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Chaleur du sang d’Irène Némirovsky

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Excursion dans la campagne du Morvan dans les années trente, quand Irène Némirovsky tentait de fuir la folie antisémite, avec ce petit roman qu’elle a écrit juste avant sa déportation et qui n’a pu être reconstitué qu’en 2005. Un merveilleux roman, court, romanesque mais tellement juste et si bien écrit, où elle peint cette société agraire où les pères  marient leurs filles pour agrandir leur patrimoine. Un roman féministe, un roman d’amour, un grand moment de lecture.

Belle excursion dans la campagne profonde du Morvan vers la fin des années trente mais aussi très fine incursion dans le monde morvandiau, dans cette société paysanne, refermée sur elle-même, qui édicte ses propres règles, prenant force de loi, et qui rend sa propre justice de façon à pérenniser cette organisation agraire et patriarcale assise sur la possession de la terre. Silvio, vieil homme qui vit en ermite au fond des bois, après avoir parcouru le monde, raconte l’histoire de sa famille, avec ses mariages arrangés, ses amours cachés, ses enfants adultérins…, toutes ces choses que l’on ne dit jamais mais que tout le monde sait.

Hélène et François racontent leur rencontre, leur mariage et tous les avatars qui ont conduit à leur union à la demande de leur fille, Colette, qui va se marier prochainement avec un jeune homme du pays qu’elle croit aimer mais son cœur brûlera vite pour un autre, comme celui de son amie Brigitte mariée avec un vieillard cacochyme. Silvio, regarde, se souvient et raconte l’histoire de cette famille qui est celle de bien des familles de la région et de nombreuses autres campagnes françaises. J’ai eu l’impression tout au long de cette lecture, de me retrouver sur les plateaux jurassiens quand j’étais môme, dans les années cinquante et soixante encore. Dans ces campagnes où l’on marie les filles avec un homme qui a du bien, où l’avoir compte beaucoup plus que l’être, où l’on n’échappe pas à son destin : le riche épouse la riche, ou la belle, et la pauvre, ou la moins belle, n’épousera qu’un pauvre peut-être même pas beau du tout. Brigitte et Colette, jeunes femmes belles et bouillonnantes, telle Constance Chatterley égarée sur les rives de la « Mare au diable», ne se contenteront pas de ces mariages arrangés et revendiqueront les droits de leur corps et de leur cœur mais devront, aussi, en payer le prix fort.

Un excellent roman écrit dans un style sobre et dépouillé qui n’a pas besoin de beaucoup de mots tant ceux qui sont utilisés sont justes et opportuns ; et tant le regard porté par l’auteur est précis et profond. On dirait qu’Irène a des générations de Morvandiaux dans son arbre généalogique, elle comprend ces paysans matois, rusés qui s’épient, se jaugent, sont en permanence à l’affût d’un bon parti ou d’une bonne affaire, comme si elle, aussi, avait été mariée avec l’un d’eux. Une certaine forme d’apologie de cette vie simple dans cette campagne pas encore altérée ; mais une apologie consciente des limites de cette société qui tolère mal les étrangers et ceux qui se sont mis en marge des règles de ce milieu.

Dans ce roman, Irène Némirovsky propose une belle analyse du couple épouse-maîtresse, des aspirations du cœur et du sexe, de la chair et des sentiments, de la passion et de la raison, pour défendre le sort de ces femmes qui ne sont pas que des monnaies d’échange mais aussi des êtres qui ont d’autres exigences et qu’  « il ne s’agit pas seulement des exigences de la chair. Non, ce n’est pas si simple. La chair, elle, se satisfait à bon compte. Mais c’est le cœur qui est insatiable, le cœur qui a besoin d’aimer, de désespérer, de brûler de n’importe quel feu… ». Elle explore aussi la notion de vérité qui n’est pas forcément toujours bonne à dire, un bon mensonge consensuel vaut parfois bien une cruelle vérité, de faute qui n’est pas pardonnée facilement et de punition qui est souvent bien sévère dans ces campagnes puritaines.

Une grande voix, une très belle plume, au service de la cause des femmes et de l’amour « … quelles belles folies que celles de l’amour ! Sans compter qu’on les paie à l’ordinaire si cher qu’il ne faut pas les mesurer parcimonieusement à soi-même ni aux autres. »

Denis Billamboz

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