Plaisir des premières impressions. Nécessité de décortiquer les mots : « Baan paa khluay » = « maison, forêt, bananes » donc = « village des bananiers ». Arrivée de nuit, éclairage aux chandelles, panne d’électricité, même pas de lune. Nuit froide et humide. Restaurant au bord de la rivière. A côté de moi, la serveuse, cheveux teints en blond – non pas sur le modèle occidentale, pfffff…- mais selon la mode coréenne. Pour la mode occidentale, côté musique. c’est toujours « hotel California » des Eagles, mais les thaïlandais l’ont tellement adapté que c’est devenu un hôtel California thaï. La serveuse, dans le restaurant un peu endormi, discute à la table d’un client et lui demande : «Loung » (oncle) comment dit-on « paradis » (sawaan) et « enfer » (narok) en anglais ? ».
« Marie-mêle-tout » (c’est moi), intervient dans la conversation car « oncle » parle anglais avec un accent épouvantable. Je ne l’appelle pas « oncle » mais « petit frère, il est plus jeune que moi. « D’où es-tu ? » je lui demande. « D’ici » répond le petit frère. « Mais encore ? » « De Thaïlande. » « Oui mais… ? » « De Birmanie ». « Oui mais encore ? » Je remonte la filière jusqu’à l’Inde. La Birmanie où tant d’indiens ont émigré durant l’occupation britannique. La Birmanie d’Orwell, l’Inde de Kipling.
Pas de télévision mais des fous-rires à presque se rouler par terre, « oncle », ou « petit frère » est complètement allumé (sans alcool). « Cette région est vraiment internationale, il y a de tout ici : des Birmans, des Shans, des Tai Yaï, des Thaïs » Ca le fait rire aux éclats. C’est communicatif.
Dans le restaurant, pas de table ni de chaises, des coussins posés sur le sol. Comme avant. Onze heures du soir ! Comment ! Aucun film tv ne m’aura fait passer le temps aussi vite, aussi agréablement.
Ce matin, les buffles marchent lentement avec leur clochette au son clair et les chefs de troupeaux qui essayent de les canaliser le long de la rivière pour les diriger sur un petit chemin en direction de la forêt. Leurs appels, leurs rires, leurs invectives contre les récalcitrants déchirent l’air immobile. La rivière coule, pleine, lente mais forte, le ciel est plombé, les sommets de montagnes perdus dans les nuages. Les cris des coqs fendent l’air. Les chiens se répondent d’une berge à l’autre.
Réveil tonique sous une douche froide. Petit déjeuner avec doudoune. Les buffles s’éloignent. Quelques coups de fusil résonnent dans l’air. Le calme ? Quel calme ? Celui, souverain de la nature. Les oiseaux, le halètement d’une vache, le courant et son clapotis sur les berges de sable. Les fourmis ne font pas de bruit elles, mais elles sont omniprésentes. Elles ont trouvé le chemin des miettes. La première, en exploratrice, a appelé ses copines qui ont fait le buzz : « De la bouffe les filles, on y va ! »
Le temps est immobile mais l’air vibre de la vraie vie. « Y’a rien ici, pas de magasin, pas de cinéma, pas de clubs, pas d’usine » Une vieille maison en bois est à vendre au-dessus de la rivière. Dans la ville à côté, enfin à 5 heures d’ici, à Chiang Mai, mon appartement acheté 2,5 millions de bahts, après deux ans et demi, vaut maintenant 5 millions (quelqu’un est prêt à mettre l’argent sur la table me dit l’agence).
Quelle folie ! Bangkok émigre vers le nord avec son argent. En Europe, les pauvres émigrent vers le nord parce qu’ils n’ont plus d’argent (mais nous non plus).
Le monde est fou : « Entrez dans l’Europe, il n’y aura plus de guerre » ils disaient. « Entrez dans l’Europe, on vous donnera plein de sous pour faire partir votre économie » ils disaient encore. « Entrez dans l’Europe on vous prêtera plein d’argent » disaient-ils encore et encore. Des milliers d’immeubles se sont construits. Aujourd’hui ils sont vides. Les acheteurs potentiels n’ont plus d’argent. Les propriétaires ne peuvent plus payer les traites.
Ma petite serveuse hier soir voulait savoir comment on disait « paradis, « enfer »…. Le passage de l’un à l’autre est vraiment ténu.
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