Y-a-t-il quelque chose en commun entre le Jomon Sugi, cet arbre millénaire qui pousse encore sur l’île de Yakushima, et cette étrange exaltation de ne pas savoir ce que je veux écrire ?
Deux petites considérations qui n’ont, à priori, rien en commun.
1/ J’ai toujours voulu voir de mes propres yeux le Jomon Sugi.
2/ Avant de commencer à écrire, il faut savoir ce que l’on va écrire. Ou tout au moins, avoir une petite idée.
Ces deux considérations me semblent (en ce moment, ici et maintenant) absurdes.
Le Jomon Sugi ou Cryptomeria japonica est le plus vieil arbre du Japon, voire d’Asie. Âgé entre 2170 et 7200 ans, il trône sur l’île de Yakushima au Japon. Protégé depuis 1983, il se découvre après une marche guère harassante de trente minutes. Et comme il et l’île sont inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, ils attirent les touristes, les cinglés des îles, les amoureux de la nature, les zinzins des arbres et les familles nippones le temps d’un week-end balisé.
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Bien avant ma première carie, j’ai donc toujours voulu admirer ce monument de la nature. Je me voyais crapahuter sur les flancs du volcan insulaire, parcourir les sentiers humides et sauvages de cette île moussue et touffue, découvrir le vénérable, m’asseoir devant, l’étreindre peut-être, méditer sûrement.
Certains prétendent que c’est l’arbre le plus vieux du monde. D’autres disent qu’il faut aller en Suède, en Crète, en Tasmanie, dans l’Utah, au Chili pour trouver l’arbre le plus vieux du monde. Le vrai et le noble, qui inspire un respect mystique, celui qui précéda la création des plus vieilles villes de la planète, comme Alep ou Jéricho.
Or, le bon sens et ma petite expérience des sentiers non battus m’ont montré que le Jomon Sugi sera synonyme de déception.
J’en vois certains qui haussent les yeux au ciel. « Il nous fait encore un de ses sempiternels billets chagrins ». En fait, non. Dans tout voyage, dit-on, il y a l’anticipation, le voyage et les souvenirs. Or, les trois ne coïncident pas forcément.
{À ce stade d’écriture, je ne vois pas encore exactement où je veux en venir. Mais bon, ce n’est pas très grave. Cela prouve que mon point numéro deux est toujours valide}.
J’imagine donc mon arrivée sur l’île. Des panneaux expliquent en peu de mots ce que le visiteur éphémère va « découvrir ». Les toilettes sont à droite. Le kiosque à souvenirs à gauche ; il vend des casquettes, des tee-shirts, des bouteilles d’eau. Les intrépides visiteurs se préparent à affronter les sentiers tracés vers le vénérable comme s’ils partaient à la conquête de l’Aconcagua. Les files indiennes, les queues leu-leu s’effilochent grâce à quelques montées haletantes. Des bancs juchés sur des promontoires permettent au troisième âge et aux photographes de faire une pause, de biberonner ou de cracher les poumons. Diantre, il y a foule sur la petite esplanade, située à trente mètres du beau vieux vénérable. On se croirait à une exposition au Grand-Palais, impossible de voir l’œuvre sans se marcher sur les pieds. Ensuite, le retour. Il reste quelques photos rassurantes. Nous y sommes allés, proclameront-elles à l’interlocuteur lambda, sur Facebook ou à la pause-café du bureau.
Je privilégie les destinations à l’écart, les îles restées encore mystérieuses, les blancs sur les cartes. J’aime aller où je ne sais pas trop où je vais. Jamais déçu, parfois désappointé, toujours enrichi.
C’est sûr et certain: L’ancêtre Jomon Sugi me décevra et surtout ne m’enrichira pas.
Et aujourd’hui, « au commencement du reste de ma vie », j’écris sans trop savoir ce que je veux dire. Le trio hypothèse/argumentation/synthèse m’ennuie. Pis, il me semble peu approprié à mon état d’âme actuel. Eduqué au pays où le coq est roi (ce connard des basse-cours) et vivant dans cette contrée d’expert-comptable assurée contre tout, je me sens comme le grain de sable noir sur la plage immaculée.
J’écrit ce modeste billet de bonne année 2012 à vous tous. J’espère vivement que vous n’avez aucune idée de ce que l’avenir vous réserve. Mon imagination fait défiler les annotations en rouge dans la marge : « Hors-sujet. Que voulez-vous dire ? Confus. Vous vous perdez dans votre propre raisonnement ». J’aurais une mauvaise note, c’est sûr, pour n’avoir suivi ni les directives de l’île de Yakushima, ni celles de l’écriture académique.
C’est très exaltant de ne pas se diriger là on l’on ne veut plus aller.