bosniaque (i.e. turc ou grec) ensemble, bargainent dans les boutiques d’artisanat. La Bosnie est un mélange incroyable d’architecture ottomane et autrichienne, qui n’en serait pas fier? Donc, petit a petit, les gens essaient d’oublier le passe. Mais pas toujours facile quand il reste beaucoup de bâtiments dévastés pas la guerre, omniprésents, rappelant que trop bien tout ce qu’ils ont perdu. Jamais je n’avais vu autant de trous de balles dans les murs de ma vie-meme la glorieuse Colombie m’avait donne une expérience assez pâlotte compare a ça. Et les édifices ont l’air de squelettes ou même pire de cadavre sans yeux ni dents. Mais ça reste impressionnant.
Alors, surpris par la BiH? Moi, en tout cas, je le suis. Et ne vous inquiétez pas, les gens ici sont trop fiers pour vous faire du mal. La BiH n’est pas du tout effrayante. J’étais beaucoup plus aux aguets a Mexico ou en Amérique centrale. Ici, je peux me promener calmement-avec les précautions qui vont de soi-sans avoir affaire autant a mon 6e sens. Et je me souhaite bonne continuation!
Sarajevo ; du mythe à la réalité
Sarajevo n’est pas la plus belle ville du monde, loin de la. Mais ce qui émane d’elle, en prenant soin de s’arrêter et de se laisser aller, était encore mieux que ce que je pouvais imaginer. Apres avoir vu Mostar, je m’imaginais fort bien le cote multiethnique de l’endroit, a plus grande échelle. Je vous propose donc une petite promenade a travers la ville du nord vers le sud.
Au nord, il y a le quartier turc, Bascarsija (et ses toilettes turques, elles aussi, et que j’ai pu expérimenter a plusieurs reprises..
Pas facile d’être une fille!, remarquable modèle réduit de ce que pourrait être la Turquie de notre imaginaire: bazar, mosquées, tapis orientaux, filles parfois voilées de couleurs vives.
Les cafés (turcs, aussi) s’entassent sur la place, tout comme les gens qui sirotent un bosanska kafa (cafe… turc) sur les terrasses. Ici, on prend le temps de profiter de la vie et de la présence des gens. Et ça se reflète d’ailleurs sur la manière dont les gens vous traitent, avec infiniment de bonté.
Plus loin, on quitte Bascarsija soudainement et entre sur Ferhadija, exemple parfait d’architecture autrichienne. L’empire ottoman a fait place a l’empire autrichien, et les deux ont bien laisse leurs marques. Ici aussi, on profite de la vie en lambinant, entre amis, entre les boutiques et les terrasses. Avec de la chance et un peu de sens d’observation, vous risquez de recroiser les mêmes gens deux, trois, et même quatre fois, pas toujours accompagnés des mêmes personnes. On croirait que les gens font les cent pas sur la rue en espérant rencontrer quelqu’un qu’ils connaissent. Et ce n’est jamais bien long, tout le monde ici semble se connaitre. Car Sarajevo a beau être la capitale bosniaque, on lui donne tout de même le nom de grand village, ce qui lui va bien.
Après avoir succombé à une de ces pâtisseries qui vous rendent heureux d’être en vie, je m’installe sur les marches de la cathédrale, un peu plus loin sur Ferhadija, et observe le paysage. La cathédrale est le lieu de rencontre par excellence pour tout le monde, et il s’en passe des choses ici!! La tzigane qui profite de la foule pour implorer tous les passants; le jeune en patins qui s’amuse a effrayer les gens mais qui vient de passer un de ces mauvais quarts d’heure parce qu’une dame a décidé de le sermonner vivement; les grandes retrouvailles entre amis…
Un vrai laboratoire humain, de quoi remplir les pages d’un livre en mois d’un mois!
Puis, en continuant ma route Ferhadija devient Marsal Tito (nom de rue qui, en ex-Yougoslavie, est aussi populaire que Plaza de Bolivar en Amerique du Sud!), on aperçoit la « flamme eternelle », qui brûle sans arrêt depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. En hommage aux gens décédés lors de ce conflit, elle était supposée représenter le symbole de l’unité des Slaves du Sud, i.e. les Yougoslaves. Et elle brûle toujours. Belle ironie dans cette Sarajevo dévastée par la dernière guerre, celle de Bosnie au nom de l’indépendance, mais peut-être aussi belle manière de regarder vers le futur…
Plus loin sur Marsal Tito, des vieux jouent aux échecs sur le pave du parc avec des pièces grandeurs nature. C’est le rassemblement, on croirait une partie de petancle!! Sur le trottoir, des traces rouges, que les gens de Sarajevo appellent les roses. Ces « roses » sont, en fait, des marques d’obus remplies avec une espèce de cire rouge. Les victimes de ces obus avaient généralement été des gens qui attendaient pour de la nourriture ou de l’eau lors du siège de la ville (qui a dure 4 ans). Subtiles, les roses rendent hommage aux victimes de la guerre, sans chercher a s’apitoyer sur le sort de la ville. Le passe est la, lourd, mais c’est vers l’avant que les gens de Sarajevo regardent, pas vers l’arrière!!
Et je continue ma ballade, en tramway cette fois (ces bons vieux trams tchèques qui ont des bancs chauffants!!), vers le sud de la ville. Ici, c’est le kitsch communiste a son meilleur! Wow, camarade Tito a fait du bon travail, on se croirait dans une carte postale défraîchie des années 70, ou les bâtiments soviétiques souvent inesthétiques semblaient être la fierté des communistes, l’accomplissement ultime.
Bref, si ce mélange d’Orient, d’Occident et de socialisme semble un drôle de melting pot, a Sarajevo, ce n’est pas bizarre ni disgracieux. Je pense a tout ce que j’ai vu de la ville et retourne a Bascarsija pour prendre un énième café bosniaque. Mes yeux tombent sur la fontaine centrale. On dit que si on boit de l’eau de celle-ci, on ne quittera plus la ville. Je n’ai pas bu. J’aurais peut-être du, mais j’avais surement peur que la tentation de rester soit trop grande…
J’espère au moins avoir aiguisé votre curiosité sur les Balkans pour vous donner envie de les découvrir par vous-même… La Bosnie-Herzégovine est un pays qui ne laisse jamais indifférent, où tout est source de questionnements et où les rencontres sont riches en enseignements.
Sarajevo, une magnifique ville que les touristes français oublient trop au profit de la côte Dalmate… Je vais à Sarajevo depuis 1996, j’y ai des très bons amis. Serbes…