La robe, rempart contre la tentation de l’alcool
Anecdotes, petits faits de la vie de tous les jours – comme des touches impressionnistes sur une toile – mis bout à bout, racontent beaucoup mieux un peuple ou un pays qu’un savant discours de spécialiste. Ecoutez ! Ou plutôt, non !
Lisez les mots du vieux moine anglais, Ajaan Blair, et surtout soyez attentifs aux réactions et Ek, mon ex assistant, jeune musicien moderne et poète à ses heures, mais d’un conformisme rigide lorsqu’il s’agit de remettre en question des acquits fondamentaux concernant sa religion… Et comme l’admiration naturelle et habituelle des thaïs envers les farangs en général, peut vite se transformer en quasi haine lorsqu’on touche à l’un de ces trois piliers ou joyaux : « Chaat, Sasaana, Phra Maha Kasat », (la nation, la royauté et le bouddhisme).
Je n’écris pas cela au hasard bien sûr, mais en réaction à la levée de boucliers rageuse des autorités thaïes envers les médias étrangers – principalement américains et anglais – accusés de s’être montrés complaisants envers les « protestataires rouges » (devenus « terroristes » depuis…les mots ont toujours leur importance, on s’en rendra compte dans le futur à l’heure du jugement), médias qui auraient osé proférer des critiques à l’encontre de l’un de ces trois piliers, je vous laisse deviner lequel. Mais revenons à Ajaan Blair et à ma question restée en suspens dans ma note précédente. « Ajaan blair, pourquoi la Thaïlande » ?
– « Je suis arrivé ici il y a une vingtaine d’années. Mes seuls souvenirs sont des souvenirs de bars. Je me saoulais. Tous les jours. Mais je n’étais pas alcoolique. C’est ce que je me disais. Le jour où je voudrais arrêter, j’arrêterai. Je n’en avais pas encore envie, c’est tout. Je me suis retrouvé un jour sans un baht dans ma poche. J’habitais alors une « guest-house » à Bangkok. J’ai pris la route vers le nord-est jusqu’à Sakhon Nakorn. Sept cent kilomètres. A pieds. Pendant des mois, presque une année, j’ai marché. Tous les jours. Je dormais sur le bord de la route ou des gens m’ouvraient leur maison. J’avais rien, pourtant on me donnait toujours à manger. A Sakhon, j’ai décidé de m’arrêter. Quelqu’un m’a proposé de donner des cours d’anglais. J’avais besoin d’argent pour boire, j’ai accepté. J’étais sobre toute la journée et avec les quelques bahts gagnés je me saoulais le soir. Je ne me considérais toujours pas comme alcoolique. Je n’avais pas encore décidé de m’arrêter. Un jour, j’ai quitté Sakhon pour venir à Udon. J’ai rencontré un moine, il m’a demandé de donner des cours d’anglais au temple. J’ai encore accepté, pour l’argent. Pour boire. Plus tard, il m’a proposé de « prendre la robe » Je me suis dit « pourquoi pas ? » La veille de la cérémonie d’ordination, j’ai bu. Jusqu’à l’inconscience. Et puis on m’a rasé le crâne et passé la robe safran. C’était il y a dix ans. Je n’ai plus jamais pris un seul verre. »
– « C’est dur ? »
– « Non. La robe me protège. Le jour où je la quitterai, je recommencerai à boire. Je le sais. C’est comme ça. »
Chaque semaine, je rends visite à mon ami Ajaan Blair. Je lui apporte du café et des cigarettes. Je m’assieds sur un banc près de lui, mais à une distance honnête pour que les petits moines qui nous épient derrière les arbres n’aillent pas cafter au père abbé. Nos conversations sont toujours pleine de bonne humeur et de rires, avec un rien de nostalgie pour l’époque du « Swinging London » où nous nous sommes peut-être croisés sans le savoir dans quelque pub de l’East-end. Lui avec ses compagnons de débauche, moi avec mes amis qui voulaient absolument me faire connaître les endroits mal famés de Londres.
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L’idée que l’on se fait du bouddhisme en occident est si différente de la réalité thaïlandaise, qu’un professeur de mise à niveau rapide est absolument nécessaire. Avec Ajaan Blair, pas de problème, c’est de l’apprentissage accéléré. Que les novices étudient au temple et observent les règles essentielles de la vie en communauté, c’est plutôt positif. Sans l’accueil des moines, leurs chances d’étudier seraient nulles. Mais le rôle du monastère ne s’arrête pas là. Il est aussi une formidable protection contre les dangers extérieurs : mauvaises fréquentations, alcool, drogues (dont la fameuse amphétamine « yaa baa », « le médicament de la folie »), ainsi que la colle, « sniffée » très tôt par de jeunes enfants.
Que l’on critique cette forme d’éducation, jugée archaïque, pourquoi pas ? Mais Ajaan Blair m’avoue ne pas connaître de meilleur havre durant la difficile période de l’adolescence. Sur la base du par-cœur, et en langue Pali (dérivée d’une langue ancienne), les novices psalmodient chaque jour « l’Enseignement du Bouddha » Plus tard, ceux qui, passés l’âge de 2O ans s’en retourneront dans leur famille ou leur village, auront au moins acquis une base de morale – qu’ils s’empresseront probablement d’oublier – qu’importe ! Pour les autres, les plus intelligents, les plus déterminés ou les plus opportunistes, il existe des universités bouddhistes, à Bangkok ou dans d’autres grandes villes du royaume, qui forment les moines à l’enseignement supérieur. Études toujours gratuites, assurées par la « Sangha » (la communauté des moines) qui survit grâce aux dons des fidèles et l’aide du gouvernement.
Les offrandes faites aux moines sous forme de nourriture ou d’argent, sont de véritables contrats d’assurance pour la vie suivante ! Ainsi les temples bénéficient-ils parfois de sommes pharaoniques. La famille royale et tous les hommes politiques – enrichis sur le dos des populations – offrent des millions de baths à certains monastères. Argent géré exclusivement par les bonzes, sans le contrôle de l’état.
– « Etre moine en Thaïlande n’est jamais un état définitif, le moine peut, à tout instant « quitter la robe » C’est presque aussi simple que de « la prendre » ! Aujourd’hui, la majorité des étudiants des universités bouddhistes « quittent la robe » une fois le diplôme en poche et s’en retournent à la vie civile où ils sont assurés de trouver un bon job, au lieu de rester dans la communauté pour aider les nouveaux arrivants, ne serait-ce que quelques années, histoire de rembourser moralement leur dette envers la « Sangha » Lors de cérémonies de crémation, de mariage ou de bénédictions de magasin, de supermarchés ou de voitures, les bonzes reçoivent toujours de l’argent. Il n’existe aucune comptabilité sérieuse pour gérer ces sommes censées être reversées en totalité dans la cagnotte du temple mais qui, pour des pourcentages importants, restent souvent dans la sacoche des moines. Pécule qui leur sera bien utile quand ils sortiront du monastère, pour se marier ou pour acheter un commerce. Dans certains magasins, on peut même les croiser choisissant des téléphones portables ou des caméras, quand il ne s’agit pas de voitures ! Tout cela en parfaite contradiction avec les règles monastiques ».
Voilà ce que Ajaan Blair ose me dévoiler. Je dis « ose », car les moines ne sont, en aucun cas, autorisés à parler de problèmes internes à la communauté. C’est même une des règles fondamentales du temple. Mais là, nous sommes entre « farangs » et Blair parle un mélange d’anglais mâtiné de « cockney », que mon ami EK ne peut absolument comprendre. Les passions viscérales de tout homme thaï ne sont pas forcément éteintes lorsqu’il revêt la robe safran. Comment se défaire de passions quasi incontrôlables comme le jeu ? Disposer de sommes importantes sans avoir envie de le faire sauter dans quelques « casinos » Impensable ! L’argent brûle les doigts telle la braise au sortir du feu.
Lors de la dernière cérémonie de « Boon Kathin », (le « don de la robe aux moines »), autre occasion pour les bouddhistes d’acquérir quelques mérites supplémentaires, Ajaan Blair hésite longtemps avant de pouvoir formuler cette demande très particulière :
– « Si vous avez l’intention de faire un don au temple » murmure-t-il…
– « Comprenez-moi, c’est difficile de vous dire ça, moi qui suis moine, mais… Ne donnez pas cet argent au temple. L’année dernière, sur un million de baths, deux cent mille se sont volatilisés. Demandez au « Luang Paw » de ce monastère où ils sont passés, lui pourra peut-être vous répondre. Il joue régulièrement à la loterie. Avec quel argent, sinon celui des fidèles ? … Si vous souhaitez offrir un peu d’argent au temple, il est préférable de me le donner à moi directement. La quasi-totalité de la modeste obole que je reçois du gouvernement pour enseigner l’anglais passe dans l’entretien du jardin dont le père-abbé et les novices se fichent éperdument, et ça me crève le cœur. Le jardin, c’est mon hobby, c’était aussi mon travail dans une autre vie. Mon souhait d’ailleurs, lorsque j’aurais atteint l’âge de 6O ans est d’arrêter l’enseignement – pour ce que ça sert – et de postuler à un poste de jardinier dans l’enceinte du monastère. Ainsi je pourrais conserver la robe et améliorer chaque jour ma pratique du bouddhisme…. Tout en me rendant utile. »
« Et la robe, quelle protection contre l’alcool ? ». Je n’ose formuler tout haut cette dernière remarque. Nul doute que la pratique du bouddhisme telle que la conçoit Ajaan Blair est plus proche d’une philosophie occidentale que les automatismes et litanies psalmodiées en Pali par les bonzes de Samanat. D’ailleurs, le Pali, Blair ne l’a jamais étudié ! Ça ne lui est pas nécessaire pour enseigner l’anglais, pas davantage pour s’occuper du jardin ou pour recueillir les chiens bâtards que les Thaïs « balancent » dans l’enceinte du monastère à grands renforts de coups de pieds. J’en fais la remarque à EK qui me réplique vertement qu’en dépit de cela, « Ajaan Blair n’est pas un bon moine ». Je lui en demande la raison. Presque méchamment, il me réplique : « Il parle trop » ! (« phout maak » : défaut attribué à presque tous les occidentaux) « Et il ne connaît pas les formules en Pali » ! Voilà en une phrase, la vision bouddhiste d’un Thaï moyen ! Au fur et à mesure de mes rencontres avec Blair, ma sympathie pour lui va grandissante, en dépit des remarques acerbes de mon ex assistant qui rechigne de plus en plus à m’accompagner au « Wat » Somanat. Je persiste cependant, car j’apprécie la compagnie de l’anglais. Nous échangeons nos expériences d’enseignants en but rien au manque d’intérêt et surtout aux difficultés de nos élèves à emmagasiner une langue européenne. Et puis zut ! Je regrette de ne pas avoir eu l’occasion de le rencontrer dans un autre endroit et à une autre époque. Je crois que j’aurais aimé partager une pinte avec lui dans un pub de Brighton lorsque les « Moody Blues» hurlaient « A Whiter Shade of Pale » :
“Gazing at people, some hand in hand”
“Just what I’m going through they can’t understand”
“Some try to tell me, thoughts they cannot defend”
“Just what you want to be, you will be in the end”
Un monde de plus en plus chamboulé
La Thaïlande est un pays bouddhiste, tous les chiffres le clament, toutefois l’islamisation gagne le nord, avec construction de mosquées dont je m’étonne. « C’est l’argent des pays du Moyen-Orient » me dit mon compagnon. Les petites églises chrétiennes en bois font piètre figure à côté des dorures bouddhistes et des bulbes blancs. L’animisme des minorités s’accommode très bien du christianisme : les dieux des forêts et des rivières ne se disputent pas et ne font pas concurrence à Jésus ! Et puis un dieu de plus dans son propre panthéon pourquoi pas ! Les bouddhistes les ont bien adoptées toutes ces divinités hindouistes, et Bouddha cohabite parfaitement avec chrétiens et animistes. Mais entrer en compétition avec les temples bouddhistes sur le plan de la topographie géographique, ça va être dur, car les sommets de montagnes thaïes sont déjà presque tous pris. Bouddha n’est pas dieu, mais en principe on ne doit rien construire au-dessus de lui.
Plus je voyage plus je trouve que l’on vit dans un monde étrange, un monde de confusion plus que d’harmonie. Pas un seul endroit en Thaïlande qui n’ait son sapin enguirlandé, enrubanné, étoilé… Pas un supermarché sans ses vendeurs parés de bonnets de Santa Claus ! Et en fond sonore, très sonore, des chants de Noël ….Noël ? Nativité ? Quel sens en dehors du « marchand » ?
A Paris, à Montparnasse ? Rien : pas une guirlande, pas un sapin, pas une illumination. La crise, même si l’on s’obstine à ne pas vouloir se laisser gagner par elle, est bien là, visible, palpable… et terriblement évidente. Un Noël qui brille par son « absence » même.
Entre « trop » en Thaïlande et « rien » à Paris, je me sens toute bizarre ; Chamboulée à vrai dire. Peut-être que j’ai rêvé tous les autres Noëls où l’excitation était à son comble, dans l’attente de quelque chose de – si pas divin – du moins de merveilleux. Là, entre la crise, les fous, avec calendrier ou pas… si on n’a pas un peu de chaleur humaine, que reste-t-il ? Les Thaïs pensent encore que tout se passe dans les magasins et les « malls » (il y en aura sûrement deux nouveaux dans mon quartier à mon retour à Chiang Mai) où tout finit par se concentrer : Noël, Nouvel An, Chinese New Year, Songkran, Loy Krathong, Bouddha day, anniversaire de « papa »… bon j’ai oublié quelques fêtes, mais pas grave…….
Bon Noël d’amour à ceux qui ont la chance d’avoir des bras pour les retenir, les accueillir, les enfermer, les réchauffer…. Noël avec des mots doux plus que des guirlandes et un peu d’émerveillement pour remplacer un court instant la trop réaliste réalité..
La particule de Dieu
Croisé ce matin une voisine-amie, thaïlandaise de Bangkok travaillant dans un laboratoire pharmaceutique américain. Son appartement proche du mien est un placement pour ses « vieux jours ». Nos échanges ne sont pas nombreux mais très chaleureux. J’ai suivi l’inondation de sa maison à Bangkok ouest. A présent, un désastre est en train de se faire jour, peut-être pire que l’inondation elle-même. Des milliers de litres de détergents, de pesticides, d’anti-fugus chimiques sont utilisés pour nettoyer les maisons, les voitures, la rue.
« L’odeur du chlore flotte partout, mêlée à celle, pestilentielle des relents d’humidité et de saleté ».
Dans notre immeuble, il faut, pour y pénétrer montrer patte blanche ou plutôt présenter son pouce ou un doigt à un appareil digital à infrarouge qui enregistre les empreintes digitales. L’appareil vous répond alors un « thank you » agréable et la porte s’ouvre ou alors un « try again » décourageant puisqu’elle refuse l’accès à de possibles intrus. Mon amie se voit refusée systématiquement l’entrée de l’immeuble et donc l’accès à son appartement et subit des « try again » répétés. Pourquoi ?
« Parce que mes mains, soumises aux détergents de toutes sortes, même avec des gants protecteurs, ont subi les agressions de ces produits qui ont altéré mes empreintes digitales. »
Tout ce qu’elle touche dans sa maison a été passé au chlore, à l’acide, et autres produits tueurs de bestioles et de champignons. Je lui conseille alors de demander un numéro de code au bureau.
« Mes yeux aussi ont été attaqués et sont enflammés, j’ai du mal à lire les chiffres du tableau. Et ce n’est pas seulement ma maison qui est polluée, c’est l’eau, qui court dans la rue, et s’infiltre dans la terre et les nappes phréatiques, rejoint la mer et va toucher tout ce qui y vit. »
Les eaux se sont retirées, les fêtes euphoriques d’anniversaire sont passées et les criminels sont sortis de prison, des scientifiques viennent de découvrir le « beson de Higgs » (quel rapport tout ça ? mais c’est le même monde, le nôtre…), ce chaînon manquant à l’explication possible du Big Bang et vraisemblablement à l’origine du monde. Le « beson », cette particule qui donne sa masse à toutes les particules et appelés « particules de Dieu », particule de dieu qui serait partout mais de façon très élusive. Comme dieu. Un dieu qui se dérobe toujours, qui évite de répondre aux sempiternelles et obsédantes questions de l’homme sur son origine. « Si l’univers est la réponse à tout ça, c’est quoi la question ? »
Eh bien continuons de nous en poser, même après la mort si nous nous transformons en « beson de Higgs », particule d’un univers en éternel expansion. Nous servirions donc à ça…: participer à l’expansion sans limite d’un monde qui n’a pas de bord et qui serait déjà sans limite. Alors pourquoi s’exciter à interroger un dieu qui ne répond à rien et ne répondra jamais à rien ?
Notre monde est si micromicromicroscopique à l’échelle de cet infini et nous trouvons le moyen d’en faire un foutoir. Si dieu nous a créé, il a mêlé les mauvais ingrédients à la farine. (– j’ai une tante qui croit toujours que dieu a créé la femme à partir de la cote d’Adam – et plein de cretins qui continuent de faire comme si c’était vrai)
Lorsque je serai transformée en « beson de Higgs » ou en « particule de dieu », est-ce que j’aurais encore une conscience et est-ce que, de mes yeux microscopiques je verrais encore le monde se castagner, se désagréger, se lancer des grenades et des anathèmes ? passer le jardin de la terre aux pesticides chimiques ? Et merde ! Je crois que le futur « beson » (bon jaimerais mieux « poussiere d’etoile » mais je n’aurais pas le choix) que je suis préférerait finalement être aveugle et sourde.
(Pensées émues pour le peuple belge mes voisins, mes frères)
Jesus, come to my heart!
Sur la route, entre Mae Salong et Thoed Thaï… à un carrefour de village Akha, on embarque dans notre pick-up, deux jeunes moines et une femme Akha et son barda en partance vers un marché.
les moines me photographient en train de les photographier !
En fait nous devons rejoindre un groupe du Lion’s club en provenance de Bangkok, Chiang Mai et Phitsanulok. Soit quinze 4×4 chargés d’amener des couvertures à la frontière birmane, le point de rencontre étant Wiang Haeng.
Ce que ne peuvent imaginer les habitants des plaines, c’est le froid en montagne pendant l’hiver – pardon – pendant la « naa nao », la saison fraîche. La température descend jusqu’à 7 ou 8 degrés. C’est la période idéale pour vadrouiller dans ces montagnes du nord, lorsque des bandes de brouillard traînent langoureusement le matin entre les différents sommets. Photogénique région, mais glaciale pour ceux qui y vivent. Nous en faisons l’expérience pendant 2 nuits, enveloppés sous plusieurs pelures, tels des oignons.
Mon chéri, pris dans l’ambiance de Noël (beaucoup d’ethnies sont chrétiennes – et au moins ici le sapin a un sens, au–delà du pur commercial de Bangkok et Chiang Mai), se met à chanter « silent night » en thaï et puis sur un ton convaincu : « jésus come to my heart »
A ce point il faut expliquer pourquoi un thaï bouddhiste chante des chants chrétiens. Dans son adolescence à Phrae, là où son grand-père chinois était venu s’installer quelques décennies plus tôt, ses parents l’envoyèrent à l’école privée. Ils n’étaient pas riches… son père était garde-forestier, mais cette école chrétienne-américaine était gratuite.
Il faut se remettre dans le contexte asiatique du début des années soixante. Les américains ont pris le relais des français dans le conflit vietnamien et ont besoin de bases proches du pays qu’ils bombardent. Avec l’accord du gouvernement militaire en place à Bangkok, ils installent des bases à Udon et Ubon, afin de mieux napalmer la piste Ho Chi Minh. Des millions de dollars pleuvent sur le gouvernement militaire en place (et son renforcement du même coup !) avec aussi le désenclavement de l’Isan grâce à la construction de routes Bangkok Nord-Est. Dans le même temps, les missionnaires américains débarquent dans toutes les provinces thaïes et y créent des écoles privées gratuites ainsi que des orphelinats (grâce à eux, j’ai pu adopter plus tard ma fille à Udon).
Mon chéri fit donc ses premiers pas en anglais dans une de ces écoles privées en même temps qu’il découvrait la vie de Jésus, la raison de sa mort sur la croix etc… Avec « M’am Darren » « Elle était si gentille, elle m’aimait beaucoup (tu parles, c’était le plus mignon de la classe !) Elle nous apprenait à chanter en s’accompagnant au piano. Elle me manque toujours… »
Et le voilà reparti dans un de ses chants préférés « Jésus come to my heart » qu’il entonne avec force et conviction. Chant qu’il termine ainsi, avec quasiment des larmes dans les yeux : « Grace à elle j’aime Jésus et Bouddha »… et c’est un bouddhiste convaincu qui le dit !
A quand le vrai mélange des religions ?
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