Ecrire est une passion qui m’est venue un peu tardivement, je ne compte pas pour écriture les carnets, journaux intimes et journaux de voyage sans prétention que j’ai commis depuis des années. Ecrire aujourd’hui, c’est raconter une histoire, analyser les caractères de personnages qui vont, non seulement faire ce que vous les obligerez à faire, dire les dialogues que vous mettrez dans leur bouche, mais c’est aussi faire de ces personnages, des personnes à part entière qui, dès les premiers chapitres risquent de vous échapper pour n’en faire qu’à leur tete. Etre surpris par leurs réactions est un des plus grands bonheurs de l’écriture.
Je ne les tiens donc pas en laisse mes personnages, la plupart du temps, ils échappent à mon controle, parfois meme diront-ils des choses que je n’approuve pas forcément.
Comment Marie – personnage moteur de « LA OU S’ARRETENT LES FRONTIERES » – follement amoureuse de Somchai – qui reve d’amour fusionnel, d’absolu, de cette « douce violence que rien d’autre au monde ne peut égaler » : l’Amour avec un A majuscule….finit-elle par parler à Somchai de facon provocante.. (un court extrait) :
– Je voulais te demander… comment se comportent les hommes de ton pays avec les femmes ?
– Les hommes français ?
– Oui, les farangs.
C’est vrai qu’il ne faisait pas grande différence entre français, britanniques ou italiens. La conversation prenait donc un tour sérieux, elle décida de « jouer le jeu ».
– De manière générale, ils sont tous en quête de l’amour parfait.
Il se tourna vers elle, regard incrédule : « Le seul amour parfait est celui décidé par Bouddha. « Phra Jao kamnot doï chockchataa ».
– Ne m’interromps pas toujours Somchaï, ta question n’est pas simple, surtout à cette heure de la journée » rétorqua-t-elle avec une note de bonne humeur un peu forcée dans la voix. S’il commençait à mêler ses croyances à ses explications, la durée du trajet n’y suffirait pas !
– Arrangé par Bouddha ou une autre divinité qu’importe, dans la réalité, l’amour parfait dure – disons entre un et trois mois.
Il ne devait pas apprécier l’association du Bouddha à son humour et préféra ne pas réagir.
– L’amour parfait, ça ne se trouve pas facilement tu sais, d’où le comportement infantile et papillonnant des hommes en général. Ils vont alors d’aventure en aventure et donc de déception en déception.
Etait-il choqué par ce constat et son ton désinvolte ? Il n’en laissa rien paraître.
– Les hommes, les femmes aussi, rêvent de l’amour fusionnel.
– Fusionnel ? Je ne comprends pas.
Elle s’attendait à une interrogation de sa part sur ce mot qui n’avait pas vraiment cours en Thaïlande. Elle tenta une explication :
– Quelque chose qui n’arrive qu’une seule fois dans la vie et qui dure… » Elle rit. « Si
l’amour parfait dure entre un et trois mois, l’amour fusion lui ne dure que quelques heures ou quelques jours. S’il dure plus longtemps, alors ça relève de la psychiatrie.
– Mayli !
– Bon, sérieusement, c’est très rare, voilà ce que je voulais dire.
– A quoi bon chercher quelque chose qui n’existe quasiment pas ?
– Je ne sais pas. On veut toujours attraper ce qui est inatteignable, c’est dans la nature humaine non ? Bref, s’il fallait faire une comparaison je ferai le rapprochement avec une drogue. Lorsqu’on y a goûté on voudrait que ses effets durent toujours et avec la même intensité que lors de la première prise. Un flash unique permanent. La lune quoi !
– La lune ?
– Une expression française !
Il ne la crut qu’à moitié et conclut, inquiet : « Quel ennui, tu ne crois pas » ?
– Tu n’as jamais éprouvé ça, toi, une impression d’absolu, une douce violence que rien ne peut
égaler…
– On ne grimpe l’Himalaya qu’une fois ! répondit-il avec une sagesse de sâdhu indien.
– Sublime comparaison Somchaï ! Rappelle-moi de la noter sur mon petit carnet tout à l’heure.
– Tu plaisantes toujours lorsque tu parles de choses sérieuses ?
– Disons que chez moi, à Paris, on ne considère les choses dignes d’intérêt que si elles sont contradictoires, ambigües, complexes… d’où une distance nécessaire obligatoire. C’est ça l’humour..
Il haussa les épaules.
– Tu m’as fait un cours magistral sur la société des hommes en Thaïlande cette nuit, laisse-moi à mon tour te faire découvrir un peu de l’esprit des français, enfin de quelques-uns. Je t’ai dit que les hommes et les femmes d’occident voulaient tout : la passion et la fusion…
– L’argent, tu oublies l’argent.
Somchaï ne se perdait donc jamais dans l’abstrait.
– L’argent aussi, sûrement… En plus de la passion et de la fusion, les hommes veulent aussi la durée mais sans engagement et sans que rien n’entrave leur liberté.
Elle le sentit absorbé dans une réflexion un peu confuse.
– Le paradoxe insurmontable, c’est cet affrontement perpétuel entre ce qu’on souhaite : l’amour toujours et ce qu’on ne veut pas perdre : la liberté.
– Et toi ?
– Oh moi, avec le shoot d’Asie que j’ai pris ces derniers jours et la leçon de cette nuit, je ne suis plus aussi puriste.
Il eut l’air soulagé.
– Je vous plains » dit-il pensif. « Vous devez beaucoup souffrir ».
Il n’avait pas tort, son raisonnement était celui de l’honnête bouddhiste pour qui il fallait éviter toute passion afin de ne pas en subir les conséquences inévitables : la souffrance.
– On cherche l’idéal absolu et lorsque par chance on s’en approche on prend la fuite car il exige en retour, de renoncer à notre sacro-sainte liberté
Extrait de « LA OU S ‘ARRETENT LES FRONTIERES » de Michèle JULLIAN, Editions de la Fremillerie Et disponible dans toutes les librairies (sur commande).
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