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Guerre et paix aux îles Andaman

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Aux îles Andaman, deux peuples luttent pour leur survie. L’un est reclus, fort et belliqueux. L’autre est doux, vulnérable et en contact avec la « civilisation ».

Jusqu’en 2006 et pendant près de 60’000 ans, la tribu des Sentineles a vécu dans une relative insouciance, pêchant et cueillant sur leur île boisée et touffue de North Sentinel, située à l’ouest des îles Andaman, dans le golfe du Bengale.

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Marco Polo n’y a fait que passer au XIIIème siècle : « Ce sont des gens violents et cruels qui semblent manger tout ce qu’ils attrapent ».

Plus tard, les commerçants chinois, indiens ou omanais qui ont sillonné ces eaux chaudes et turquoise ont également été accueillis par des flèches et des lances. Ils décrivirent ces hommes « avec des becs d’oiseaux ». C’est dire s’ils évitèrent soigneusement cette île et cette mystérieuse peuplade.

On ne sait presque rien des Sentineles. Au nombre de 300 au grand maximum, probablement arrivés d’Afrique dans des temps immémoriaux, ils ressemblent physiquement à leurs probables cousins, les Jarawas, les Onges et les Grands Andamanais, qui habitent les îles Andaman voisines mais avec lesquels tout contact fut perdu depuis des siècles. Selon les très fragmentaires informations recueillies par quelques braves anthropologues et missionnaires anglais au début du XXème siècle (qui n’ont jamais passé plus de quelques heures sur l’île), les Sentineles ignorent le feu, ne savent pas compter au-delà de 2, chassent le cochon sauvage avec des arcs et des flèches, vivent nus et dorment dans des maisons communautaires. Les oiseaux sont leurs amis car ils parlent aux esprits.

Surtout, depuis en tout cas Marco Polo et jusqu’à maintenant, ils trucident les inconscients et les infortunés qui foulent le sable blanc de leur île.

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Un groupe de Sentineles sur les rivages de leur île. De facto autonome, personne n’a le droit d’y accoster.

Cannibales ? Cela reste à démontrer. Belliqueux ? Sans doute. D’ailleurs deux pêcheurs ont été tués en janvier 2006 lorsque leur bateau a accidentellement échoué sur ces rivages. A ce jour, les corps de  Sunder Raj et Pandit Tiwari n’ont toujours pas été rapatriés à Port-Blair, la capitale des îles Andaman, au grand dam de leur famille.

Cette ethnie recluse n’apprécie pas les étrangers. Ils craignent surtout les braconniers et les pêcheurs délictueux venant de Birmanie et de Port-Blair qui  viennent en toute illégalité s’approvisionner en poissons et en gibier.

La police indienne basée à Port-Blair n’est pas très pressée d’aller s’enquérir. En 2006, elle envoie toutefois un hélicoptère, lequel est attaqué avec des flèches. Le pilote fait rapidement demi-tour. Il aurait eu le temps d’apercevoir les corps partiellement enterrés des deux malchanceux, le rotor de l’hélico ayant fait voltiger le sable qui les avait ensevelis. Depuis cet incident, la police n’a pas jugé bon de pousser plus loin les investigations. Il y a la barrière de la langue (personne ne parle le sentinele), la peur d’une flèche perdue, le manque de témoins, la distance à parcourir pour un résultat plus qu’aléatoire. Et tout ça pour deux pêcheurs soûls qui ont dérivé à l’ouest.

Sentineles, île North Sentinel, Andaman,

Deux Sentinele lançant des flèches en direction de l’hélicoptère chargé de rapatrier les corps des deux pêcheurs ayant été tués. Photo Indian Coast guard.

Juste après le tsunami de 2004, les autorités indiennes – pressées par les organisations humanitaires – ont également dépêché un bateau pour secourir les Sentineles lesquels, pensaient-elles, avaient sans doute péri dans la catastrophe. Non seulement ceux-ci avaient miraculeusement survécu, mais les secours furent salués par des jets nourris de flèches et de javelots lancés par des hommes restés très en forme dans leur isolement naturel.

En 2010, les autorités indiennes et la police décident de laisser définitivement tranquille les Sentineles. Interdiction absolue de fouler, ne serait-ce que le quart de la moitié de l’orteil de leur île-refuge sous peine d’amende salée…et de suicide assuré.

Malheureusement, les quelque 300 Jarawas qui subsistent encore sur l’île Andaman voisine ne peuvent pas en dire autant.

Dans les années septante, une route est ouverte, traversant le territoire boisé et montagneux des Jarawas, un peuple nomade quasiment coupé du monde jusqu’en 1998, vivant en petits groupes, chassant le cochon sauvage et le varan avec des arcs et des flèches, collectant du miel et des baies. Les braconniers et les exploitants forestiers n’hésitent pas à pénétrer dans ces sylves touffues et peu peuplées.

Et les visiteurs s’invitent aussi. Les Andamais n’aiment guère leurs « primitifs », accusés de voler, de ne pas respecter les biens et la propriété privée. Mais ils intriguent les adultes et amusent les enfants. Pourquoi ne pas perpétuer, ici dans les îles Andaman, la bonne vieille tradition de la foire aux « monstres » et de se faire un peu d’argent de poche dans un archipel qui en manque cruellement?

Peu à peu, un commerce morbide s’installe. Des centaines de touristes prennent cette route et attirent les Jarawas avec des bonbons et des friandises pour les inciter à danser devant les caméras. Ce « safari humain », organisé par des tour-opérators peu scrupuleux et avec la complicité de la police, est dénoncé par l’ONG Survival International. Une vidéo publiée en 2012 sur le site du journal britannique The Observer crée un mini-scandale.

La Cour suprême indienne ferme la route fin 2002, mais les autorités des îles Andaman n’en ont cure et passent outre. Le commerce continue. Les Jarawas dansent toujours devant les caméras pour quelques bonbons, certains tour-operators s’en mettent plein les poches et graissent la patte de policiers mal payés. Une petite économie florissante dans un archipel sous-développé explique en partie cette situation navrante.

Outrée, l’ONG mène campagne. Le 23 janvier 2003, victoire ! La Cour suprême décide provisoirement de fermer la route. Mais le 6 mars 2013, patatras ! Elle revient bizarrement sur sa décision et en maintient l’ouverture. Le « safari humain » peut repartir de plus belle. Une fois de plus, les autorités locales ferment les yeux.

Les Jarawas sont menacés d’extinction. Les forêts où ils vivent sont de plus en plus exploitées, les contacts avec d’autres populations leur donnent le goût de l’alcool et des épidémies sporadiques de rougeole se sont déclarées en 1999 et en 2006. A court terme, leur survie est problématique.

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La Great Andaman Truck road traverse en partie le territoire des Jarawas.

Aux îles Andaman, on assiste donc à deux logiques à priori contradictoires. On protège les Sentineles, et on parque les Jarawas dans des zoos naturels, à l’instar de ceux qui existaient à Calcutta au milieu du XIXème siècle où les Anglais exhibaient les natifs des îles Andaman et Nicobar dans des cages.

Cependant, il semblerait que le côté belliqueux des Sentineles ainsi que leur manque de goût pour les friandises aient un effet dissuasif sur les tour-opérators locaux et sur certains policiers dépourvus d’assurance-vie. Et ces « primitifs » savent bigrement se défendre.

Les Jarawas, eux, sont plus vulnérables. Il y a aussi de l’argent à se faire. Cette  lamentable histoire universelle de petits sous, de cupidité et de corruption, de commerçants sans scrupules et de hors-la-loi locaux augure des lendemains malheureux.

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Les Jarawas vivent sur la Grande Andaman, les Onge sur la Petite Andaman et les Grands Andamanais sur l’île de Strait. Ces trois ethnies sont en danger d’extinction totale (maladies, alcool, exploitation sexuelle). Protégées par leur isolement, les Sentineles s’en tirent un peu mieux.

Survival International. Dossier sur les Jarawas

En 2010, la dernière représentante de la tribu Bo, des Grands Andamanais, mourrait.

Damien Personnaz

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