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Exposition Art – Chaza Charafeddine : “La Divine comédie” à la galerie Agial de Beyrouth

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Chaza Charafeddine n’est pas le premier artiste contemporain à évoquer le thème de La Divine comédie de Dante Alighieri… Des photographies et des oeuvres quasi picturales qui s’éloignent du texte original et piochent dans l’art islamique classique pour conjuguer le passé et le présent et offrir une interprétation originale de la beauté, de l’hybridité et de la distinction entre les genres masculin et féminin …

La Divine comédie, ce chef d’œuvre de Dante Alighieri, a inspiré beaucoup d’artistes. Botticelli, William Blake, Bouguereau, Delacroix ou Gustave Doré en ont fourni quelques célèbres exemples d’interprétation. Face à un tel héritage pictural, un artiste contemporain, redoutant la confrontation, pourrait à bon droit hésiter à se hasarder dans une démarche similaire. C’est pourtant le défi qu’a choisi de relever la photographe Chaza Charafeddine lors de son exposition, organisée à la galerie Agial de Beyrouth.

Sans doute faut-il, en regardant ses œuvres, s’éloigner du texte original, et presque aussi parfois du thème. Cette artiste, qui s’était, jusqu’à présent, consacrée à la danse avant d’aborder les arts graphiques il y a trois ans, construit en effet sa Divine comédie avec une vision très personnelle : des photomontages qui, pour l’occasion, associent des modèles d’aujourd’hui à des fonds empruntés au passé.

Ces fonds appartiennent à l’art islamique classique, un art qu’il convient, avant de poursuivre, de définir afin de lever toute ambiguïté. Car cette terminologie soulève une évidente difficulté d’interprétation. On ne saurait confondre l’art islamique avec l’art musulman, dans la mesure où une large proportion de cette production reste profane ; mieux encore, une partie des œuvres qui la compose a été réalisée par des non-musulmans, parfois pour des non-musulmans. L’épithète « islamique » se référera ainsi, non à une composante religieuse, mais à une dimension culturelle qui inclura des œuvres de la période Mongole, des miniatures persanes du XVe au XVIIIe siècle, des peintures du sous-continent indien, jusqu’aux miniatures et gravures des XIXe et XXe siècles en provenance de la Turquie, de l’Egypte ou du Pakistan. Sur ces fonds, généralement très colorés, bariolés même, où les figures humaines, animales ou mythologiques abondent, Chaza Charafeddine superpose par collage informatique les modèles contemporains qu’elle photographie. Au gré de sa palette graphique, ceux-ci se trouvent souvent métamorphosés en êtres hybrides (chevaux ailés ou centaures à tête « féminine », paons à buste humain) ou en anges, lorsqu’ils ne représentent pas simplement la beauté, essentiellement féminine, comme le suggèrent les titres des œuvres.

Mais cette beauté interroge le spectateur, et c’est là l’originalité de la démarche. Car, dans un monde oriental à forte influence musulmane où les genres (masculin/féminin) doivent être par essence clairement définis, l’artiste choisit radicalement de jouer sur l’ambiguïté. Ses personnages affichent une androgynie qui trouble le regard, remet en question la notion de genre, convoque davantage encore l’esprit que l’œil, dans une approche singulière et, aujourd’hui, assez subversive.

 

Il convient bien de préciser « aujourd’hui », car, en choisissant de symboliser la beauté à travers l’indistinction sexuelle, Chaza Charafeddine renoue avec la tradition littéraire et poétique arabo-persane classique, voire avec les représentations picturales qui lui étaient contemporaines, et que l’on retrouve dans les miniatures ou les manuscrits enluminés. Le lecteur des Mille et une nuits se souviendra de Kamarasaman, ce jeune homme ayant le pouvoir de changer de sexe au gré des circonstances ; celui d’Aboû Nouwâs (vers 760 – vers 815) se rappellera que ce poète majeur avait su chanter indifféremment les jeunes beautés masculines et féminines que seules de subtiles allusions pouvaient permettre de distinguer.

Les photographies de Chaza Charafeddine transportent dans un univers baroque qui permet une mise à distance de la réalité ; elle met en scène ses modèles (tous masculins), en réélabore la personnalité pour créer des allégories, les charge du poids que font peser sur eux les yeux de spectateurs pris au dépourvu, au seuil de cet univers imaginaire, quoique délibérément oriental. Elle réinterprète les espaces tout en préservant la cohésion du personnage et du fond au cœur duquel il s’inscrit – un résultat qui ne s’obtient qu’au prix d’une composition rigoureuse et vigoureuse. Pour cette exposition, l’artiste s’est concentrée sur des œuvres de petite taille ; sa technique lui permettrait d’aborder de plus grands formats, mais peut-être souhaitait-elle ne pas trop s’éloigner des dimensions des images qui lui servirent de fond.

Sans doute sa vision troublera-t-elle certains esprits, dans un Proche-Orient dont les normes sociales s’accommodent mal de l’ambiguïté sexuelle, voire du corps lui-même. Et si, dans cette région du monde, le Liban semble offrir à ces notions un accueil plus libéral qu’ailleurs, les artistes pourront légitimement s’inquiéter d’une radicalisation religieuse croissante qui, toujours, nuit à la liberté créatrice.

J’en veux pour preuve la mésaventure vécue par une artiste que j’ai rencontrée, qui enseigne les arts plastiques dans une université locale, dans une section située en zone à majorité musulmane. Cette enseignante s’est vue, l’an dernier, interdire par la direction de son établissement l’étude du nu sur modèle vivant – une discipline pourtant incontournable, au même titre que le paysage et la nature morte. On voulait, au nom d’un puritanisme ubuesque, lui imposer d’habiller ses modèles, comme si le nu académique se confondait avec le voyeurisme égrillard ! Aucun règlement ne s’opposait pourtant à cette étude, pratiquée les années précédentes et par ailleurs enseignée dans d’autres sections de cette université, établies en zone chrétienne. Devant ce vide juridique, la professeure résista courageusement et offrit à ses étudiants de ne pas participer à ce cours s’ils s’y sentaient mal à l’aise ; une seule étudiante s’en alla qui, pourtant, aurait dû savoir ce qu’impliquaient de s’inscrire aux beaux-arts… Mais le courage de cette enseignante eut un prix : l’année suivante, la direction lui retira le cours qu’elle dispensait pour lui confier celui consacré… au paysage.

Illustrations : L’oiseau du Paradis I, Photographie, tirage sur papier, monté sur aluminium, 32,4×48 cm – L’Ange Gardien II, Photographie, tirage sur papier, monté sur, aluminium , 50×35,2 cm – Nour Jahan, Photographie, tirage sur papier, monté sur, aluminium, 50×40 cm © Chaza Charafeddine.

Thierry Savatier

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