La peinture murale abstraite ornant les murs de nos villes (‘Public Domain’), une sculpture minimaliste faite de grilles antisquat assemblées en un blockhaus vide et laissée vieillir dans un parking où elle s’enrichit de fientes de mouettes et de chocs de voitures – la lumière à travers ces grilles faisant un effet cinétique très années 50 (‘Antimatière / Avenue Thiers’), une forêt de poteaux colorés (’Jungle concrete’), des jardinières factices destinées à entraver le passage des véhicules et colonisées par des herbes folles (‘Hexagones / Adventices’), de banales armoires électriques repeintes (‘Brownboxes‘), voici quelques-uns des artifices urbains dont Matthieu Clainchard (un ex des Bad Beuys, aujourd’hui dissous) parsème son exposition “It’s like a jungle sometimes, it makes me wonder how I keep from going under” au Triangle France, centre d’art de la Friche de la Belle de Mai à Marseille (jusqu’au 12 juin).
Attentif aux petites failles de l’espace urbain, ce flâneur y relève l’incongru discret à côté duquel nous passons, aveugles; la série ‘Normaliser‘ est composée de photos recadrées et normalisées pour y présenter de manière uniforme les barrières rouges et blanches d’interdiction omniprésentes dans nos villes. Une autre des interventions de ce chasseur urbain est ‘Peinture de grande hauteur’, calibrage de la taille humaine et de ses orthèses, escabeaux de plus ou moins grande hauteur selon la qualification du peintre en bâtiment et les normes imposées par son assurance professionnelle.
Matthieu Clainchard a aussi invité à ses côtés une douzaine d’autres artistes : certains (’Opération caviardage’) montrent des graffiti effacés, recouverts, aseptisés. Une sculpture de Veit Stratmann (‘Chez Agnès’) est un rail absurde, impasse ne menant nulle part, évoquant pour moi l’oppression d’un checkpoint; il y a aussi, entre autres, un beau tableau tout de grilles et de tuyaux, de Peter Halley (‘Choice of screens’) et un ‘Martyr’ de Vincent Ganivet, plaque de bois ayant servi de support pour des découpes, vestige couvert de marques, d’empreintes, de traces en creux d’autres créations.
Sous des dehors minimaux très simples, c’est ici un travail critique d’appropriation de l’environnement urbain qui se décline avec obsession et humour, et où l’imagination est reine.
Voyage à l’invitation de Triangle France. Photos de l’auteur.