Alexandre Cabanel expose ses peintures au Musée Fabre à Montpellier. A noter dans votre agenda Montpellier…
Il est des musées que, plus ou moins consciemment, on associe à un ou deux artistes, à telle oeuvre marquante qu’on y a admirée. Ainsi, pour moi, le Musée Fabre à Montpellier, c’est Courbet et Soulages, les magnifiques salles aux tableaux suspendus et à l’éclairage diffus pour l’un, la donation Bruyas pour l’autre. Aussi, y aller voir une exposition d’Alexandre Cabanel (jusqu’au 5 décembre) crée au premier abord un certain sentiment de décalage, d’étrangeté (on y retrouve d’ailleurs Bruyas, Romain, roux et à l’oeil alors moins aiguisé).
C’est une belle et complète exposition sur un des grands peintres académiques du XIXème siècle, qui resta toute sa vie l’enfant modèle que son autoportrait à l’âge de 13 ans (1836) révèle. Il vécut dans l’univers des règles, des classements (’second premier grand prix’; on a bien du mal aujourd’hui à départager les compositions académiques concurrentes exposées ici) et des carcans de la peinture académique, repêché pour son entrée à la Villa Médicis (où il entra car le prix de composition musicale ne fut pas attribué cette année là, libérant opportunément une place pour Cabanel) et passant à côté de tous les événements marquants de son époque (1848, le Risorgimento, la Commune), tout sauf un peintre témoin de son temps. Il fut au contraire le peintre glorieux et quasi officiel du Second Empire et de Badinguet (qu’il représente en 1865 en culotte au genou, le mollet galbé et la jambe en avant, singeant le Roi Soleil de Rigaud) et de ces années où la IIIème République hésitait encore entre royauté et démocratie, accumulant les honneurs (Académie, Beaux-Arts, Salons, décorations,…).
Les règles de l’art passant alors par un érotisme de bon aloi, voici Albaydé (1848), orientale dénudée sans vraiment l’être, avec l’affleurement du sein sous la robe, et ce regard dur, frontal et inexpressif. Inaccessible et glacée, mais dans un décor luxuriant, son érotisme trop conventionnel exsude l’ambiguïté (Cabanel ne s’est jamais marié…). Le succès venu, beaucoup de portraits commerciaux de femmes du monde et de riches américaines en quête de culture et de titres, et beaucoup de tableaux dramatiques offrant la possibilité de dénuder le corps féminin, de Cléopâtre faisant essayer des poisons sur des prisonniers à Thamar violée par son frère Amnon et réfugiée dans une posture improbable sur les genoux de son autre frère Absalon, beaucoup d’esquisses, de dessins, de décorations d’hôtels particuliers ou de bâtiments publics, il y a tout ici pour faire une superbe rétrospective de ce peintre aujourd’hui oublié, voire dénigré.
Mais c’est vers le Salon des Trois Vénus que tous les visiteurs peu studieux tournent leurs pas et leurs regards, Salon de 1863 (il faut se demander constamment ce que faisait Courbet cette année-là , et Manet et Manet encore) où trois chefs d’oeuvre de l’art académique sont confrontés. La Vénus de Paul Baudry (La Perle et la Vague, 1862, ci-dessus) nous regarde par-dessus son épaule, avec une invite gourmande sans vergogne, entourée de symboles sexuels des plus explicites, écume marine, algues humides et coquillages nacrés. Celle d’Eugène-Emmanuel Amaury-Duval (La Naissance de Vénus, 1862, à droite), debout, tressant ses cheveux est plus cranachienne, plus ingénue perverse : les vaguelettes meurent à ses pieds.
Celle de Cabanel (La Naissance de Vénus, 1863), parfaitement épilée et aseptisée, a les yeux mi-clos, sa chevelure se mêle à l’écume spermatique, elle est cernée de putti bien plus animés qu’elle (et qui nous personnifient fort bien, nous autres mâles pleins de désir). C’est elle que l’Empereur achète. Il est revigorant de lire ce que Zola en écrit : “La déesse noyée dans un fleuve de lait, a l’air d’une délicieuse lorette, non pas en chair et en os – ce serait indécent – mais en une sorte de pâte d’amande blanche et rose” et Huysmans y voyait “une Vénus à la crème”. C’est pourquoi il m’a paru plus stimulant de vous la montrer ci-contre en compagnie…