LATERNA MAGICA est allé à la rencontre de Cristian Mungiu et Anamaria Marinca à l’occasion de la sortie, le 29 août 2007, de « 4 mois, 3 semaines et 2 jours », Palme d’Or du 60e festival de Cannes. Entretiens.
LATERNA MAGICA :Le film est très intense. Le tournage a t’il été aussi éprouvant ?
Cristian Mungiu : Je crois qu’on a eu un tournage assez tranquille, sans grand problème. On a essayé de tourner autant que possible dans la continuité, pour les acteurs et aussi parce que je continuais d’écrire, ce que j’ai fait pendant toute la durée du tournage. Le premier ou le second jour, on a fait l’un des premiers long plans. C’était compliqué à mettre en place. Une fois réussi, on était tellement content ! Le tournage a duré 3 mois. Il y avait beaucoup de défis techniques avec des séquences de 5, 8 ou même 10 minutes. Mais petit à petit, on se rendait compte que tout devenait possible. Par exemple, vers la fin du film, nous devions tourner, en extérieur et en nocturne, un long plan-séquence avec Otilia. La séquence se déroulait sur 200 mètres. Nous n’avions aucune caméra spécifique pour cela et nous avons tourné caméra à l’épaule, avec un technicien pour tenir la lumière etc. C’était compliqué mais nous avons réussi ! Et puis aussi, je voulais absolument commencer le film en octobre. Nous devions donc aussi faire face à la météo.
Il y a un climat de tension permanente qui règne sur le film. On ne sait pas sur qui elles vont tomber pour l’avortement, si elles seront découvertes dans leurs manœuvres, ou même si Gabita va survivre. Est-ce que c’est ce climat de tension qu’il y avait en Roumanie à l’époque ?
En partie oui. La première partie du film si vous préférez. Ca concerne surtout l’environnement, le contexte, tout l’arrière plan… Il y a des scènes qui ne semblent pas contribuer directement à l’évolution narrative de l’histoire. Par exemple, il y a la séquence ou Otilia prend le bus. On s’est demandé s’il fallait utiliser cette scène. C’est dans ce type de situation que la tension s’empare de vous. Les rapports entre les gens ne sont pas sains. C’est pour cette raison que j’ai gardé la scène. De la même manière, il était très important pour moi de garder toutes les scènes dans les hôtels. Le point de vue narratif est très simple. C’est celui d’Otilia. On ressent son stress, son anxiété permanente. On ne sait pas plus qu’elle ce qui va se passer. N’importe qui peut découvrir son secret à n’importe quel moment.
A ce propos, il y a une séquence parfaitement anodine ou cette tension est justement maximale. Gabita sort simplement de sa chambre pour fumer une cigarette mais, à ce moment là, on s’attend au pire, on la sent en danger.
C’est très bien si on le ressent comme ça. A ce moment précis du film, et pendant tout le temps ou Otilia doit quitter la chambre d’hôtel, je voulais que l’on ressente une tension différente, celle qui s’empare de son personnage. Dans ce film, on sait en fait très bien ce qui va se passer, depuis le début, mais je voulais que les spectateurs vivent cette expérience à travers le point de vue des personnages. Ce qui effraye, c’est l’incertitude par rapport à ce qui va se passer. On imagine le pire. Lorsque Otilia rencontre des policiers, on se dit qu’elle va être découverte. Lorsqu’Otilia et Gabita se séparent, on imagine facilement que Gabita n’a pas survécu. Je voulais que, à n’importe quel moment du film, le point de vue du spectateur épouse celui des héroïnes.
Le personnage joué par Vlad Ivanov apparaît au final comme monstrueux. Mais n’est-il pas tout simplement humain ?
Pour moi il n’y a pas de différences qui se feraient entre les personnages avec les bons d’un côté et les méchants de l’autre. Par exemple, à la fin on évoque sa mère, ce qui n’était pas prévu dans le script originel. Je sentais qu’il fallait humaniser ce personnage parce que… vous savez, il n’est pas si important de savoir à quel degré il profite de sa situation. On ne connaît pas son parcours. Lui aussi est sans doute une victime du système et pour survivre dans cet environnement, il lui faut à son tour profiter des plus faibles. Je ne dis pas que c’est un personnage positif. Il ne l’est pas. Mais je voulais qu’on le considère comme un vrai personnage, avec son histoire propre. Il a une famille, il a un fils et lui aussi cherche à s’en sortir. Il n’est pas un monstre mais son comportement est monstrueux car il tire avantage de sa position.
Avez-vous été blessé par la polémique qui a entouré votre film en France ?
Vous savez, je ne vis pas ici, j’habite Bucarest, mais j’en ai entendu parlé. J’étais très heureux de remporter ce prix à Cannes. Je n’ai fait que raconter une histoire. J’espère que mon film peut aider à faire passer un message et il est peut-être utile de montrer ce film à un jeune public. Mon film peut servir de point de départ à un débat sur ce sujet de l’avortement. Le débat n’est pas à l’intérieur du film. Après, je respecte les décisions de chacun. Je n’ai jamais fait ce film pour un quelconque ministère même si cette polémique m’a déçu. Mais s’il y a eu polémique, c’est aussi parce que tout le monde n’était pas d’accord avec la décision du ministère.
Au moment de la sortie de » La Mort de Dante Lazarescu « , le cinéaste Cristi Puiu expliquait la nouvelle vitalité du cinéma roumain par un besoin viscéral des artistes d’exprimer les souffrances actuelles du peuple roumain. Partagez-vous ce point de vue ?
Je ne sais pas… J’essaye de ne pas trop conceptualiser ce que je fait. C’est dangereux. J’essaye de parler de sujets qui me sont proches, qui ont un propos, qui suscitent des émotions chez les spectateurs. Je crois que c’est le cas avec » 4 mois, 3 semaines et 2 jours « . Le film s’en tient aux faits et c’est aux spectateurs d’interpréter, de donner du sens.
Vous m’avez dit que vos films étaient d’abord très personnels. Est-ce que vous-même avez vécu dans votre jeunesse, une histoire similaire à celle de » 4 mois, 3 semaines et 2 jours « , ou connu des jeunes femmes qui ont vécu cette histoire ?
Bien sûr. Surtout, en faisant ce film, je me suis rendu compte que cette histoire était celle de la plupart des jeunes filles de ma génération. J’ai beaucoup parlé avec certaines d’entre elles et, de tout ce qu’elles ont pu faire dans leurs jeunesses, c’est ceci qui les a le plus marqué. Pour être parfaitement honnête, quand je me retourne sur mon passé, je ne suis pas forcément fier de ce que j’ai alors fait, des décisions que j’ai pu prendre, même s’il y avait un contexte particulier. C’était une sorte de devoir que de faire ce film.
3 questions à Anamaria Marinca (Otilia dans le film)
LATERNA MAGICA : Vous avez déjà eu un rôle très dur dans la série » Sex Traffic « . Est-ce que cette expérience vous à aider à appréhender le rôle d’Otilia dans » 4 mois, 3 semaines et 2 jours « .
Anamaria Marinca : Bien sûr. Chaque rôle permet d’évoluer dans son jeu. C’était un rôle très fort sur le plan émotionnel. Mais avant cela, j’ai beaucoup travaillé dans le théâtre. Par exemple, j’ai joué 4.48 Psychose de Sarah Kane, sur une mise en scène de Christian Benedetti. La rencontre avec lui a été très importante, j’ai beaucoup appris. 4.48 psychose est un monologue, le dernier texte écrit par Sarah Kane avant son suicide. Le texte est très dense, très intense et ça m’a beaucoup aider dans la façon d’appréhender les rôles, réussir à faire ressentir la douleur des personnages. » Sex Traffic » est arrivé après.
Le film à reçu la Palme d’Or. Comment mesurez-vous l’importance de ce prix pour la Roumanie ?
On est rentré dans l’Histoire. Ce prix est très important pour les roumains. . La cérémonie était retransmise en direct à la télévision. On a eu des réactions incroyables. Dans la rue, c’était comme si c’était la fête nationale. Ensuite, quand Cristian est revenu en Roumanie, il a été très sollicité Le public roumain a parfaitement compris l’importance de ce prix.
On constate depuis quelques années, notamment venant d’Allemagne ou d’Italie, de plus en plus de films en rapport avec le communisme, les années précédents la chute du mur de Berlin. Comment expliquez-vous cet intérêt ?
Il s’agit d’un désir, d’une volonté de comprendre. C’était il y a vingt ans. A l’échelle de nos vies, c’est très loin mais pour l’Histoire, ce n’est rien. Il y a un besoin de temps pour comprendre ce qui a pu se passer. Cristian avait vingt ans à l’époque du communisme. Aujourd’hui, il est arrivé à maturité dans son art. Il lui a fallu du temps pour faire la part de choses.
Propos recueillis par Benoît Thevenin le 24 août 2007 à Paris
httpv://www.youtube.com/watch?v=ibfHuvi1edc&feature=fvw