« Perdre la face », expression mille fois entendue en Thaïlande. « Loose face » « Sia nha ». Plus qu’une expression, c’est un concept dans la culture asiatique ! Perdre la face peut provoquer des réactions d’une violence irréversible.
En politique, c’est plus grave que dans n’importe quel autre domaine puisqu’on perd la face – non seulement aux yeux de sa famille et de ses amis, mais, lorsque les événements sont graves et que les journalistes étrangers s’en mêlent – aux yeux du monde entier. Alors la vengeance doit être à la mesure de la perte de face. Pour réparer l’affront cette offense, cette blessure d’ego profonde. (No more comment).
La face c’est donc bien l’apparence. La surface des choses. Ce qui se voit d’évidence. C’est la première impression que l’on a de quelqu’un : son visage, son corps. Éventuellement sa beauté. Et voilà une histoire de face, telle que je l’ai vécue durant mon séjour à Udon en 2004 et telle que relatée à l’époque, dans « Souris et tue ».
« Mes activités parallèles de photographe m’amène souvent dans un magasin de photos où l’on développe essentiellement du numérique. Le personnel y est nombreux comme dans tous les commerces thaïs, car la main-d’œuvre est très bon marché. J’y rencontre Nati un petit bout de femme dégourdi, vivace et parlant un anglais très correct. Une vraie chance, car mes connaissances en thaïe ne vont pas jusqu’à maîtriser le vocabulaire technique. Nati m’accompagne au cours d’une prise de vue et nous bavardons plus intimement que dans l’enceinte du magasin. Je m’étonne de ne pas la voir davantage au comptoir, là où elle serait en contact direct avec les clients. Elle baisse la tête, honteuse. Aïe ! J’ai touché sans le vouloir un point sensible.
« Mon patron, un chinois, m’a demandée de rester à l’arrière du magasin. Je ne suis pas assez jolie pour être au comptoir. Il a choisi les plus mignonnes pour répondre aux clients. »
Je la rassure avec de pauvres mots de consolation. Ne pas être jolie en Thaïlande c’est presque une honte. Cela se traduit par un poste moins intéressant, moins d’argent. Une mise à l’écart. A quoi bon m’agacer ou m’insurger, cette pratique est courante dans tout le pays : des salons de massages, où les filles sont classées par catégorie avec des robes de couleurs différentes, jusqu’aux restaurants où les « mignonnes » sont chargées de prendre les commandes et les moins jolies remisées au fond des cuisines ou à la vaisselle.
« Suay » (joli), le mot revient sans arrêt dans toutes les conversations. En France comme ailleurs, un top modèle a plus de chance qu’une fille banale d’épouser un milliardaire. Mais en Thaïlande, il s’agit d’une vraie discrimination. Les vilaines au sous-sol, les jolies à l’accueil !! Les touristes sont bluffés, ils reviennent tous chez eux avec les yeux écarquillés : « Les Thaïlandaises sont toutes adorables, et si gracieuses. La Thaïlande c’est vraiment le pays de la beauté. »
Oui, mais ! Il faudrait prendre le temps de visiter les arrière- boutiques et les sombres bureaux de comptabilité en sous-sol. Être jolie, c’est l’obsession de toutes les filles, mais pas seulement ! Les garçons sont aussi touchés par le phénomène. Je le constate dans toutes mes classes. Ils s’examinent longuement, minutieusement dans de petits miroirs de poche, cachent leur acné sous des couches de crème ou de talc, se rassurent du regard et surtout fuient le soleil afin de ne pas avoir la peau noire. Horreur des horreurs !
La beauté, c’est la « face », ce qui se voit, se remarque et que l’on identifie au premier coup d’œil. Pas une seule fête de temple ou de village, pas un seul événement, commercial ou privé, par une seule cérémonie ne se termine sans un concours de « miss. » Moments attendus et longuement préparés par d’interminables heures chez le coiffeur « kathoey » du quartier. Avec une infinie patience, ils élaborent, souvent avant le lever du soleil, des coiffures artistiquement compliquées, qu’ils rehaussent de diadèmes, de couronnes, de tiares dorées ou de fleurs tremblotantes piquées dans la masse des cheveux crêpés à mort. Les corps emmaillotés de brocards ou de soie évoquent les « apsaras » des bas-reliefs d’Angkor. Mais la beauté thaïe n’est complètement exaltée qu’après la pose du maquillage qui sculpte les visages trop ronds, éveille les regards anonymes et transforment les paysannes en princesses de cour.
Les défilés de « miss » – prototypes de la femme thaïlandaise idéale – qu’elle soit miss « Loy Kratong », miss « Songkran », miss « Kathoey », miss « chou-fleur », miss « Chiang- Mai » ou miss « Floralies », sont toujours des spectacles amusants où seuls les numéros agrafés à l’épaule démarquent ces demoiselles, tant leur ressemblance, et leur conformisme sont frappés de similarités.
Je croyais ces concours de beauté réservés aux filles plutôt frivoles jusqu’au jour où je découvrais mon amie Ning, professeur d’anglais à l’école Saint-Mary, sur le podium de l’élection de Miss « Udon » Jolie certes, mais un peu effacée. Adepte du naturel, limite bigote, ce qui n’a rien d’étonnant dans une école catholique où sévissent quelques religieuses d’âge canonique. Ning m’avait toujours donné l’impression de mépriser ce genre de manifestation artificielle. Ses chaussures à plateforme, son maquillage ultra sophistiqué, et l’impressionnante masse de cheveux cartonnés de laque démentent ce stupide préjugé. Affublée du numéro 9, chiffre porte-bonheur par excellence, je l’imaginais, sinon en reine d’un soir, du moins dans le trio de tête de cette soirée.
Je n’ai pas osé demander à Ning les motivations qui l’avaient poussée à monter sur le podium de Miss Udon – c’eut été manquer au « Kwaam krengjaï » – mais je crois que la récompense de quelques dizaines de milliers de baths y était pour beaucoup dans ce coup de bravoure.
Le jury en a décidé autrement. Dans la foule, Nati ouvre de grands yeux sur l’estrade illuminée. L’humiliation d’une défaite lui sera au moins épargnée. Mais toute sa vie, elle portera la honte de ne pas faire partie des jolies.
Pour toutes celles qui seraient intelligentes, brillantes et pas forcément « canon », restent : la politique, l’enseignement, le « business », les carrières où la créativité joue un grand rôle et enfin tous les postes qui nécessitent des qualités féminines et masculines conjuguées, là où les hommes Thaïlandais mettent davantage en avant leur égo que leur compétence… Voilà ce que j’aurais dû répondre à mon amie Nati quand elle a évoqué sa tristesse de ne pas faire partie du bataillon des « jolies du comptoir », plutôt que de la rassurer maladroitement sur son physique :
« Petite Nati, c’est une chance de ne pas être confinée à un poste de représentation. De toute façon, il ne durera qu’un temps ! Le monde est à toi, il t’appartient parce que tu es courageuse, obstinée, intelligente et que tu travailles deux fois plus que les hommes qui t’entourent ».
J’espère qu’elle saura m’entendre et que dans quelques mois ou années, elle sera passée responsable du service développement et agrandissement du magasin et donnera alors des ordres aux « minettes »
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Bonjour,
Je suis étudiante en BTS Commerce International et dans le cadre de cette formation nous avons l’obligation de réaliser une étude de marché. Je dois étudier la Thaïlande et j’aurais voulu savoir si vous m’autoriseriez a publier deux de vos photos dans mon dossier? Il ne sera vu que de mes professeurs et peut être du recteur. Avec bien entendu votre nom.
Cordialement
Tatiana