Il est à la fois rafraîchissant et déroutant de visiter, à la Maison Rouge (jusqu’au 26 septembre) l’exposition de la collection de coiffes du fondateur de l’endroit, Antoine de Galbert : la prétention scientifique est minimale, les explications des cartels sont très succinctes.
L’amateur d’exposition ethnographique apprécie habituellement les explications, la contextualisation, les références à l’environnement social, culturel, religieux de l’objet présenté. Les expositions du Quai Branly, qui ont certes fait l’objet de critiques par comparaison avec l’austérité de l’ancien Musée de l’Homme, décrépit mais pur de toute tentation esthétisante, ne se contentent toutefois pas de présenter de beaux objets : elles les insèrent toujours dans une grille de lecture scientifique, ethnologique, géographique.
C’est en particulier le cas actuellement de la Fabrique des images, sur la mezzanine, qui, au-delà de la beauté des objets présentés, fournit un tel schéma d’analyse, certes contraignant et discutable, mais éclairant et ouvert au questionnement : la dernière section, justement, y met l’accent sur les fausses parentés, sur le fait que des objets d’aspect similaire peuvent avoir, dans des cultures différentes, des sens tout à fait divergents, et donc que l’aspect visuel, esthétique seul, n’est pas une clé de lecture satisfaisante si on fait abstraction du contexte. Mais c’est là approche d’anthropologue, de scientifique, et non pas d’historien d’art, comme déjà le disait alors, dans un article fort critique un des honorables membres de cette profession.
Il est donc à la fois rafraîchissant et déroutant de visiter, à la Maison Rouge (jusqu’au 26 septembre) l’exposition de la collection de coiffes du fondateur de l’endroit, Antoine de Galbert : la prétention scientifique est minimale, les explications des cartels sont très succinctes. Point d’explications ici sur la manière dont telle coiffe est un médium spirituel, dont telle autre est un instrument de pouvoir, dont une troisième est un vecteur de liens sociaux ou conjugaux. Ce qui réunit ici côte à côte des objets d’origines, d’époques et d’utilités dissemblables, c’est essentiellement leur aspect, leur matière, leur beauté. Et on est en effet admiratif devant ces coiffes somptueuses, exubérantes, inimaginables (en haut, parures de rois et de dignitaires). La coiffe de théâtre chinoise ci-contre, faite de laiton et de plumes de martin-pêcheur, est-il nécessaire de savoir où et quand elle fut portée, dans quelles pièces, pour quels rôles, avec quel sens, pour admirer la pureté de ses formes et l’éclat de ses couleurs ? Je ne sais, pour être franc.
A côté des plumes d’Indiens de nos rêves enfantins, on voit ici bien des coiffes qui, sans référence, nous renvoient néanmoins à des formes, à des idées sinon universelles, en tout cas aisément identifiables et nommables dans notre propre univers. Cette coiffe de jeune initié banda (Oubangui, Centrafrique), prêtée par le Quai Branly, hérissée de pointes, traduit-elle, au-delà des frontières culturelles, la défense et l’agression ? Cette veste de chasseur Malinke (Mali), couverte de miroirs où la proie peut se voir, serait-elle une déclinaison africaine du mythe de Méduse ? Est-ce là un trait universel, un moyen générique de combattre ? Je ne sais.
Quelques-unes des coiffes présentées ici ont une beauté formelle universelle : cette coiffe cérémonielle Minangkabau de Sumatra, transposée ailleurs, pourrait passer pour une sculpture baroque, noeud ou baiser. A contrario, une coiffe étrange, au fond de l’exposition, masse de cheveux surmontée de cornes, attire les regards : pris dans ce tourbillon d’images, on n’en questionne pas l’utilité, on se contente d’en admirer la forme. C’est une oeuvre de l’artiste contemporain Théo Mercier de 2009, Le poil de la bête. Le tour est joué, la confusion est totale. D’abord irrité par l’approximation scientifique, je ressors plein de questionnements sur mon propre regard. Et c’est très bien.
Photos de l’auteur.
A côté de la collection de coiffes, La Maison Rouge offre aussi (jusqu’au 26 septembre) la fresque de dessins quotidiens obsessionnels de Jean de Maximy, frise linéaire, oeuvre à l’échelle d’une vie, à la Kawara ou Opalka, dont les formes endoscopiques ne sont que la surface des choses. Mais surtout il faut voir les sculptures poussiéreuses de Peter Buggenhout, pièces gigantesques, indéfinissables, monstrueuses, informes dans lesquelles on voudrait entrer, grimper, se lover, ressortir sale. Cette accumulation de déchets, de pièces récupérées dans des décharges ou des chantiers est comme le témoin d’une destruction, d’un cataclysme, d’un échouage. Tout en bas, les pièces à base de tripes bovines puent un peu, blanchâtres, répugnantes, elles n’offrent pas la fascination d’une Berlinde de Bruyckhere. Mieux vaut rester dans le métal et la poussière.