Le Centre Pompidou de Paris propose une exposition sur l’art d’Europe de l’Est… Sont présents des artistes provenant de Hongrie, Roumanie, Russie, Pologne et même Israël, parmi lesquels Tibor Hajas, Mircea Cantor, Katerina Seda, Daniel Knorr, Dimitri Prigov, Jiri Kovanda, Yael Bartana, pour ne citer que les principaux… Au travers d’oeuvres variées, ils retracent l’histoire de la deuxième moitié du XXème siècle et notamment la période du stalinisme…
Il faut d’abord s’acclimater à cet espace vide, où la scénographie d’exposition n’occupe que la diagonale de l’espace, laissant le reste en un quasi désert (mais c’est un choix -curieux- de scénographe, pas d’artistes cette fois) où seule subsiste une colonne de plastique transparent du Roumain Daniel Knorr, écho-débris des tuyauteries de la maison, mais, parait-il, empli de gaz lacrymogène (ou hilarant ?) dont on espère qu’il se diffusera lentement dans l’espace du Centre. Le contraste avec la confusion kitsch oppressante de la deuxième salle, cinéma et documentation, est frappant.
Mais une fois digérées les bizarreries de la scénographie (et la cacophonie résultant du son des vidéos voisines), l’étrangeté de cette exposition sur l’art d’Europe de l’Est depuis la guerre, Les promesses du passé, au Centre Pompidou jusqu’au 19 juillet, est venue, pour moi, de sa relative intemporalité : on pourrait croire que 1989/90 fut une rupture radicale, qu’il y eut un avant et un après, que les postures artistiques ont évolué en fonction de l’environnement social et politique, mais, dans un grand nombre de cas, on ne sait trop de quand dater telle performance, telle vidéo : était-ce un acte clandestin et audacieux sous la dictature communiste ou bien est-ce un provocation sans grand risque mais tout aussi virulente au XXIème siècle ? Ce défilé de belles Hongroises porteuses de zéros, du Hongrois Endre Tot (Zero Demo) date de 1980. A part sa tête grisonnante, Jiri Kovanda est intemporel, sans doute, et ses pâles imitateurs contemporains ont du mal à impressionner.
Beaucoup de pièces tournent autour de l’urbanisme, des bâtiments gigantesques de l’époque stalinienne ou des efforts de modernisation actuels : ce n’est pas la partie la plus intéressante, malgré les actions de Tibor Hajas, brûlant les photos d’immeubles détruits par la reconstruction. Une section s’organise autour de l’anti, anti-art, anti-exposition, anti-tableaux : revisite intéressante d’une histoire bien datée. Les portraits masqués du Russe Dimitri Prigov, où l’accumulation de ruban adhésif sur la photo voile et dévoile, créent un halo quasi religieux autour de ce corps convoité par la soldatesque.
Ce sont les oeuvres tournant autour de l’utopie, de l’histoire inventée, rêvée qui, à mes yeux, sont les plus fortes dans cette exposition, que ce soit le drapeau qui brûle de Mircea Cantor, ou l’ingénierie sociale de Katerina Seda. La pièce la plus dérangeante ici est celle de l’Israélienne Yael Bartana, dont le précédent film montrait un jeune orateur polonais appellant les Juifs à revenir vivre en Pologne.
Mur et Tour, présenté ici, montre le retour de quelques-uns d’entre eux, qui, en plein centre de Varsovie, construisent en 24 heures un kibboutz fortifié, avec mirador, projecteurs et barbelés. Bartana reprend ici encore le style des films de propagande sioniste des années 20, quand un peuple sans terre venait coloniser une terre sans peuple, avec les mêmes postures héroïques, les mêmes musiques conquérantes, la même auto-glorification face à un environnement perçu d’emblée comme hostile, les mêmes discours – toujours actuels – sur les ’settlements’ et la communauté. Les Varsoviens qui passent à proximité du chantier regardent, éberlués. Le drapeau flottant sur le fortin est très syncrétique, étoile israélienne et aigle polonais. De quoi rêver…(aux promesses du futur ? Avec Mich’ael Zupraner, un rapport avec Hébron ?)
Photos 1, 2 et 3 de l’auteur.