Le plaisir qu’offre un vrai texte littéraire ne se boude pas ; il se partage. Voilà pourquoi il convient de parler de Gorgô (Galilée, 56 pages, 16 €), une vraie rareté, une orfèvrerie de littérature que nous livre Claude Louis-Combet. Un style dense, précis, à mille lieues des Angolades et autres sauriennes écritures issues d’un Durassic Park à la mode. Elégante, sans inutile pyrotechnie verbale, sans minimalisme non plus, la plume de Claude Louis-Combet plaira aux amateurs de Julien Gracq, de Pierre Bourgeade, de Marcel Béalu ou du Bernard Noël du Château de Cène.
Dans ce récit, l’auteur revisite la « biographie » de l’une des trois gorgones; ni Sthéno ni Euryale (cette dernière ayant été immortalisée par Jean Rey dans Malperthuis), mais Méduse, la plus célèbre d’entre elles, la seule qui, plus féminine peut-être parce que mortelle, fut décapitée par Persée. Bien sûr, conformément à la légende mythologique, l’héroïne est un monstre inquiétant à l’opulente chevelure de serpents, au charme vénéneux et au regard pétrifiant (pensons au portrait qu’en réalisa le Caravage).
En revanche, Claude Louis-Combet se refuse à reprendre la symbolique psychanalytique qui s’appuie sur l’interdit lié à la vision du sexe féminin ou l’angoisse de castration. Il est vrai que ce sexe féminin, terra ingognita ou véritable trou noir, au sens astronomique du terme (qui dévore tout ce qui croise à sa portée) constitua l’un des tabous suprêmes de l’Occident, une peur bien masculine dans un univers patriarcal : l’art refusa à la femme la représentation intégrale de son corps (alors qu’aux nus masculins, ne manquait pas le sexe) jusqu’à ce que Courbet brise l’interdit avec L’Origine du monde.
Il est vrai aussi que la psychanalyse, recyclant le tabou grec et chrétien, parla encore – citons Lacan, accessoirement propriétaire de la toile de Courbet – de « vagin denté », autre forme d’angoisse masculine, autre sanction de l’interdit. Mais l’auteur n’en a cure ; la fin de son récit dédouane le monstre de sa monstruosité même ; il apporte au mythe une autre dimension qu’il faut laisser au lecteur le soin de découvrir.
Ce texte est dédié « à Henri Maccheroni […] dont l’œuvre a inspiré ce récit », et l’on ne saurait s’en étonner. Car la démarche de Claude Louis-Combet entre bien en résonance avec l’œuvre de l’artiste, auteur des illustrations photographiques d’A, noir corset velu, le superbe recueil de poèmes de Pierre Bourgeade, sans parler du plus récent Ô, plein de strideurs étranges (toujours cette référence rimbaldienne) et des 2000 photos du sexe d’une femme. La lecture de ce court récit de 56 pages offre une pure délectation telle que je n’en avais pas rencontrée depuis longtemps.
Illustration : Le Caravage, ”Méduse”, Florence, Galerie des Offices.
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