Exposition Lucian Freud à Pompidou : Freud et l’ambivalence
J’ai mis longtemps à écrire ce billet sur l’exposition Lucian Freud à Pompidou (jusqu’au 19 juillet) et j’y suis retourné deux fois. Pourquoi donc ?
D’abord parce que ce n’est pas de la bonne peinture. Sans aller jusqu’à l’outrance langagière des règlements de compte de certains critiques (au Monde ou dans Beaux-Arts), je ne vois pas comment on peut encore apprécier aujourd’hui ces procédés répétitifs, ces effets de perspective, cet académisme décadent, ce cabotinage (le film en fin d’expo est incroyable). Et pourtant j’avais été séduit il y a quelques années par telle ou telle toile vue dans des expositions collectives ou des collections de musée, mais la juxtaposition d’une centaine de tableaux ici est trop révélatrice.
Et pourtant j’y reviens, je reste longtemps devant ces toiles, devant ces nus monstrueux, ces murs maculés, ces tas informes de chiffons et, sans vraiment comprendre pourquoi, je ne peux m’en détacher.
C’est sans doute le grand-père qui a la réponse. Je ne m’épancherai donc pas plus longuement ici, contrairement à bien d’autres pour qui Lucian Freud est l’occasion rêvée d’un grand déballage. Et je ne montrerai nulle chair triste ici, seulement ce petit autoportrait dans un miroir ovale, coincé dans l’embrasure d’une fenêtre, acmé de cette énigme, de cette ambivalence (Interior with hand-mirror, 1967).
Valérie Jouve « un an en Palestine » : expo photos au Centre Pompidou
Valérie Jouve a rapporté des photographies d’un séjour d’un an en Palestine et propose un travail militant. Elle expose au Centre Pompidou jusqu’au 13 septembre 2010.
Ce n’est en rien un travail basiquement militant, ni un reportage sur le conflit, ni même sur la vie quotidienne sous l’occupation (comme ces images du silence); mais, dans ces contextes, tout travail, tout point de vue est nécessairement politique. Valérie Jouve montre à l’accoutumée des territoires, des villes de Palestine, Jérusalem, Naplouse, des collines si reconnaissables, et des personnages qui y vivent, qui s’y inscrivent, qui habitent ces paysages, qui en éprouvent les limites. Et c’est déjà beaucoup de dire que ce pays existe, survit, ne se laisse pas anéantir, coloniser, et c’est aussi cela qui transparaît de ce travail.
Venue d’Occident, elle adopte ici une approche plus lumineuse, plus douce et pudique, plus orientale sans doute. On sent là, plus fortement que dans son travail passé en France, une affectivité, une soif de découverte, un engagement quasi physique dans ce nouveau monde. La mise en espace de l’exposition nous mène du chaud au froid, du fermé à l’ouvert; la petite salle centrale avec son enroulement de murs, ici en parpaings pauvres, là en pierre antique de Jérusalem, et là en béton monstrueux, en est le coeur vibrant.
Je n’écris en général pas de billet ici sur les expositions auxquelles j’ai, même modestement, participé d’une manière ou d’une autre; mais je ne peux que vous inciter à aller voir l’exposition des photographies que Valérie Jouve a rapporté d’un séjour d’un an en Palestine, au Centre Pompidou jusqu’au 13 septembre.
Valérie Jouve étant représentée par l’ADAGP, les photos seront retirées à la fin de l’exposition. Sans Titre (Les Murs), 2008/2010, C-Print, 100 x 130 cm, détail d’un triptyque de 100 x 390 cm; Courtesy Galerie Xippas et Centre Pompidou.
Gabriel Orozco au Centre Pompidou: Contentez-vous de lire le catalogue!
Loin de moi l’idée de ne pas reconnaître en Gabriel Orozco un artiste majeur, capable de transformer les objets, de changer les points de vue, de surprendre et de questionner. Mais son exposition au Centre Pompidou (jusqu’au 3 janvier 2011) ne mérite pas le détour.
Loin de moi l’idée de ne pas reconnaître en Gabriel Orozco un artiste majeur, capable de transformer les objets, de changer les points de vue, de surprendre et de questionner. Mais son exposition au Centre Pompidou (jusqu’au 3 janvier) ne mérite pas le détour. La plupart de ses pièces sont présentées en modèle réduit sur des tréteaux de bazar : passe encore si on pouvait s’en approcher pour les voir de près. Mais une ligne noire au sol interdit l’approche, un sifflet strident se déclenche dès qu’on avance un petit doigt dans l’espace ainsi interdit, et d’ailleurs, deux policiers mexicains patrouillent l’espace (Imported guards); mais rien à voir avec Tino Seghal, ils ne se déshabillent pas, ni ne vous chantent une romance, pas de performance autre que leur présence. Et la réputation de la police mexicaine fait qu’on est quand même un peu mal à l’aise.
Même une pièce en grandeur réelle, comme le superbe crâne échiquier/FNAC Black Kites, est inaccessible, non seulement à distance sur un tréteau, mais en plus sous une cloche de verre, protégé, muséalisé. Et l’exposition est parsemée de pages arrachées à un catalogue de photographies de Lartigue, méconnaissables, incompréhensibles. Sinon, aucun cartel, à vous de deviner, d’après le plan sommaire, ce qui est quoi.
Cette stratégie d’exposition d’art jouant sur la frustration du spectateur, sur son impossibilité de voir comme il voudrait, aurait un sens si elle était congruente avec le propos de l’artiste (comme ce pourrait être le cas pour Vides ou pour Closky, par exemple). Mais je ne crois pas que ce soit le cas, Orozco ne travaille pas vraiment sur ces thèmes. Je ne comprends donc rien à cette exposition; j’ignore si au MoMA, à Bâle, ou prochainement à la Tate Modern (jusqu’au 2 mai 2011), on a retenu la même approche.
Certes, outre les tréteaux, il y a aussi des photographies et des dessins au mur et de grandes pièces au sol, dont la fameuse DS et les quatre bicyclettes (There is always one direction), oeuvres emblématiques de l’artiste (toujours sans cartel). Comme les murs vitrés du Centre restent ouverts, vous verrez tout aussi bien la DS de l’extérieur.
Le catalogue (je n’ai pu que feuilleter la version anglaise, la française sort ces jours-ci) a par contre l’air très bien; il vous dira tout ce que vous voulez savoir sur Orozco, bien mieux que cette exposition agréable, non comme une porte de prison, mais comme un parloir de couvent.
Photos de l’auteur.
Un autre avis, sur Art Daily.
Arman surprenant
Je suis allé voir l’exposition Arman / Arman * (au Centre Pompidou jusqu’au 10 janvier) avec peu d’enthousiasme, avec l’image bien établie d’un travail répétitif, commercial, voire parfois bâclé ou cabotin. Si je ne suis pas ressorti en fan inconditionnel, j’ai au moins découvert des facettes nouvelles, une complexité inconnue, une profondeur insoupçonnée dans son travail. Après les (fort intéressants) tamponnages de ses débuts, ses premières accumulations sont marquées par un humour féroce et un attrait pour le gluant dégoûtant (La vie à pleines dents, 1960, en haut), mais l’utilisation à partir de 1970 de résine comme aseptiseur rend son travail plus fade, sans odeur, sans décomposition.
L’accumulation d’objets ordinaires, trompettes ou bombes de Flytox, tient surtout grâce à l’ironie des titres (respectivement Jéricho et Tuez les tous), mais les grandes destructions, comme le Portrait-robot de Mozart (1985), sont souvent éclatantes, bois rouges, cuivres étincelants et masques noirs.
Il s’en dégage parfois une beauté formelle, aux antipodes du chaos destructif, une harmonie minimale, comme dans cette composition d’égoïnes (Janus, 1981) dont la sobriété bondissante tranche au milieu de bien des oeuvres tonitruantes.
J’ai été encore plus étonné par cette sculpture, dénommée Endless Variations, de 1967/68, blanche, dépouillée : quatre des faces du cube sont découpées en cadres articulés qui peuvent se déployer. Ces formes déformables à l’infini dénotent une sculpture mobile infinie, occupant l’espace de mille manières, contrastant le vide et le plein, évoquant des minimalistes comme Stella ou Judd. Ce jeu d’équilibre, de déconstruction et de recomposition, si différent des autres pièces montrées ici, est peut-être au coeur de la démarche d’Arman, coeur bien dissimulé derrière la faconde et la multiplication, mais bien vivant quand même. Ayant vu cela, on a plus de mal avec les banals hommages tardifs à Pollock et à van Gogh qui clôturent l’exposition, mais on repart avec quelques interrogations sur l’essence de sa démarche (et peut-être sa dénaturation par l’orgueil ou le marché).
* bisbilles juridiques et financières entre héritiers…
Lire Dagen (in cauda venenum).
Photos 3 et 4 de l’auteur. Arman étant représenté par l’ADAGP, les photos de ses oeuvres seront ôtées du blog à la fin de l’exposition.
Pour Arman il y a aussi
http://armancommunity.net
http://fondation-arman.ch
Et aussi Wikipédia etc…
Bonne lecture
Marc