Une fois de plus j’ai succombé aux charmes de la littérature caribéenne qui toujours, et particulièrement dans ce recueil de dix savoureuses nouvelles, est gorgée de soleil, de couleurs, d’odeurs et de saveurs entêtantes qui envoûtent jusqu’à l’ivresse.
A travers ces textes dans lesquels, Olive Senior, fait vivre ces paysans, et surtout ces paysannes, des montagnes jamaïcaines, là où elle a passé toute son enfance et son adolescence, avec leur langage vernaculaire, limité et fruste, mais plein d’expressions imagées et d’images hautes en couleur qui savent si bien dire la misère, la frustration, la déception, mais aussi les sentiments, l’amour et la haine, la tendresse et la rancœur… Elle a particulièrement bien su transposer cette tradition orale dans l’écrit, par exemple, en répétant les mots autant de fois qu’il le faut pour leur donner la force nécessaire que celui qui raconte juge utile pour décrire ce qu’il pense. Oui bien, bien ! Et même bien, bien, bien !
Ces nouvelles, même si elles sont indépendantes, forment un tout cohérent, la vie des enfants dans les montagnes abandonnées par les parents qui sont partis pour essayer de gagner moins mal leur vie « sur l’autre bord », celui de l’exil. Et, toute cette « manmaille » se retrouve à la charge de grands-mères ou de tantes qui sont déjà débordées par tous les trésors d’énergie qu’elles doivent développer pour essayer de faire survivre leur famille dans ce coin perdu de Jamaïque. Des familles bien aléatoires, construites au gré des départs et des retours, des unions et des désunions et des éventuels débordements extérieurs, les enfants « d’en dehors », au sein desquelles les pauvres gamins sont plus ou moins livrés à eux-mêmes, souffre-douleur des adultes, quotités négligeables à qui on ne fournit jamais d’explications et qui ne comptent que comme bouches à nourrir.
Dans ce monde qui ne semble vraiment pas fait pour eux, ces enfants apprennent la vie à travers les aventures qu’ils rencontrent et celles des adultes qu’ils comprennent comme ils peuvent. Ils vivent tous ces avatars comme des rites initiatiques qui les conduiront, avec une fatalité désolante, à la médiocrité qui leur est promise. Il n’y a pas d’espoir pour ces pauvres gosses abandonnés par leurs géniteurs et élevés par des vieilles déjà écrasées par la vie. Mais la misère semble moins pénible au soleil… disait le poète.