Il est ici question de livres de papiers et de livres électroniques, et d’enfants d’îles isolées qui n’ont pas la chance de pouvoir les lire. Donc, depuis quelques temps, j’écris.
Et aussi j’adore lire ce que les autres ont eu l’intelligence d’écrire à ma place, ou avant, c’est selon.
Quoi de mieux, en effet, après une bonne journée passée à découvrir les rivages des îles lointaines, que de s’étendre sur la couche, d’allumer sa torche et de s’abandonner à la lecture.
Seulement, il y a un problème.
Dans la plupart des îles visitées par votre serviteur, il n’y a pas de librairies. On est donc obligés de trimballer des kilos de livres. Ce qui est très ennuyeux lorsque l’on voyage léger, par force ou par habitude. Les avions qui voltigent au-dessus des océans pour finir leur envol sur des pistes courtes, rapiécées par les embruns, n’aiment pas les kilos superflus.
Le dilemme est douloureux. Le choix s’annonce draconien. Choisir le livre idoine, assez long pour nous transporter loin et longtemps, et suffisamment léger pour ne pas finir, abandonné, sur une banquette de transit d’un aéroport non francophone.
Parce qu’il y aussi la langue. La langue française est belle, diplomatique, complète et compliquée mais plus du tout universelle. A l’Est de Sion, en Suisse, il n’y a aucune librairie francophone à l’horizon. Il faut pousser jusqu’à Pékin ou Tokyo, ce qui n’est guère pratique.
Tu n’as qu’à lire en anglais, vous entends-je déjà vous exclamer ! Je lis l’anglais. On trouve en effet des livres en anglais au fin fond des confins. Mais je ne retrouve pas cette présence bien connue depuis mon enfance tricolore qui me parle au coucher, qui me dorlote au réveil, qui m’accompagne avant la sieste.
Et ici, le français est tout simplement inexistant. Exotique, certes, mais inexistant. Il y a en tout et pour tout trois endroits dans tout l’océan Pacifique où l’on trouve des livres en français : A Sydney, à Papeete, à Nouméa.
Sur l’île de Sainte-Hélène, il y a une bibliothèque où l’on peut se procurer quelques exemplaires jaunis ; elle ouvre à 14 heures le mardi seulement et ferme à l’heure du thé. A Funafuti, la bibliothèque « nationale » possède un choix considérable pour 11’000 habitants. J’y ai passé des heures studieuses à attendre que la pluie cesse. Mais sinon, rien. Rien à Yap, rien à Palau, rien sur l’île de Lord Howe, rien sur l’île de l’Ascension.
Moi, j’ai la chance du choix. Je peux trimballer des kilogrammes de littérature si je veux et abandonner derrière vêtements, appareils de photos et brosse à dents. C’est mon problème, et franchement ce n’est pas la mer à boire. Mais les insulaires souffrent de la solitude. Une solitude économique, politique et aussi une solitude du cœur. Ils souffrent également d’un manque de livres, dans les foyers, dans les écoles et dans les Ministères lilliputiens.
J’ai visité des écoles et je peux affirmer ici que le livre y est aussi rare qu’un enseignant en grève ou qu’un adolescent récalcitrant devant le Savoir. La soif d’apprendre est considérable et le livre, cet outil de travail, est aux abonnés absents. A part la Bible, des prospectus touristiques et des rapports de l’ONU, il n’y a pas grand-chose.
Pour eux et pour le nomade, le e-book est donc la solution. Au fil des années, j’en ai vu de plus en plus dans les carlingues et dans les salles d’embarquement. J’ai musardé aujourd’hui dans une de ces grandes surfaces dont le monde entier n’a plus le secret. J’ai regardé le matériel. On peut y stocker 1200 livres, en moyenne. Légers, inodores, pratiques, assez chers. J’entends déjà les nostalgiques du papier récriminer. Je partage leur sentiment : le livre est un objet émotionnel ; il s’offre, il se partage, il traverse les générations, il se dédicace et nous accompagne dans la vie si on l’aime. Et comme le pain, ne se jette pas.
Je suis convaincu que le e-book va trouver sa place dans nos valises et nos métros, mais pas forcément dans nos chaumières et nos jardins. J’ai envie de pouvoir lire les livres écrits par coumarine, Edmée, Petit Belge, Lascavia, bientôt celestine et (qui sait ?) Delphine, et ne pas avoir à choisir lequel des cinq ou six je vais emporter dans mes prochaines pérégrinations.
J’aimerais surtout pouvoir emmener avec moi tous les ouvrages de référence que j’aime et qui me suivent depuis mon adolescence.
Surtout, j’aimerais voir des enfants des îles lire et se nourrir de culture, française ou étrangère. J’aimerais les voir se passionner pour les mots et pour les phrases. S’ouvrir au monde, rêver, imaginer, espérer tout en restant eux-mêmes. En cela, oui, Internet et le e-book ont toute ma considération.