Claude Chabrol, cinéaste français qui s’illustra comme l’une des principales figures de la Nouvelle Vague en France, est décédé à l’âge de 80 ans. Retour sur la carrière d’un amoureux du cinéma et de la bonne table… Evoquer Chabrol, c’est aussi explorer la société française au fil des dernières décennies, non sans un certain cynisme à l’égard de la petite bourgeoisie…
Nous apprenons ce dimanche 12 septembre la disparition du cinéaste français Claude Chabrol à l’âge de 80 ans.
Figure paternaliste du cinéma français, auteur selon un relatif équilibre d’autant de films sophistiqués que de navets improbables, Claude Chabrol restera comme l’une des principales figures de la Nouvelle Vague. Son décès survient la même année que celui de Eric Rohmer – avec qui il a écrit un livre sur Hitchcock en 1957 – et c’est bien tout une époque qui se range peu à peu des affaires et se réfugie dans nos souvenirs, à jamais impérissables car les films eux resteront.
Pour celui qui n’a pas encore attaqué l’oeuvre de Claude Chabrol, le chantier est immense. Le cinéaste lègue une oeuvre pléthorique de près de 60 films de cinéma, sortis à un rythme régulier et continu depuis ses débuts en 1959 avec Le Beau Serge. Fasciné par la télévision, il a aussi largement ouvré pour ce format là, avec une vingtaine de téléfilms réalisés, dont plusieurs adaptations de Maupassant ces dernières années pour France 2.
Adorateur de Lang et Hitchcock notamment, Claude Chabrol aura largement participé à la découverte des cinémas de ces génies du Septième Art. Comme quelques uns de ses confrères de la Nouvelle Vague (Truffaut, Rivette etc.), Chabrol s’est d’abord illustré en temps que critique dans les Cahiers du Cinéma, la revue chère à André Bazin et Jacques Doniol Valcroze. Chabrol y défend ardemment la politique des auteurs et participe à l’importation et surtout à la considération cinéphile de tout un pan du cinéma hollywoodien.
Claude Chabrol aura été, c’est une certitude, le personnage central de tout le cinéma français des cinquante dernières années. Ils sont peu, sinon Depardieu avec qui il a tourné bien sûr (mais il aura pour cela fallu attendre son tout dernier film en 2009, Bellamy), à avoir eu cette faculté à réunir autour d’une même table toutes les familles du cinéma français, celle élitiste de la cinéphilie parisienne aussi bien que la famille d’un cinéma plus franchouillard et populaire comme la France sait en produire beaucoup également.
La bonne table, certains la regretteront sans doute d’ailleurs, car on mangeait bien sur les tournages de Claude Chabrol, et cela fait partie de sa légende, si l’on puisse déjà user de ce terme. Mais Chabrol restera avant tout pour ses films, souvent pas moins délicieux. Le cinéaste aura sondé tout au long de sa carrière, avec acuité, cynisme, ironie, mais aussi une véritable tendresse, les petites manies perverses des uns et des autres, sa cible privilégiée demeurant le fameux notable de province, manipulateur, malsain et dangereux, et personnage emblématique du cinéma de Chabrol.
Chabrol aura noué quelques relations privilégiées, avec Stéphane Audran d’abord, son épouse pendant quinze ans (de 1964 à 1980), et la maman de son fils Thomas (né en 1963). La période est l’une des plus fructueuses de la carrière du cinéaste. Il dirige Stéphane Audran entre autre dans Les Bonnes Femmes (1960), Les Godelureaux (61), Landru (63), Les Biches (68), La Femme Infidèle (69), Le Boucher (70) , ou encore, après leur divorce, dans Poulet au vinaigre en 85 et Betty en 92.
Avec Isabelle Huppert, Chabrol tisse une relation différente mais pas moins complice, ou en tout cas pas moins prolifique. Le réalisateur lui confie dès 1978 le rôle un brin pervers de la meurtrière Violette Nozière dans le film éponyme. Il est le premier cinéaste probablement à avoir distingué chez l’actrice un potentiel pour les rôles troubles largement exploité depuis, et notamment par Chabrol lui même. Isabelle Huppert tourne sous sa direction dans Une Affaire de femmes (1988), obtient le rôle d’Emma Bovary dans la sublime adaptation de Madame Bovary de Flaubert en 91, joue également dans La Cérémonie (94), Rien ne va plus (97) ou encore Merci pour le chocolat (2000). C’est à elle aussi qu’il confie le personnage quelque peu controversé de Jeanne Charmant-Killman dans L’Ivresse du pouvoir (2007), variation autour de l’Affaire Elf que la juge Eva Joly instruisa.
Acteur à l’occasion, Claude Chabrol avait été vu en début d’année dans Gainsbourg (Vie héroïque) de Joann Sfar, dans une scène assez savoureuse dans laquelle il jouait le producteur de Gainsbourg.
La disparition quelques mois plus tard de Chabrol est pour nous complètement inattendue et représente un vrai choc. Il est une personnalité qui va manquer terriblement au cinéma français, pas seulement pour les films qu’il ne fera plus, quoi que les derniers ont été très inégaux, mais aussi parce qu’il avait un certain franc-parlé, une gouaille, un enthousiasme débordant et un amour du cinéma jamais nié. Merci pour tout Claude, pas que pour le chocolat, et repose en paix maintenant.
Benoît Thevenin
Filmographie cinéma de Claude Chabrol :
1959 : Le Beau Serge
1959 : Les Cousins
1959 : À double tour
1960 : Les Bonnes Femmes
1961 : Les Godelureaux
1962 : Les Sept Péchés capitaux (sketch)
1962 : L’Œil du Malin
1963 : Ophelia
1963 : Landru
1964 : L’Homme qui vendit la Tour Eiffel (sketch)
1964 : Le Tigre aime la chair fraîche
1965 : Paris vu par… (sketch)
1965 : Marie-Chantal contre docteur Kha
1965 : Le Tigre se parfume à la dynamite
1966 : La Ligne de démarcation
1967 : Le Scandale
1967 : La Route de Corinthe
1968 : Les Biches
1969 : La Femme infidèle
1969 : Que la bête meure
1970 : Le Boucher
1970 : La Rupture
1971 : Juste avant la nuit
1971 : La Décade prodigieuse
1972 : Docteur Popaul
1973 : Les Noces rouges
1974 : Nada
1975 : Une partie de plaisir
1975 : Les Innocents aux mains sales
1976 : Les Magiciens
1976 : Folies bourgeoises
1977 : Alice ou la Dernière Fugue
1978 : Les Liens de sang
1978 : Violette Nozière
1980 : Le Cheval d’orgueil
1982 : Les Fantômes du chapelier
1984 : Le Sang des autres
1985 : Poulet au vinaigre
1986 : Inspecteur Lavardin
1987 : Masques
1988 : Le Cri du hibou
1989 : Une Affaire de femmes
1990 : Jours tranquilles à Clichy
1990 : Docteur M
1991 : Madame Bovary
1992 : Betty
1993 : L’Œil de Vichy, une sélection des actualités du régime de Vichy
1994 : L’Enfer
1995 : La Cérémonie
1997 : Rien ne va plus
1999 : Au cœur du mensonge
2000 : Merci pour le chocolat
2002 : La Fleur du mal
2004 : La Demoiselle d’honneur
2006 : L’Ivresse du pouvoir
2007 : La fille coupée en deux
2008 : Bellamy
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