Je termine la lecture du « Corsaire Noir » que j’ai acheté il y a quelques mois à mon bouquiniste favori : un bel ouvrage, publié dans les années 30 aux éditions Delagrave. L’histoire, genre western maritime, m’a bien fait rigoler. Les ouvrages de Salgari, surtout les éditions anciennes, sont assez recherchés. Je vais tâcher de compléter ma série mais en prenant mon temps ; ma manie de la collection n’est pas poussée au point d’acheter n’importe quoi à n’importe quel prix !… Il y a un certain temps que je m’intéresse à cet auteur. Toute une série de titres ont été réédités dans la collection « Bouquins », mais j’ai surtout envie de me procurer les volumes anciens ; ils ont un charme désuet qui accentue leur côté pittoresque. Pendant longtemps, d’Emilio Salgari, je n’ai connu que le nom et je n’avais rien lu de sa plume. Comme je m’intéresse aux « romanciers populaires », de Michel Zévco à Gustave Le Rouge en passant par Paul Féval et autres titulaires de cette qualification, ma curiosité était quand même bien éveillée. C’est Paco Ignacio Taïbo II, brillant écrivain de romans policiers, contemporain, qui a provoqué l’ultime déclic avec la publication de son « retour des tigres de Malaisie », dans lequel il met en scène les principaux héros de Salgari dans une énième aventure, un sursaut post mortem bien distrayant. Bref tout cela m’a donné envie de m’intéresser un peu à la biographie de l’auteur et de vous faire partager ce que j’ai appris.
Emilio Salgari, l’homme à la belle moustache sur cette photo, est beaucoup moins connu en France qu’en Italie. Une bonne partie de sa production littéraire a pourtant été traduite dans de nombreuses langues et a donné lieu à des adaptations cinématographiques ou télévisées plus ou moins fidèles. Le personnage est haut en couleur, et quelque peu mythomane, ce qui fait qu’il n’est pas toujours facile de distinguer la part de réalité dans ce qu’il a lui-même raconté au sujet de sa vie. On possède quand même des informations à peu près fiables sur le déroulement de celle-ci. Il est né à Vérone, en 1862. Il a fait des études à l’institut naval de Venise, mais ne semble pas avoir vraiment réussi. Qu’il ait rêvé de naviguer, c’est une certitude ; la plupart de ses livres mettent en scène pirates ou flibustiers… Qu’il ait réussi à obtenir un quelconque diplôme dans la marine et vogué sur les océans, c’est beaucoup moins certain ! Il revendique pourtant fièrement le titre de « capitaine » Salgari et n’hésite pas à faire mention de son grade lorsqu’il signe ses premières créations. Son premier livre « Les sauvages de Papouasie » est publié en 1883. 82 romans et une bonne centaine de nouvelles, d’articles ou de chroniques suivent ce premier opus. La partie la plus intéressante de son œuvre a été écrite à la fin du XIXème siècle. Les textes qu’il fait éditer après 1901 sont plus irréguliers. A cette période Salgari sombre dans la dépression, et les difficultés matérielles qu’il rencontre le conduisent parfois à bâcler son travail. Une première tentative de suicide en 1910 échoue. La seconde, six mois plus tard, sera la bonne. Il semble qu’il ait choisi une mort spectaculaire, dans la droite ligne de son œuvre, puisqu’il se serait fait sepuku comme les samouraï japonais ! Il meurt ruiné, escroqué par ses principaux éditeurs et accablé par les problèmes familiaux. Avant de mettre fin à ses jours, il aurait fait cette proclamation tragique : «A mes éditeurs : A vous qui vous êtes enrichis sur ma peau, me laissant, ma famille et moi, dans une situation proche de la misère, je demande seulement qu’en compensation des gains que je vous ai procurés, vous vous occupiez de mes funérailles. je vous salue en déposant ma plume.»


Ses héros évoluent dans des décors certes conventionnels pour ce type de récit : la jungle, une île mystérieuse, les quartiers sordides des ports lointains… mais il sait donner un charme particulier à tous ces lieux. Ses héros ont tous un noble caractère ; ils sont généreux, courageux, romantiques en diable et il est rare qu’ils ne rencontrent pas, au cours de leur vie tumultueuse, une âme sœur avec laquelle leurs rapports seront terriblement conflictuels. Le corsaire noir tombe amoureux d’une femme quasiment parfaite. Elle n’a qu’un seul défaut, et le héros s’en aperçoit un peu trop tardivement : elle est la fille de son ennemi juré, de cet individu malfaisant qui l’a persécuté pendant des années, lui et sa famille. La vengeance du corsaire noir sera terrible et va ruiner cette passion naissante. Romantique à souhait, et bien distrayant si l’on est capable de prendre quelque distance avec le récit.

Autre aspect progressiste de son œuvre, le rôle dévolu aux femmes est loin d’être de la simple figuration. Sans être féministe à proprement parler, Salgari donne un rôle de premier plan à ses héroïnes et leur fait vivre une existence à la hauteur de leurs aspirations. Les femmes de ses différentes sagas portent souvent la robe mais rêvent de pantalon ; elles n’ont qu’une envie, c’est de brandir un sabre d’abordage ou une solide rapière. Elles ont un sacré caractère et n’hésitent pas à prendre des risques inconsidérés pour tirer leur épingle du jeu. Le premier livre des aventures de Sandokan, « le tigre de Mompracem » paraît en 1900. Il connait immédiatement un important succès, sauf auprès des critiques littéraires qui dénoncent le style trop fruste de l’auteur. Il faut dire que le roman populaire est un genre littéraire qui n’a pas la cote, même si les journaux font leurs choux-gras de tous ces feuilletons qu’ils publient bien régulièrement pour appâter leurs lecteurs. Dix autres volumes racontent les aventures de Sandokan. Le dernier paraît en 1913, après le décès du romancier, et s’intitule « la revanche de Yanez ». L’écrivain Luigi Motta ajoutera quelques titres à la saga.

L’existence d’Emilio Salgari n’a donc pas été facile. Son plus grand bonheur, en dehors de la naissance de ses enfants qu’il adorait, a été sans doute le plaisir qu’il a procuré à des centaines de milliers d’adolescents, lecteurs assidus de son œuvre. D’autres auteurs de romans populaires à succès de son époque comme Alexandre Dumas, Gustave Aymard, Mayne Reid on certainement mieux tiré leur épingle du jeu que lui… Même le plus trublion de tous ces écrivains, Michel Zévaco, finira ses jours dans une relative aisance matérielle que Salgari n’a jamais connue. En ayant écrit « le retour des Tigres de Malaisie », Paco Ignacio Taibo II lui a certainement rendu le plus bel hommage qu’on pouvait lui rendre !
références : sur Internet, le site rohpress, éditeur indépendant qui propose de nombreux ouvrages de Salgari, en anglais malheureusement. Le site « bibliothèque des grandes aventures » est riche en informations. A consulter également le site de la librairie Mompracem, qui possède un vaste rayon spécialisé dans le roman populaire et présente de façon détaillée de nombreux ouvrages. Autre source : « Le retour des tigres de Malaisie – Plus anti-impérialistes que jamais », roman de Paco Ignacio Taibo II, traduit par René Solis et publié aux éditions Métailié en 2012.
Pour enrichir vos connaissances sur l’ensemble des écrits de Salgari, je ne saurais trop vous conseiller également de visiter le site « La perla di Labuan« . Une seule restriction, il faut lire l’Italien !
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