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Du côté de la littérature italienne et des polars, voici un livre d’Amara Lakhous, « Choc des civilisations pour un ascenseur Piazza Vittorio ». Un roman dont l’action se tient à Rome, dans un quartier multi-ethnique de la Rome historique…
J’ai toujours aimé les romans aux titres alambiqués ou longs: celui d’Amara Lakhous n’a pas mis longtemps avant de rejoindre mon cabas lors d’un des mes passages à la médiathèque…d’autant plus que la directrice des lieux m’a incitée à le découvrir en m’en faisant une rapide présentation. Autre point positif, l’action se déroule à Rome, la ville éternelle qui m’a enchantée, et tourne autour d’un microcosme haut en couleurs.
Un homme est trouvé mort, assassiné sans aucun doute, dans l’ascenseur d’un immeuble sis Piazza Vittorio, au coeur d’un quartier dit multi-ethnique de la Rome historique. Cet homme était surnommé Il Gladiatore, Le Gladiateur, et faisait l’unanimité contre lui en raison de ses divers petits trafics. Qui a bien pu lui faire la peau de si vilaine manière dans l’ascenseur, lieu objet de nombreuses diatribes, disputes et discussion entre la concierge, une napolitaine gironde et au verbe coloré, et la copropriété? Ce ne peut être qu’un étranger et surtout pas Amadeo, autre habitant de l’immeuble, apprécié de tous, aimable, serviable, le seul à ne pas emprunter l’ascenseur (et à trouver grâce aux yeux de la concierge) et connaissant Rome comme sa poche! Pourtant, les soupçons pèsent sur lui car il a aussi disparu.
L’enquête est orchestrée par les récits des habitants de l’immeuble et le point de vue du commissaire Mauro Bettarini, en une musique aux accents les plus divers, scandée par les apartés enregistrés d’un Amadeo qui est là sans être présent, tel un filet discret et essentiel au centre d’une cascade bondissante. Les vérités de chaque témoins, proches d’Amadeo, convergeront vers la vérité inattendue sur la mort du Gladiateur, après avoir embarqué le lecteur dans le labyrinthe de la cohabitation de différentes cultures et de la peur, parfois inconsciente, de l’autre, de la différence. L’auteur tisse son récit en un patchwork bigarré, truculent, de personnages aussi dissemblables sur leur approche de l’autre qu’unanime sur leur appréciation de l’absent qu’est Amadeo.
Que dire sur ce roman sinon qu’il est enchanteur, qu’il emporte le lecteur dans la magie d’un récit tricoté au cordeau, un récit digne d’une grande comédie italienne au goût acidulé de l’ambiance mêlant le comique au tragique. L’histoire d’un homme qui parvient à se fondre dans le paysage romain, connaissant sur le bout des doigts la géographie particulière de la ville, son histoire, l’environnement politique et administratif; un homme lien invisible mais tangible entre les altérités et les cultures venues des quatre coins du monde. Amadeo, un ange pacificateur, dénoueur d’entrelacs et fédérateur des idées et des points de vue, Amadeo, celui qui a compris que la meilleure cachette réside dans le fait de se fondre au coeur d’une culture, l’assimiler et la faire sienne et vivre au grand jour sans être différent.
Amara Lakhous brode au fil des vérités les contours sinueux de la peur de l’autre, de l’incompréhension face à ce qui si dissemblable de nos habitudes de vie et de penser, des philosophies de comptoirs installées par des médias peu regardants et des politiques dont l’intérêt est que la méfiance envers l’autre soit un réflexe. Une photographie de tout ce qui peut séparer et réunir les hommes se révèle à mesure que les témoignages se succèdent, point de couleurs par point de couleur, celle d’un occident qui a su accueillir en son temps les disparités pour en faire une richesse et émerger un horizon plus large. Cependant, lorsque l’on décide de quitter son pays, sa culture et les siens, doit-on faire table rase d’un passé qui a construit chaque molécule de son être, qui a fait ce que l’on est devenu? L’altérité doit-elle s’oublier pour se mouvoir au gré de la nouvelle rivière qui accueille l’âme et le corps de celui qui est parti presque sans un regard en arrière? Doit-on devenir amnésique pour prendre un nouveau départ…au risque de connaître les hurlements intérieurs d’un coeur oublié?
« Choc des civilisations pour un ascenseur Piazza Vittorio » est le chant d’une différence qui se libère jusqu’à se fondre dans le quotidien et en devenir un élément essentiel. Une jolie leçon pour ouvrir les yeux et voir derrière le miroir qui masque une réalité que l’on n’a pas vraiment envisagée. Une très belle réussite où le rire naît d’une amertume pour se transformer en un fugace soupir entre les portes qui claquent et les vitupérations des matrones engoncées dans leur importance.
Roman traduit de l’italien par Elise Gruau
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