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Courir de Michel Echenoz : la solitude du coureur de fond

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Emil sort tout juste de l’adolescence lorsque la Tchécoslovaquie est envahie par les armées du IIIè Reich. Il travaille dans une des usines de chaussures Bata, il n’aime pas vraiment le sport et encore moins courir. La guerre passe, lointaine pour Emil. Les chars russes libèrent son pays, une nouvelle époque commence: le communisme apporte joie et bonheur au peuple. Emil, toujours souriant et discret, travaille chez Bata et malgré son manque d’attirance pour le sport, se lance afin de ne pas déplaire et parce qu’il est discipliné, à participer à une course à pied. Ce sera le début d’une aventure hors du commun pour Emil qui ne s’appelle pas encore Zatopek. En effet, Michel Echenoz fait du mythique coureur de fond tchèque, le héros de son dernier roman.

Emil Zatopek, une légende, la légende de la course de fond, au style hallucinant tout en faux rythme, en déhanchement et en désordre: comment parvient-il à atteindre cette puissance de jambes, de coffre, tout en étant que souffrance sur le visage et arriver à peine essoufflé après une course sans concession? Il court et nous courons avec lui, nous souffrons, nous suons derrière lui, en compagnie de tous les sportifs qu’il laisse sur place. Nous regardons cette formidable machine à courir, sereine, souriante, d’un incroyable calme et d’une immense modestie, cette locomotive tchèque aux 18 records, héros improbable des JO d’Helsinski en 1952!
« Courir » est le récit du parcours d’un homme d’exception, étendard d’un système, modèle d’un idéal de combativité qui chutera lorsque l’envie de courir aura disparu, lorsque trop d’utilisation de son image, de son talent, l’aura usé, érodé et amoindri. Zatopek a été un étonnant outil de communication pour le régime communiste, une porte ouverte pour prôner l’avènement d’un monde nouveau. La légende, établie d’abord à l’intérieur des frontières tchèques avant d’éclater sous la pâleur d’un jour scandinave, a été instrumentalisée et derrière l’uniforme du lieutenant Zatopek, homme mélancolique au regard parfois lointain, se cache sans doute une individualité qui inquiète: peu à peu, Emil a du mal à courir ailleurs que dans le bloc de l’Est. Jusqu’au fameux printemps 1968, Emil vit une vie tranquille de sportif de l’Est mais la venue de Dubcek à la présidence de la République socialiste tchèque va bouleverser son existence! Le souffle d’un vent de liberté allège ses foulées et illumine son regard mélancolique. Las, le rêve prend vite fin et Zatopek est envoyé travailler dans une mine d’uranium après avoir été radié et de l’armée et du parti communiste. De retour à Prague en qualité d’éboueur, il est contraint de rédiger son auto-critique ce qui lui permet d’accéder à un petit pardon de l’Etat et d’obtenir un poste d’archiviste, au fin fond obscur du Centre d’information des sports…lui qui illumina le sport tchèque! La réalité est parfois d’un étrange cynisme.
Jean Echenoz, avec une immense tendresse et admiration pour son héros, dresse le portrait, ni blanc, ni noir, sans doute un peu gris, d’un homme ordinaire, sans qualité extraordinaire, qui connut un destin unique: la maîtrise parfaite, malgré un style déplorable, inesthétique et a priori peu performant, de la course de fond qui en fit une légende.
Un roman agréable à lire dont le personnage principal, figure sportive épique s’il en est, est des plus attachants!
Je ne résiste pas à l’envie de vous faire partager ces images, belles et poignantes à la fois, d’un Zatopek sans détour (même sous l’uniforme) grâce à Youtube ICI .

Ed. de Minuit, 142 p., 13,50 € (parution le 9 octobre 2008).

Katell Bouali

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