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La comédie musicale Roméo et Juliette en version bilingue hongrois et roumain

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Une vingtaine de minutes d’ovations ont salué l’idée  du metteur en scène Miklos Gabor Kerenyi de mettre ensemble des Capulets roumains et des Montaigus hongrois dans un « Roméo et Juliette » bilingue. Une proposition qui, dans un premier temps, a pris au dépourvu le public du Théâtre d’Opérette de Budapest venu, tel Orsolya, revoir la comédie musicale de Gérard Presgurvic.

Les artistes de Bucarest et de Budapest se sont donnés corps et âme à cet événement. Et là il ne s’agissait pas seulement de succès ou d’un acte artistique, mais d’une purification de l’âme, de la volonté de s’entendre. Je remercie les artistes qui ont rendu possible cette soirée ». Une large révérence devant le public et les artistes depuis un coin du plateau – le metteur en scène Miklos Gabor Kerenyi avait de quoi se féliciter.

« Il y a eu des gens dans la salle qui ne savaient pas qu’il s’agissait d’un spectacle spécial ce soir et qui ont été un peu surpris… N’empêche, ils ont beaucoup aimé le résultat… Le texte en roumain ne les dérange pas, car ce sont notamment les répliques en hongrois qui sont plus marrantes et donc le message passe très bien… »

Effectivement, les gens ont fini par se laisser emporter par le langage commun de l’art : musique, danse, voix, gestes. L’énergie créée sur scène a passé tout de suite la rampe, se réjouit George Càlin, producteur du spectacle roumain :
« Ils ont joué aussi bien qu’à Bucarest et aussi bien qu’à Budapest, mais avec les forces mises ensemble, la valeur du spectacle a été double. C’est sublime, pour moi en tant que producteur, mais avant toute chose pour les comédiens. Certes, les gens sont surpris au début, ne sachant pas comment ça pourrait marcher, mais en fin de compte on respecte une seule convention: celle du théâtre, qui dépasse les barrières des pays, des cultures et des langues ».

Pour comprendre comment un tel projet bilingue a été possible, il faut remonter un peu dans le passé. En 2001, la France fredonnait les chansons de Gérard Presgurvic pour la comédie musicale «Roméo et Juliette», des chansons devenues des tubes pratiquement du jour au lendemain. Une musique accrocheuse qui a déchaîné des foules partout dans le monde. France, Suisse, Belgique, Grande Bretagne, Pays-Bas, Autriche, Russie, Canada, Mexique et même Corée du Sud et Taiwan – cette franchise artistique a des légions de fans.

En 2004, la fièvre «Roméo et Juliette» gagnait aussi la capitale hongroise, Budapest, à l’initiative de Miklos Gabor Kerenyi. 4 ans plus tard, Kero, car tel est le pseudonyme du directeur du théâtre d’Opérette de Budapest, décide de copier-coller le même show à Bucarest. Et ça cartonne, une fois de plus… Toutefois, dans les capitales hongroise et roumaine, le spectacle n’a presque plus rien à voir avec le méga-spectacle français, à part la musique de Gérard Presgurvic. Cette fois-ci, Vérone est méconnaissable, glauque et underground. Capulets et Montaigus s’y livrent une guerre sans merci, digne d’un film d’action. Tout est intense, les conflits comme l’amour. Cela aussi parce que la scène est beaucoup plus petite que celle du Palais des Congrès, à Paris. La modernité est le maître mot de cette nouvelle approche, affirme Simona Nae, l’interprète de la Juliette roumaine :
« J’aime bien la version de Kero, parce qu’elle est très actuelle et parce que le public y réagit très bien. Le spectacle français est plus classique, plus romantique. Le nôtre a plus de comédie, plus de dramatisme, plus d’humour, on ne peut pas s’ennuyer en le regardant. Les danseurs, les personnages – Tybalt, Mercutio, Roméo – ils sont tous très actuels. La seule partie classique qu’on a gardée c’est l’histoire d’amour entre Roméo et Juliette, l’idée de l’amour pur, innocent. En même temps, le conflit entre les deux familles est beaucoup mieux servi, les Montaigus et les Capulets sont très durs, très puissants, très fermes et ça marche très bien auprès du public ».

La tension voulue par Kero pour l’histoire de Roméo et Juliette est épaulée par la danse. C’est toujours une Hongroise, Eva Duda de son nom, qui signe la chorégraphie, qu’elle décrit comme plutôt postmoderne :
« Je travaille aussi dans la danse contemporaine, et j’ai beaucoup puisé dans cette expérience. C’est pourquoi j’ai utilisé des éléments acrobatiques, du hip-hop, de la danse de rue. J’ai pris de ci de là pour créer cette ambiance ambiguë. J’ai écouté la musique de Presgurvic deux – trois mois avant le début des répétitions et lorsque nous avons commencé je savais déjà ce que je voulais faire – j’étais complètement préparée… »

Le langage est lui aussi beaucoup plus cru que dans la version française de cette comédie musicale. Un véritable défi, selon Ernest Fazekas, interprète de Tybalt à Bucarest. C’est bien lui qui a traduit en roumain le texte, non du français, mais du hongrois: « C’est mon premier essai en tant que traducteur. Cette comédie musicale, je l’avais découverte longtemps avant d’y jouer. Je l’écoutais en voiture, chez moi… Un an et demi après, le destin a fait que je sois invité à me joindre à l’équipe et que l’on me demande de traduire le texte. Je l’avoue, c’est effrayant de traduire une œuvre qu’on adore… C’est un risque énorme, mais je me suis dit que ça valait le coup d’essayer et il semble que le résultat n’est pas si mal que ça ».

Un Roméo parlant le hongrois et une Juliette s’exprimant en roumain, le tout dans une comédie musicale… En Roumanie comme en Hongrie, ceux qui jugèrent à mi-voix ce projet de « saugrenu » ne furent pas rares. Certains craignaient que la tragédie de Shakespeare ne renvoie d’une manière trop explicite aux vieilles disputes territoriales entre Bucarest et Budapest. D’autres, et parmi eux les artistes eux-mêmes, redoutaient un charabia inaudible, surtout dans les duos, vu que les deux idiomes appartiennent à des groupes linguistiques complètement différents.

Grâce à un travail de fourmi, les deux langues si différentes se sont finalement retrouvées en harmonie, voyelle pour voyelle. Mais comment peut–on communiquer avec son partenaire, alors qu’on ne parle pas la langue de l’autre ? Attila Dolhai (Roméo) et Simona Nae (Juliette), s’en souviennent :
Attila Dolhai – « Kero a dû nous arrêter maintes fois pendant les répétitions, notamment à cause des accents qui en roumain ne sont pas fixes, alors qu’en hongrois ils tombent sur la première syllabe. En plus, il n’y a pas le même nombre de mots non plus. Souvent je devais regarder les lèvres de Simona pour voir si elle avait encore une syllabe à dire ou si on pouvait terminer de chanter la phrase en même temps. Pour les parties de prose aussi, les textes en hongrois ont un certain rythme, différent du roumain. Comme je ne connais pas la langue roumaine, je me guidais d’après la respiration : quand Simona n’inspirait plus, je savais que c’était mon tour. »

Simona Nae – «Je me disais que ça n’allait jamais marcher : mettre ensemble le hongrois et le roumain. J’avais peur surtout de ne pas oublier les répliques. Car, lorsqu’on joue dans la même langue on réagit aux mots du partenaire, on sait ce qui suit ; mais quand il te parle dans une langue que tu ignores complètement … c’est très confus. Quand je répétais avec Attila on se regardait l’un l’autre et on commençait à rire : moi je parlais anglais, il me répondait en hongrois ; et quand on n’avait plus de solution, on appelait tous les deux notre collègue Ernest pour faire la traduction. Pour le reste on s’est compris juste en nous regardant l’un l’autre».

« Ce fut un peu amusant, parce que les artistes ne comprenaient pas les paroles les uns des autres, mais tous ceux qui ont vu le spectacle ont beaucoup aimé le résultat. A Budapest il y a eu déjà environ 400 représentations de «Roméo et Juliette», mais cette fois-ci, ce fut quelque chose de spécial. Non seulement ils ont chanté dans deux langues, mais les artistes roumains ont très bien joué».

Effectivement, le public de Budapest s’est rué sur les deux spectacles bilingues. C’est justement la rencontre avec les spectateurs qui a fait frémir Lady Capulet, la Roumaine Georgiana Mototolea :
« Ce fut difficile parce qu’on a évolué sur une scène où on joue «Roméo et Juliette» depuis 6 ans et parce que le public est habitué à voir des spectacles d’une très haute qualité. Nous espérons leur avoir offert ce qu’ils attendaient. En plus, nos collègues hongrois, nous ont beaucoup aidés ; ce sont de très bons artistes, ils ont une technique impeccable… Moi, je trouve qu’à la différence de l’esprit latin, les Hongrois sont plus réservés; mais ce soir j’ai vu un public extraordinaire… »

Star incontournable du théâtre hongrois d’opérette, Attila Dolhai (Roméo) a lui aussi observé que les spectateurs qu’il connaît tellement bien avaient réagi différemment que d’habitude à cette expérience bilingue :
« Le public a beaucoup aimé le spectacle, à ce que j’ai remarqué, et il a été très attentif. Les gens sont habitués ici à écouter les spectacles sans faire d’effort, mais ce soir ils ont dû être attentifs à plusieurs éléments. D’une part, c’est bien que ça finit après deux soirées seulement, car s’il y avait eu une continuité on aurait perdu la magie de cette expérience qui n’aurait plus été hors du commun. D’autre part, c’est vraiment dommage que ça finisse, car on s’habitue vite aux bonnes choses et on s’en sépare avec difficulté».

Mia, spectatrice :
« C’est un spectacle superbe. Je l’avais déjà vu plusieurs fois, mais cette fois-ci c’était unique. Je pense qu’il y a eu une très bonne «connexion» entre les deux nations et je pense qu’on a besoin de davantage de projets comme celui-ci ».

Juliette, les veines ouvertes, enlace Roméo, pendu. C’est sur cette image forte que le spectacle s’achève, donnant du fil à retordre. En fin de compte, nous dit Shakespeare, c’est grâce à l’amour que les deux familles rivales ont retrouvé la paix. Mais comment faire dans le cas des pays, par où commencer ? Capulet ou Montaigu, Roumanie ou Hongrie – ça n’a plus d’importance, quand on réunit ses forces pour créer de l’art, estime Miklos Gabor Kerenyi, le metteur en scène de «Roméo et Juliette» :
« J’étais persuadé que tous ces artistes très talentueux de Bucarest ainsi que ma très loyale équipe de Budapest, qui ont tellement bien donné de la chair et des sentiments à ce spectacle – j’étais donc persuadé qu’ils tomberaient amoureux les uns des autres lorsqu’ils allaient se rencontrer. Je pense que ce qui vient de se passer est très important ! Au-delà des langues, de la communication verbale nous pouvons nous embrasser et nous serrer la main. Et cela n’est pas du tout facile. Je pourrais pérorer un discours politicien, mais ce serait incongru. Ce spectacle est sur l’amour et pour moi cet amour à une signification beaucoup plus vaste dans ces moments quand deux nations, deux théâtres tombent amoureux. Nous nous trouvons désormais sur un chemin qui va de plus en plus loin ».

« L’amour contre la haine » a d’ailleurs été le slogan de ce binôme de spectacles hors série. Le metteur en scène Miklos Gabor Kerenyi n’a pas voulu occulter les rapprochements que le public pouvait faire entre l’histoire des Montaigus et des Capulets et les relations tourmentées entre la Roumanie et la Hongrie. Dans un décor qui rappelle l’intérieur d’une cathédrale catholique, mais décorée parfois de peintures orthodoxes, les deux familles s’entretuent sans trop savoir pourquoi. Une vision qui a amené même les comédiens à s’interroger sur certaines de leurs propres angoisses irréfléchies, explique Zoltan Bereczki, le Mercutio hongrois.
« Il y a une certaine alchimie mais surtout une tension entre Roumains et Hongrois. Or pour moi, cette tension a été un défi. Vous savez, il y a un bal masqué chez les Capulets, qui sont Roumains dans cette version bilingue. Les amphitryons parlent donc notamment en roumain. Les Montaigus doivent passer inaperçus et, lors de la première répétition, quand mon collègue qui joue Roméo m’a adressé sa réplique en hongrois, j’ai failli lui fermer la bouche. J’ai même pensé quelque chose du genre – « il faut se taire parce qu’on ne parle pas roumain ; sinon ils vont nous tuer »… C’était une réaction spontanée, qui a jailli à l’intérieur de moi-même. Je pense que partout dans le monde il y a ce genre de réaction, très humaine après tout… On ne parle pas à son voisin tout simplement parce qu’il est différent. Voilà pourquoi cette pièce est éternelle et nous avons tous à en tirer des leçons ! »

D’où vient cette méfiance ? Des siècles durant, c’est la Transylvanie, cette région du centre de la Roumanie, avec une forte communauté magyare, qui a notamment représenté la pomme de discorde entre Bucarest et Budapest. Après la première guerre mondiale, la Hongrie perd environ deux tiers des territoires qu’elle s’était faits siens à travers le temps. Parmi eux, la Transylvanie, une province à population roumaine majoritaire, qui est rattachée à la Roumanie par le Traité de Trianon, en 1918. Exacerbés durant la seconde guerre mondiale, lorsque la Transylvanie passe à nouveau, temporairement, dans le giron hongrois, pour revenir ensuite aux Roumains, les poussées nationalistes n’ont été qu’encouragés par les régimes communistes des deux côtés de la frontière commune. Le réchauffement des rapports bilatéraux va en s’accentuant depuis l’effondrement du camp rouge et surtout après l’adhésion de Budapest et de Bucarest à l’UE, en 2004, respectivement en 2007. Depuis 2005, les deux pays organisent périodiquement des réunions de gouvernement communes.

« Toutefois, même si la réconciliation opérée selon le modèle franco-allemand fonctionne sans faille au niveau institutionnel, un effort commun reste à faire au niveau des populations des deux pays, estime l’ambassadrice de Roumanie à Budapest, Irina Comaroschi, présente dans le public de “Roméo et Juliette”.
« La contribution d’un tel projet aux relations bilatérales est énorme. C’est un acte culturel qui montre qu’on se connaît déjà beaucoup mieux. Cela témoigne également du fait que les langues du monde se soutiennent les unes les autres. Toutefois, des réticences subsistent toujours au sein des populations hongroise et roumaine. Et là, j’insiste sur l’idée de la connaissance réciproque, en l’absence de laquelle on ne peut rien réaliser. Elle favorise la confiance, le respect, l’admiration et l’idée de créer quelque chose ensemble. Maintenant, c’est le tour de la société, des artistes, des créateurs de donner un statut à part à cette confiance. Ce spectacle n’a été imposé par personne, il est né grâce à l’imagination des artistes impliqués ».

On aurait pu s’attendre, dans ces conditions, à ce que ce spectacle roumano-hongrois soit longuement disséqué par la presse. Toutefois, à quelques exceptions près, le tonnerre d’applaudissements ne résonna pas beaucoup dans les médias de Bucarest et de Budapest. Un silence qui surprit certains, mais rassura d’autres, tels Andras Demeter qui, lorsqu’il n’est pas Frère Laurent sur les planches, est le conseiller du ministre roumain de la culture.
« Cela prouve que nous sommes arrivés enfin à une normalité des relations. Or la normalité, selon moi, ne doit pas être traitée comme quelque chose d’insolite. Elle est là, tout simplement. Tous les curieux qui ont voulu savoir comment cette rencontre artistique s’est passée, ont su trouver ce spectacle. Et cela suffit. C’était une rencontre naturelle, telle est notre séparation temporaire ! »

En février prochain, « Roméo et Juliette » seront de retour à Paris. Gérard Presgurvic a préparé de nouveaux habits et chansons pour ce titre qui l’a rendu célèbre dans le monde entier. Aux quatre coins de la planète, tous les spectacles appartenant à cette franchise sont tenus de faire peau neuve, sauf deux d’entre eux. Avec l’aimable autorisation de l’auteur français, pour lequel cette version reste « une référence », Hongrois et Roumains continueront de suivre la comédie musicale transformée en thriller noir avec la bande son originale. Et ce n’est pas tout. Presque simultanément avec la sortie parisienne, la version bilingue roumano-hongroise reviendra, elle aussi, pour deux spectacles exceptionnels, mais à Bucarest cette fois-ci. Le même succès fulminant y sera-t-il également au rendez-vous ? C’est ce que se demandent les artistes embarqués dans cette aventure écrite par un Anglais, revisitée par un Français et incarnée par des Hongrois et des Roumains.

Une émisson conçue et réalisée par Valentina Beleavski et Andrei Popov.
Photos – Mihai Gheorghe, Valentina Beleavski

http://www.rri.ro

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