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Deauville – ces gens qui ont bâti sa légende

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Depuis que le duc de Morny en l’année 1860 fit naître Deauville des sables et de l’eau, il semble que la cité balnéaire ait été entourée des fées et des génies les mieux attentionnés. Ceux-ci étaient déjà là pour veiller sur ses premiers pas avec une vigilance maternelle et n’auront plus de cesse, à l’avenir, de la parer de telle sorte qu’elle devienne l’une des plus aimables, fastueuses et élégantes stations du littoral français.Si bien que sa renommée aura vite fait d’outrepasser les frontières de la France et de l’Europe et de devenir internationale. Mais comment, et grâce à qui, ce qui n’était hier qu’un bourg de hobereaux allait-il accéder à pareille notoriété ? Pour le savoir, commençons par remonter le temps…

En 1060 était Auevilla, un coteau surplombant un marais. Là régnait le seigneur Hubert du Mont Canisy, compagnon de Guillaume le Conquérant. Dans son fief, on ne recensait guère que 79 âmes et en 1851, lorsque Jean-Louis Auguste Brunet devint maire pour la seconde fois, le hameau n’en comptait pas davantage, alors que Trouville était en passe de devenir « la reine des plages ». C’est alors qu’un médecin, Joseph Olliffe, propriétaire d’une villa à Trouville, se laissa envoûter par les étendues de sable qui se déroulaient à perte de vue sur l’autre rive de la Touques, espaces vierges qui paraissaient boire les lumières du ciel et dont les berges frangées de roseaux étaient le refuge d’une pléiade d’oiseaux. Rentré à Paris, et en visite chez son ami le duc de Morny, il lui décrira ces paysages avec un enthousiasme si communicatif, que ce dernier se laissera convaincre de se rendre sur place pour les admirer à son tour. Découvrant le panorama du haut du Mont Canisy, il s’écrie : « C’est vertigineux ! Quelle immensité et quelle beauté ! Nous allons bâtir ici le royaume de l’élégance. »

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A l’architecte Desle-François Breney sont confiés les plans de la future ville, un trapèze délimité par des avenues et une digue-promenade qui sera baptisée « La Terrasse ». Dès juillet 1863 ouvraient un casino, puis un centre d’hydrothérapie et, en août 1864, avaient lieu les premières courses sur l’hippodrome de la Touques. En cette même année, quarante villas étaient déjà occupées et un hôtel de deux cents chambres recevait ses premiers clients. Mais le duc allait mourir avant d’avoir vu se réaliser un projet qui lui tenait à coeur : le bassin de 300 mètres de long qui devait permettre aux bateaux de fort tonnage de remonter la rivière de la Touques, favorisant un commerce maritime qui contribuerait au développement économique de la région.

Deauville était lancé et, malgré la disparition de son créateur, des villas continuaient de s’élever de terre, ainsi qu’un phare de 22m à l’entrée du port, tandis que se croisaient sur l’hippodrome, lors des Grands Prix, des personnalités telles que Ferdinand de Lesseps et Adolphe Thiers. Malgré cette expansion continue, en avril 1895, à la consternation générale, le casino se voit dans l’obligation de fermer ses portes à la suite d’irrégularités. Par chance, Désiré Magloire Le Hoc, le nouveau maire, s’affirmait d’emblée comme un homme déterminé qui allait se consacrer avec une énergie inlassable à améliorer la vie quotidienne des deauvillais et développer le tourisme estival qui souffrait d’un équipement hôtelier insuffisant. Peu de temps après entrait en scène un personnage haut en couleur qui, à la suite de Morny et en collaboration avec Le Hoc, se préparait à écrire une page importante de la légende de Deauville : Eugène Cornuché. C’est lui que le maire, bien inspiré, venait de choisir pour créer un nouvel établissement de jeux, ce qu’il s’empressa de faire en achetant la villa « Les Flots » et les terrains avoisinants, construisant sur ces lieux un casino flamboyant et un hôtel au charme irrésistible le Normandy.

Hôtel Normandy
Hôtel Normandy

Dès l’ouverture en juillet 1912, le succès dépassait les prévisions et n’allait pas cesser de croître. Il est vrai que Cornuché, petit homme replet à la moustache conquérante, ne manquait ni d’habileté, ni de savoir-faire. Après avoir été garçon de courses, livreur, aide sommelier, ce fils d’un modeste restaurateur parisien avait fait ses premières armes en ouvrant le restaurant « Maxim’s », dont l’engouement auprès du Tout-Paris avait été immédiat, au point qu’on l’avait surnommé « Le Napoléon des restaurateurs« . Même chose à Deauville, où le Normandy était présenté par les chroniqueurs comme « le plus bel hôtel du monde » et qu’il ne fallait pas moins – pour la soirée inaugurale de son théâtre – que la présence prestigieuse du célèbre ténor russe Fiedor Chialapine.

Fort de ces réussites, Cornuché souhaitait aller plus loin dans ses investissements et mit en chantier, sur le terrain de la ville « La Louisiane », un hôtel qu’il envisageait comme  » le plus colossal et le plus luxueux de la région« , ce serait Le Royal, bâti en moins d’un an pour satisfaire une clientèle internationale. Le 28 juillet 1913, la belle Otero présidait à son inauguration, car à ville fatale … femme fatale. En trois ans, Deauville venait de se doter de deux palaces, d’un casino, d’un hippodrome rénové, de boutiques de luxe dont celle que venait d’ouvrir Mademoiselle Chanel, alors que le tocsin sonnait dans toutes les églises et que les blessés se préparaient à remplacer sur ces lieux de fête les princes et les mondaines, et les tables d’opération les tables de jeux. Désiré le Hoc s’impliquera de toutes ses forces dans les oeuvres de guerre: la Croix Rouge, le Foyer des soldats, celui des Réfugiés français et belges et mourra en mars 1919 après dix-neuf années de bons et loyaux services.

En 1920, la ville n’en a pas moins retrouvé une existence normale, après une guerre qui lui a coûté 103 morts et 22 disparus. Churchill choisit Deauville et le Normandy pour sacrifier à la mode des vacances, comme le fera le roi Alphonse XIII d’Espagne, et on ne compte plus les maharadjah et les célébrités qui prennent « le train bleu », mis en service par la compagnie des Wagons-lits, pour venir passer quelques jours dans une station balnéaire qui offre tous les divertissements et commodités. Mais nouveau coup du sort, lorsque le 1er avril 1926, Eugène Cornuché, âgé de 59 ans, tire sa révérence à une société dont il a été le maître incontesté des loisirs. Qui peut remplacer un tel homme ? Un nom s’impose néanmoins, celui de François André.

 

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François André semble sortir de l’imagination d’un Stendhal ou d’un Maupassant avec son parapluie et son canotier, sa stature majestueuse, son regard aigu qui sait tout voir et sa discrétion qui sait tout taire. Sans nul doute, il y a un peu de Bel-Ami et de Julien Sorel dans ce beau jeune homme qui, dans les années 1900, monte à Paris depuis son village de Rosières et peut se dire :  » A nous deux Paris !  » et même  » A nous deux la France ! « , tant sa réussite excédera de beaucoup la capitale. Son père, qui exerçait la profession de brasseur, venait d’être ruiné par trois années de sécheresse, aussi François – qui n’avait pas le goût de la terre – se trouvait-il dans l’obligation de chercher fortune ailleurs. C’est donc cet homme qui va prendre en main le destin de Deauville et après avoir assuré la régence du casino d’Ostende, s’emparer de celui de Deauville et jouer dans un premier temps en partenariat avec Cornuché qui lui laissera bientôt la bride sur le cou, si bien qu’à la mort du maire il est le successeur tout désigné et que Deauville sera l’une des pièces privilégiées d’un royaume qu’il ne cessera plus d’agrandir. Ce seront Le Touquet, Aix-les-Bains, La Baule, Biarritz, Cannes. Et aux casinos, il ajoutera des hôtels prestigieux, des golfs, des restaurants. A Deauville, il fait construire un troisième fleuron, l’hôtel du Golf sur les hauteurs du Mont Canisy, et devient l’ami des rois, le familier des princes, des artistes, des hommes politiques. On ne résiste pas à ce paysan de l’Ardèche qui est l’élégance même. Etre l’empereur des jeux, peut-être, mais sans perdre son âme. D’ailleurs ces succès ne les doit-il pas à un travail acharné ? Levé à 10 heures du matin, il ne se couchait pas avant 5 heures…du matin, s’entend !

En 1938, le contre-coup du crack boursier de New-York n’en fait pas moins sentir ses effets jusque sur le bilan de sa société et il faut que François André agisse avec prudence et fermeté pour ré-équilibrer la balance financière. Ce, au moment où des rumeurs de guerre commencent à agiter les milieux politiques, non sans raison, puisqu’elle se déclare le 3 septembre 1939, obligeant le patron à prendre des mesures d’urgence avant que le Kommandantur ne vienne occuper Le Royal et que les autres palaces ne soient transformés en hôpitaux : mettre à l’abri l’argenterie et surtout les grands crus à la valeur inestimable qui seront discrètement acheminés vers son village. Ils y passeront la guerre à l’abri des convoitises, alors que les tickets d’alimentation font leur apparition.

On sait ce qu’a enduré la Normandie durant ces années terribles et Deauville ne fut pas épargné. Cependant, dès 1946, les estivants reviennent, bien que la station n’ait pas encore retrouvé son lustre d’antan. Peu à peu, on remet en état les hôtels, le front de mer, le casino, les bains pompéiens et les propriétaires de villas, les amateurs de jeux reprennent leurs habitudes, alors que Monsieur André commence à ressentir les premiers symptômes de l’âge et envisage sa succession. N’ayant pas d’enfant, il porte son choix sur  Lucien Barrière son neveu, qui lui ressemble étrangement, le fait venir et le forme sans complaisance afin que ce dauphin soit en mesure d’assurer la relève. Ce qu’il fera en 1962, lorsque André décède un an après la mort de sa femme Marie-Louise.

Lucien Barrière, ce nom brillera bientôt sur la façade des établissements du Groupe qu’il s’apprête à gérer d’une main ferme et avisée, alors qu’un autre homme d’envergure, Michel d’Ornano, accède au fauteuil de maire, si bien que Deauville se voit gratifier de deux hommes dynamiques et ambitieux qui entendent bien oeuvrer pour élargir encore la notoriété de ce lieu qui est déjà considéré comme le XXIeme arrondissement de Paris. Lucien n’a certes pas l’assurance tranquille de l’Oncle qui en imposait tant aux ducs et aux banquiers, mais c’est un terrien lucide, doué d’un rude bons sens, ce qui lui évitera les emballements et lui inspirera une prudente stratégie. Bien qu’il se plaise à vivre modestement, il n’en deviendra pas moins le pape du tourisme de luxe en France et saura administrer le patrimoine sans omettre de l’ouvrir à la modernité. Ses premières décisions concernent la rénovation de l’héritage. A Deauville, il entreprend de grands travaux pour mettre au goût du jour les hôtels Normandy, Royal et Golf, participe à la construction d’une piscine olympique, à celle du palais des Congrès ( le CID ), subventionne des courses hippiques et accueille avec les Ornano le Festival du film américain en offrant aux stars hollywoodiennes des suites somptueuses qui porteront leurs noms, enfin en vivant ce grand bouleversement que sera pour les casinos l’irruption des machines à sous.

Quant à Michel d’Ornano, il ne reste pas inactif, lui non plus. Sous ses mandats, la piste de l’aéroport de Saint-Gatien se prolonge de façon à accueillir les Caravelles d’Air-France, le lycée André Maurois s’installe dans les bâtiments qui furent jadis ceux de l’hôtel de la Terrasse, un centre de cures marines ouvre à côté de la piscine, un vaste hall en forme d’amphithéâtre – le centre Elie de Brignac – est édifié pour la vente des yearlings, tandis que le complexe de Port-Deauville ( la seule fausse note ) reçoit ses premiers estivants. Mais de plus en plus sollicité par la politique, il renonce à briguer un quatrième mandat et cède la place à son épouse Anne, suivant de près, dans la mort – il est renversé par une camionnette de livreur le 8 mars 1991, alors qu’il traversait une rue de la capitale – , Lucien Barrière qui s’en est allé rejoindre son oncle dans le modeste enclos au cimetière de leur village ardéchois en 1990. C’est Diane Desseigne, l’héritière naturelle, qui reprend le sceptre et la couronne du groupe Barrière, alors qu’Anne d’Ornano se fait élire comme présidente du Conseil Général du Calvados, s’engageant l’une et l’autre avec autant de simplicité que d’aptitude à poursuivre la tâche et à maintenir l’héritage au même niveau d’excellence, invitées à rédiger dans le bonheur et les larmes une nouvelle page de la légende deauvillaise.

 

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         Anne d’Ornano                             Diane Barrière-Desseigne

 

Nul doute qu’Anne et Diane vont jouer un rôle d’autant plus emblématique qu’elles symbolisent l’avènement des femmes à des postes de décision. On voit Diane figurer dans les magazines et faire rayonner l’image d’une réussite exemplaire. Quand, soudain, la tragédie fait irruption, jetant sur l’icône un voile funèbre. Victime d’un accident d’avion tandis qu’elle se rendait à La Baule, Diane s’en sort par miracle mais restera tétraplégique, subira des dizaines d’opérations et soixante-dix anesthésies générales. Face à une telle épreuve, cette très belle jeune femme ne cédera ni devant l’adversité, ni ne sombrera devant la souffrance, acceptant l’inacceptable. Après trois années de calvaire, elle reprend ses activités à la tête du groupe, soutenue par son mari avec lequel elle  forme un tandem efficace qui leur permet d’achever la modernisation du Groupe Barrière et d’acquérir un palace parisien le Fouquet’s, avant que Diane ne s’éteigne dans son sommeil le 18 mai 2001. Comme tout va généralement de pair à Deauville, Anne d’Ornano, après plusieurs mandats, se retire à son tour, chargeant son successeur Philippe Augier, formé dans le sérail, de perpétuer une politique d’expansion et d’innovation qui correspond bien à la vocation de Deauville. Aujourd’hui, inscrits à l’angle de ses squares, de ses avenues, de ses places, de ses impasses et de ses quais, ils sont là les noms de ceux qui ont contribué à son rayonnement, illustrent sa mémoire et invitent les promeneurs que nous sommes à nous engager dans des itinéraires qui ne déchantent jamais, nous rendant complices et témoins d’une légende toujours actuelle et vivante.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Armelle Barguillet Hauteloire

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