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Les soldats de l’Espérance, And the band played on : un film pédagogique sur le SIDA

Les soldats de l’Espérance (And the band played on) est un film témoignage sur le sida dans sa dimension historique, sanitaire et sociale.

Un film instructif et historique pour attirer l’attention sur le sida

Les soldats de l’Espérance restitue 10 ans de combat et les années terribles du sida avant même que ce nom soit officiellement adopté. Il se veut un hommage à toutes les victimes et tous les hommes et femmes impliqués dans l’épidémie de sida directement ou indirectement…Adoptant l’approche quasi documentaire, il raconte la découverte du virus du sida à travers des acteurs de la recherche, des activistes et les victimes, alors que les premiers milliers de morts mouraient dans l’indifférence.

Produit par HBO réalisé en 1992 par Roger Spottiswoode à partir d’un scénario d’Arnold Schulman, construit sur le principe de l’oeuvre chorale, il fait preuve d’intelligence, de courage et d’ambition. Sa mission est de révéler l’histoire du SIDA depuis ses prémisses aux USA comme une étrange infection touchant des gays, jusqu’à la course des chercheurs pour cerner le mode de fonctionnement de ce virus mutant et mortel dans presque 100% des cas. Il se conclut sur la bataille juridique concernant la reconnaissance de la paternité de la découverte et sur la mise en place des actions pour que les séropositifs et les sidéens ne soient plus autant stigmatisés.

Car le plus intéressant est sans doute l’éclairage sur l’activisme, la réception du sida dans le milieu le plus touché et la manière dont la communauté homosexuelle réagit et les multiples préjugés qui expliquèrent la longue inertie des institutions pour prendre conscience de l’urgence d’agir dès l’annonce des premiers cas. Ces militants essentiellement venus des communautés LGTB luttèrent non sans mal pour faire reconnaître le sida, ses malades, et l’enjeu social de l’épidémie, à des pouvoirs politiques sourds devant les multiples victimes. Une indifférence due pour certains au fait que les tenants des pouvoirs publics limitèrent trop longtemps le sida à une maladie de gays et de marginaux drogués ou prostitués, qui faisait payer à ses victimes le prix de leurs choix de vie et de leurs dépravations… Pourquoi donc investir de l’argent pour aider et tenter de sauver des personnes dont personne ne se soucierait?! Tel est le point de vue.

Dans Les soldats de l’espérance un casting aussi remarquable qu’inattendu et éclectique, est mobilisé pour une cause seule et unique : faire connaître le sida et aider à la prise de conscience du plus large public à une époque où d’aucuns pensent encore que le sida s’attrape en partageant la même pièce ou en serrant la main d’un séropositif ou d’un sidéen.

Ce film chorale n’est exceptionnel pas dans sa réalisation ni dans son scénario, et il est très classique dans son approche, mais il propose au moins une historique passionnant depuis l’apparition d’Ebola en Afrique, des premiers cas de sida dès 77 (premier cas du Danemark), 78-79 (en France) jusqu’à la brutale épidémie de sida qui a fait des ravages dans certains milieux au début et notamment celui des homosexuels, puis des toxicomanes…

Que ce soit grâce à la musique ou aux regards, à la destinée des personnages, les Soldats de l’espérance attire l’attention sur la terrible épidémie qui a vu le jour au début des années 80 et devait faire 3 décennies après, 40 millions de victimes et autant de séropositifs. On suit quelques médecins et chercheurs quasi clandestins, dont l’objectif est de trouver le mode de développement du sida en remontant la piste des patients touchés.

Le seul film dont le Sida est vraiment l’acteur principal?

Rares sont les films qui évoquent le sida comme thème unique. En France, la plupart des fictions qui se sont attaquées au sujet pendant trente ans, l’ont toujours croisé avec d’autres problématiques pseudo intellectuelles et plutôt complaisantes qui traduisent un certain nombrilisme des réalisateurs (comme N’oublie pas que tu vas mourir de Xavier Beauvoir ou Les Nuits fauves de Cyril Collard). Plus tardivement, le film confidentiel Clara et moi avec Julie Gayet dans le rôle d’une amoureuse qui apprend qu’elle est séropositive et préfère quitter son compagnon ou Les Témoins de Téchiney qui raconte avec justesse les premiers temps du sida corrigent un peu cette perspective pour aborder plus frontalement le Sida.

Aux USA, le tabou est encore plus grand et même Philadelphia, que l’on cite toujours comme une référence, a dû aborder les discriminations, car il ne trouvait pas les financements pour être produit et réalisé, à cause du sujet. Un compagnon de longue, film très touchant et réussi, explore bien en 1991 la manière dont le sida a bouleversé dès son apparition un petit cercle d’amis homosexuels qui n’étaient pourtant pas censés correspondre à la cible des homosexuels volages abusant de drogues et des bains douches avant de s’adonner aux pratiques sexuelles les plus extravagantes.

En définitive, c’est l’un des rares films à parler du sida presque exclusivement même si on ne dépasse pas bien sûr le milieu homosexuel alors considéré comme le milieu à risque avec celui des toxicomanes peut-être encore plus tabou.  Gia, un biopic dédié à Gia Maria Carangi, top model vedette du début des années 80, incarné par la sulfureuse Angelina Jolie, aborde le sida, mais la personnalité de Gia, lesbienne, toxicomane, confine toujours le sida à des milieux spécifiques.

Quelques téléfilms instructifs et audacieux ont réussi à voir le jour à la fin des années 80 ou au début des années 90. On citera pèle mêle Le combat d’Allison, l’un des premiers téléfilms américains à évoquer le destin d’une américaine blanche, hétérosexuelle et issue de la bonne société, qui s’est engagée dans la lutte contre le sida auprès des jeunes durant ses trois dernières années, Pour l’amour de Ryan et Ben n’aura jamais dix ans, deux histoires d’enfants hémophiles.

On retiendra surtout Le printemps de glace An Early Frost, un téléfilm remarquable avec Aidan Quinn en avocat sidéen vivant ses derniers mois et affrontant sa famille qui ignore tout de ce mal, sans oublier l’émouvant téléfilm In the Gloaming de Christopher Reeve avec Glenn Close en mère impuissante au chevet d’un fils mourant du sida…) Mais depuis 10 ans, plus rien ou presque sur le sida, comme si ce n’était plus à la mode, si ça n’intéressait plus personne, et encore moins le milieu du cinéma…

Pourtant beaucoup de spectateurs, y compris les cinéphiles, ignorent qu’en 1985, le premier film narratif sur le sida est tourné, à une époque où le mot sida n’avait pas été encore prononcé officiellement aux Etats-Unis par le président Reagan. Le très sensible et méconnu premier film sur le sida Buddies d’Arthur Bressan (1985) vient tirer la sonnette d’alarme pour rappeler l’urgence de reconnaître ce virus et d’agir pour lutter et chercher un traitement. Mais ce film indépendant à faible budget, joué par des acteurs gays principalement à destination de la communauté gay la plus ébranlée au milieu des années 80, reste confidentiel et ne touche donc pas le grand public.

Les soldats de l’espérance est l’un des rares films à aborder le sida dans une perspective historique pour en faire le vrai sujet. Alors que souvent, il est approché à travers l’histoire d’un ou plusieurs malades et de leurs proches ou de groupes d’amis touchés et décimés, ici, le sida est l’acteur principal dans toutes les dimensions qu’il révèle. Il fait l’objet d’une enquête quasi policière passionnante. D’ailleurs, son déroulé est chronologique pour bien identifier les étapes de l’émergence, de la propagation de l’épidémie et du traitement administratif, scientifique et sanitaire. Bien que chacun des nombreux personnages (tous ayant réellement existé) soit à sa juste place, le sida est le seul vrai personnage, multiforme et aussi fascinant qu’angoissant.


Les soldats de l’Espérance, chronique historique sur l’épidémie du sida

Ebola 1975. La première scène s’ouvre sur une intervention de l’un des héros du film, Don Francis, qui intervient en Afrique lors d’une épidémie d’Ebola. Ce n’était pas le sida, mais en un sens un signe précurseur.

Été 1981, les revues médicales mentionnent l’émergence d’une infection qu’on n’appelle pas encore le SIDA. 7 morts sont enregistrés à New York, et à Sans Francisco, la ville de la libération sexuelle des gays aux Etats-Unis. Une poignée de chercheurs et épidémiologistes, pourtant dépourvus de fonds et de moyens, s’intéressent et enquêtent sur cette maladie au fonctionnement incompréhensible. Elle atteint le système immunitaire de jeunes hommes homosexuels jusqu’alors bien portants au point de le détruire et de les tuer en quelques semaines ou mois. La panique gagne rapidement la communauté homosexuelle, qui y voit surtout une tentative pour l’empêcher de vivre son mode de vie, après de longues décennies de vie clandestine et d’oppressions.

and the band played on équipe de chercheurs et travailleurs sociaux américains
Chercheurs et travailleurs sociaux du CDC d’Atlanta et de Californie

L’apparition des premiers cas et leur suivi dans la communauté gay de Los Angeles est passionnant. On comprend combien il est difficile d’enquêter sur un milieu à la fois soucieux de préserver sa récente libération sexuelle et conscient qu’une menace le frappe. Comment se mobilisent certains activistes dans la communauté gay et se développent aussi les campagnes de l’urgence. L’effigie du « cancer gay » qui deviendra pour l’histoire LGTBQ le « AIDS Poster Boy » est un certain Bobbi Campbell ; le premier à oser donner un visage au sida pour qu’on reconnaisse les souffrances des victimes déjà terrifiées par la seule perspective qui était la leur : la mort. Ce n’est pas encore le temps de la colère. Simplement les prémisses de cette ère sombre dominée par la peur et de l’incrédulité « There’s nothing gay in gay cancer ».

bobbi campbell jeune gay atteint du sida qui figure sur la première campagne d'alerte sur le virus dans and the band played on
Donal Logue interprète Bobbi Campbell jeune gay atteint du sida qui figure sur la première campagne à propos du cancer gay

On apprécie cette poignée d’épidémiologistes et de travailleurs sociaux qui s’organisent pour mettre en évidence des symptômes associés à ce mal inconnu, les maladies opportunistes déclarées par des patients pour lesquels on ne peut pas encore pratiquer de test de dépistage. Les médecins sont confrontées à ces syndromes de Kaposi pneumocystoses, toxoplasmose, sans comprendre pourquoi des hommes bien portants qui ont pour seul point commun d’être gay, tombent malade subitement et dépérissent. Le téléspectateur s’engage avec eux dans la course vers le patient 0 qui a permis de mettre en évidence la chaîne de contaminations et certaines des voies de transmission.

and the band played on un malade du sida en train de mourir

Longtemps qualifié de « cancer des gays » « mysterious rare gay cancer », il était bien une grande inconnue et un défi lancé au monde. C’est grâce au courage, à l’abnégation et à la motivation de personnalités comme Don Francis, l’un des personnages à la fois acteur et témoin, ou William Darraw du centre national des centres pour le contrôle des maladie et de la prévention à la division des maladies sexuellement transmissibles,  que le sida sera percé à jour après des années d’erreurs. On s’immerge dans quelques uns des combats menés par les milieux homosexuels dans l’Amérique conservatrice de Reagan pour faire accepter que le virus du sida n’était pas une « peste » propre à cette communauté profondément discriminée.

Une adaptation du livre de Randy Shilts And the band played on

Les soldats de l’espérance est inspiré de « And the Band Played On : Politics, People and the Aids Epidemic », essai du journaliste américain Randy Shilts. Publié en 1987, il est le fruit d’années de recherches. Il rappelle à travers un travail minutieux d’enquête la manière dont le CDC d’Atlanta et d’autres acteurs ont travaillé pour identifier, puis comprendre les mécanismes de contaminations, tout d’abord dans le milieu homosexuel, grâce à un cluster reconstitué autour de l’initiateur Gaetan Dugas ; celui qui deviendra à tort le « patient zéro du sida ». Cette dénomination avait selon l’auteur pour objectif d’humaniser le sida pour dénoncer le silence de l’administration américaine. 

Le véritable gaetan dugas longtemps considéré comme le patient zéro du sida
Le véritable Gaëtan Dugas longtemps considéré comme le patient zéro du sida

Depuis l’épidémie d’Ebola en 1977 qui était annonciatrice de ce que deviendrait l’un des pires virus au monde, jusqu’à la dispute pour la paternité de la découverte du sida, on suit les investigations semées d’embuches pour comprendre à partir d’un malade, comment s’est développé le sida en Californie notamment à San Francisco (puis dans d’autres Etats).

Randy Shilts est bien à l’origine du mythe du patient zéro du sida. Par facilité? Pour des raisons moins glorieuses, peut-être? (comme celle de faire parler encore plus de son livre). Tout jour est-il qu’en nommant Gaetan Dugas, la légende s’est transmise et aujourd’hui encore, beaucoup continuent à penser que l’agent de bord à la vie sexuelle trépidante aurait à lui seul infecté les communautés homosexuelles de New York, San Francisco, Miami, Chicago, et d’autres villes où ont été recensés des partenaires. La faute est de parler de patient originel plutôt que de cas index permettant de remonter une chaîne de contamination, mais le mal est fait.

Peu avant la sortie de son livre, Randy Shilts avait lui-même révélé ce nom publiquement à des membres du gouvernement et des instances de santé, sans se soucier de la portée que cela aurait sur la mémoire de cet homme pour sa famille et ses amis. Il était mort, et peu importe cet effet collatéral dans l’historique du sida, si cela faisait prendre conscience au gouvernement américain, de l’urgence d’agir contre l’épidémie.

Comprenant son erreur, Shilts allait consentir à en faire une nouvelle pour s’assurer d’une publicité médiatique de son ouvrage dont l’ambition informative ne peut être remise en question. And the band played on devint un best-seller récompensé par divers prix. Alors que le sujet n’intéressait guère à l’époque et que le réquisitoire contre l’administration Reagan dérangeait, le livre fit la une de plusieurs journaux majeurs contre toute attente, à cause du biais choisi. Un article du New York Post à propos de son ouvrage ne retenait que la saga de Gaetan Dugas, le patient zéro comme l’avait appelé Randy Shilts. C’était la première fois que l’expression apparaissait et qu’un nom était lâché en pâture au public. La photo du « criminel » « irresponsable » et le titre abusif « The man who gave us Aids » avaient suffi à garantir le succès d’audience. The Chronicle fut le premier journal à accepter de parler des données rapportées par Randy Shilts.

Malgré les préjudices à l’encontre de la famille de Gaetan Dugas, déjà très affectée par la perte d’un être cher, et harcelée alors par les médias, au point qu’elle refusera toute prise de parole publique jusqu’à aujourd’hui encore, Randy Shilts était trop obnubilée par la mission qu’il s’était assignée pour pour le mythe du « Colombus of aids ». Au nom de son objectif de dénonciation de l’attitude des pouvoirs publics américains face à « un désastre national » car il y avait une « négligence criminelle ». Et elle n’était pas seulement sanitaire, mais elle interrogeait toute la société américaine.

Gaetan Dugas : l’enquête autour du faux patient zéro et la naissance d’un bouc-émissaire

Trouver le responsable, celui par qui tout a commencé. C’est finalement là que débute l’investigation de Randy Shilts. Si le film ne donne pas cette impression, il porte en lui cette quête et ses limites. Dans l’histoire du sida, bien plus que dans celle de toutes les autres pandémies, la question du « patient zéro » apparaît comme très récurrente, car il semblait important de savoir qui avait été la première personne à contaminer. L’intérêt scientifique de la démarche a beau être limité, puisque rien ne permet de certifier l’implication originelle, les sociétés et les médias ont aimé fantasmer sur des coupables et Gaëtan Dugas avait tout du coupable idéal. Du Diable. Des anciens amants, coups d’un soir, insisteront sur le fait que « l’animal était diablement séduisant et bien monté ». Forcément, plus que le virus en soi, il devient le parfait agent de propagation, de part son métier qui en fait un grand voyageur, et son appétit sexuel que lui-même revendiquait avec fierté.

A posteriori, vingt cinq ans après mon premier visionnage, je découvrirai que And the band played on a été à l’origine de la polémique autour du patient zéro, en décidant de pointer Gaëtan Dugas comme celui qui aurait amené le sida aux USA.

Jeffrey Nordling dans le rôle de Gaetan Dugas
Jeffrey Nordling dans le rôle de Gaetan Dugas

Le film n’accuse pas, mais déroule avec objectivité les étapes autour de l’enquête impliquant ce steward, mort du sida à 31 ans en 1984. A l’époque de sa réalisation, ce québécois était encore (et pour beaucoup toujours aujourd’hui quand on épluche la presse), l’homme qui avait propagé le sida à cause de son homosexualité totalement assumée même si dans les années 70 et au début des années 80 ce n’était pas évident, et de son appétit sexuel insatiable. Il était jugé comme un monstre et dans les journaux, était devenu l’origine du mal à lui tout seul.

Ainsi, on découvre comment les chercheurs du CDC d’Altlanta (centre général des maladies infectieuses aux USA) ont connu Gaëtan Dugas grâce à des interrogatoires auprès de trois homosexuels de Los Angeles, en train de mourir dans le même hôpital et qui se souvenaient de cet amant en raison de son style, de son accent canadien Français et de son intense sexualité. Ils ont pu reconstituer autour du patient numéro 57 (Gaëtan Dugas) un cluster de plus de 72 personnes, grâce à sa remarquable coopération et son carnets d’amants. Il était le centre de ce groupe et non pas forcément l’origine de la transmission du sida, peut-être liée à une contamination dès le milieu des années 70.

De plus, on ne peut ignorer que Dugas ne se savait pas malade du sida, et ne pouvait pas consciemment continuer à le transmettre par ses pratiques sexuelles toujours soutenues, alors qu’il pensait souffrir d’un cancer de la peau : le Kaposi. Ce réseau de relations interconnectées uniquement par le fait d’avoir eu des rapports sexuels avec ce Québecois a permis de comprendre la logique de transmission de cette infection du système immunitaire par cette voie.

Les soldats de l’espérance ne prétend jamais que le steward canadien soit à l’origine de tout et l’initiateur du sida aux USA, comme l’affirmeront abusivement le New York Times ou New York Post et le Chronicle. Il reconnaît même combien la contribution de Gaetan Dugas a été précieuse pour reconstituer un cluster de malades du sida. Il s’est déplacé jusqu’à Atlanta pour donner des échantillons de sang, participer à l’étude, faire des examens. Il a accepté de collaborer en communiquant des noms d’amants, ce qui n’avait rien d’évident, quand on imagine avec le recul des étrangers éplucher toute son intimité pour essayer de prouver qu’il était à l’origine de plusieurs morts et avait propagé l’infection auprès de dizaines de personnes. Cette aide fournie aux épidémiologistes alors que rien ne l’y obligeait n’est pas assez reconnue pour ce qu’elle a eu de décisif. Hélas, le film ne corrige pas cette erreur du livre et épouse sa thèse sans regard critique pour imprimer encore mieux ce nom comme l’un des responsables de la tragédie du sida.

Randy Shilts faisait de sa quête du patient zéro une sorte de mission. Non pas par sensationnalisme mais parce qu’il estimait que cela obligerait les pouvoirs publics à ouvrir les yeux si on leur montrait les risques de contamination induits par un seul individu. En l’occurrence un super contaminateur comme Dugas, dont la vie sexuelle très libérée l’exposait à entretenir (selon lui) plus de 300 nouveaux amants par an.

Et n’était-ce pas à cette hyper sexualité ou sexualité débridée que l’on réduisait les homosexuels, au début des années 80, après qu’ils ont du longuement lutter pour trouver une certaine liberté dans les années 70? C’étaient pour beaucoup des individus incapables d’entretenir des relations stables et fidèles, consommateurs de poppers (une drogue en vogue facile d’accès et aux effets stimulants très rapides), friands de rencontres dans des toilettes ou des bains publics et sur des pistes de discothèques et de clubs qui se transformaient en scènes d’orgie.

Dans ce contexte utile à rappeler en 1990, le film préfère conforter sa thèse centrale à propos des bains publics fréquentés assidument par les homosexuels (et Dugas) pour appuyer sur la « négligence éthique, sanitaire et morale » de l’administration Reagan. Des détails minutieux ont été accumulés pour montrer quelles étaient les pratiques en ces lieux et comment le maintien de leur ouverture contribuait à la propagation du sida.

En réalité, le cas Gaetan Dugas ne constitue que 11 pages des 620 du livre de Randy Shilts, mais hélas, ce fut cette exposition qui permit d’obtenir la faible publicité qu’il reçut à sa sortie. L’administration Reagan n’avait aucune envie de laisser un livre attaquer sa gestion et le travail des CDC. Elle fit en sorte de mettre la pression pour que And the band plays on n’ait pas l’écho. Dans le film, le steward est réduit à deux ou trois apparitions très limitées, mais en voyant le film, c’est bien de cette personnalité que le public se souviendra avec tout le contre-sens historique de cette identification grâce à un nom et un visage.

Une épidémie qui remonte aux années 70

D’excellentes enquêtes prouvent désormais que Gaetan Dugas n’était pas le patient zéro et que le sida se transmettait dès la milieu des années 70. Michael Worobey, biologiste moléculaire à l’université d’Arizona à Tucson, a analysé la séquence génétique de souches virales VIH présentes dans des échantillons sanguins collectés en 1978 et 1979 chez des hommes homosexuels et bisexuels dans les villes de San Francisco et New York. Ces séquences ont été comparées à celle du virus contenu dans un échantillon sanguin de Gaëtan Dugas collecté en 1983. Le sida, virus à ARN, mute à chaque fois qu’il se réplique.

Il ressort que : « l’épidémie américaine de sida remontre aux alentours de 1970 pour la ville de New York et que le virus a atteint San Francisco vers 1975. Dans l’arbre phylogénétique des premiers isolats viraux américains, le génome viral de Gaëtan Dugas se situe entre les deux. Le génome du VIH qu’il hébergeait est proche de celui de souches virales qui circulaient à Haïti, où il s’était rendu en 1977. »

Mais pour plusieurs générations d’homosexuels, sa mémoire reste vive et son cas a agi comme détonateur. Pour les homophobes, convaincus que l’homosexualité était un pêché, une dépravation, une maladie mentale ou une perversité, les agissements de Gaetan Dugas, qui refusait d’admettre sans preuve scientifique que le sida était transmis à cause de ses pratiques sexuelles, ont aggravé le sentiment que cette maladie était méritée.

Jusqu’à sa mort Gaëtan Dugas a refusé de changer son mode de vie. Il a considéré que les chercheurs et les membres du milieu médical désireux d’alerter généraient la peur et le rejet des séropositifs et des malades du sida (pas encore défini avec ce nom mais sous celui de GRID), en émettant des hypothèses encore improuvables, même si son exemple et le cluster associé ont été déterminants pour avancer dans la compréhension des contaminations.

A voir également :

le très intéressant documentaire Sida : Patient Zero (Killing patient zero dans son titre original) qui revient sur l’histoire du patient zéro du sida et l’erreur historique inhérente à cette désignation. La recontextualisation dans la libération homosexuelle et la commercialisation de la sexualité dans les années 70 est édifiante.

La dénonciation d’une tragédie à cause des préjugés

And The Band Played On les soldats de l'esperance

Le sida est présenté sous ses dimensions sanitaires, sociales, activistes, scientifiques et juridiques. C’est bien la grande force, puisque toutes sont rapidement imbriquées pour démontrer ce que le sida avait aussi d’intensément politique, en raison de la cible initiale qu’il a touchée. Il est ironique que l’essai de Shilts, puis le film, aient pour ambition de casser des préjugés qu’eux-mêmes transmettent plus ou moins inconsciemment. Au moins par rapport à la stigmatisation de Dugas et au-delà, le jugement porté sur sa vie et au-delà sur celle d’une grande partie des homosexuels dans les années 80. Néanmoins, on préfère retenir la cible que constituent les pouvoirs publics américains.

On apprend dans les grandes lignes les références utilisées pour mettre à jour le virus et notamment la leucémie des félins qui a permis de faire un rapprochement avec les rétrovirus découverts par Gallo.

La reconnaissance du sida suppose une médiatisation dans le milieu même où il se développe le plus, au risque de laisser entendre que le virus serait vraiment identifiable ou du moins identifié par une orientation sexuelle et ses pratiques. Il n’est sûrement pas facile de demander à des hommes enfin heureux de pouvoir être eux-mêmes sans honte, ni sans se cacher de renoncer à ce qui fait leur identité et leur mode de vie. On le comprend très bien lors de la mise en place de réunions de prévention et d’informations, forcément très compliquées à mener, dans la mesure où les connaissances étaient encore aléatoires. Bill Kraus, l’un des activistes très influents à San Francisco et conscient de la nécessité de faire du bruit pour obliger l’administration à donner des fonds, est le premier à se heurter au difficile exercice de prévenir la communauté, tout en devant montrer l’urgence d’impliquer les services administratifs et politiques. Comment faire de la prévention sans toucher aux droits fondamentaux d’individus qui souvent se définissent par leur orientation ou identité sexuelle? Comment les promouvoir et les défendre, alors que le sida semble imposer comme solution la privation, le renoncement, la fermeture des lieux pointés comme principaux centres de transmission? Comment attirer l’attention des politiciens, susceptibles de débloquer l’argent s’ils prennent conscience de la gravité de la situation, sans utiliser leurs méthodes pas toujours flatteuses?

Au profit de la défense nationale, les USA avaient réduit les dépenses liées à la santé dans les années 80. Beaucoup de conservateurs se sont durablement opposés à l’attribution de fonds et d’aides pour permettre de faire des recherches sur le sida, en particulier car cela touchait les homosexuels. De plus, à cette même période, les rivalités entre l’institut National du Cancer (NCI) et l’institut des allergies et des maladies infectieuses (NIAID) étaient intenses et leurs dissensions et luttes pour les budgets ont alors explosé au grand jour pour expliquer certains facteurs de blocage dans la recherche.

Le sida pouvait se manifester par des cancers comme le syndrome de Kaposi et c’est pour cette raison que le NCI avait travaillé en premier sur le virus. Mais sa nature de virus justifiait de l’associer aux maladies infectieuses et de doter le NIAID de la majorité des fonds pour mieux travailler à son identification, alors que leurs orientations de recherche étaient plus larges. Au-delà du retard pour l’obtention de ces fonds publics de manière à mieux comprendre et appréhender cette maladie, la nature même du sida à ses débuts est le coeur du problème. Avant que ne soient enfin identifiés d’autres types de malades comme les hémophiles, les transfusés, des bébés etc, il fallait parvenir à éveiller les consciences sur le fait que le sida pouvait concerner tout le monde et ce défi semblait aussi complexe que celui de l’identification complète du virus et son mode de réplication.

Le mystérieux « cancer gay » comme on l’appelait a commencé à se manifester de plus en plus dans les milieux non homosexuels à New York, San Francisco , Los Angeles et partout dans le monde (dans la quasi indifférence). Les immigrés haïtiens de Miami ont sûrement été les victimes qui ont attiré l’attention sur le fait que le sida n’était pas qu’une maladie de « gays ». Mais comme il s’agissait d’immigrés, parfois illégaux, il est évident que les USA n’ont pas pour autant déployé des fonds pour mieux savoir ce qu’était le sida à l’époque…

On comprend aussi les difficultés qu’ont eu certains militants du milieu homosexuel à faire comprendre à la population pourtant la plus touchée qu’il fallait prendre des mesures pour fermer les lieux qui permettaient la diffusion, comme les bains saunas gays, lieux de toutes les pratiques les plus libérées. Il n’y a pas de complaisance ni de jugements, lorsqu’on explore les lieux où s’est diffusée le plus vite le virus, tout en sachant que le Sida a longtemps fait l’objet des pires discriminations et qu’il a donc été difficile de légitimer certaines actions.

On n’échappe pas au triste combat pour la paternité de la découverte du VIH… qui est sûrement le point le plus dommageable de cet historique, dans la mesure où il insiste sur la vanité de l’homme et la médiocrité de la gloire supposée, tirée de cette « découverte ». Les visages se succèdent, disparaissent pour la plupart…

 Un film sur le SIDA  proche du documentaire

Dans Les soldats de l’espérance, l’émotion est très présente, bien que l’on ne tombe jamais dans la facilité du pathos, du fait de cette volonté très proche du documentaire, de reconstituer une Histoire du SIDA par des fragments d’histoires. Les dernières minutes rendant hommage à toutes les victimes sont très poignantes. Un film témoignage, intemporel, qui reste toujours d’actualité et qu’il faut voir absolument!!!!

Tant de noms de personnalités de tous milieux et d’artistes connus foudroyés par le sida – certains ayant même comme Rock Hudson contribué par leur célébrité à parler du sida -, tant d’anonymes riches ou pauvres, homosexuels ou hétérosexuels ont péri en plus de 30 ans. Et pourtant, aujourd’hui encore, quand on évoque le sida, on oscille entre indifférence pour ceux qui n’ont pas connu les années terribles du sida qui tuait 100% de ses victimes (ou presque) ou croient ne pouvoir jamais être concernés par cette maladie, et tabou et exclusion, marginalisation, malgré tout… Faut-il encore rappeler que le SIDA tue toujours, se diffuse partout dans le monde et même en France. Surtout là où on ne veut pas voir…

Rares sont les fictions qui évoquent le sida comme thème unique. Les soldats de l’espérance est ce que l’on pourrait appeler un film témoignage. Cruellement réaliste et très informatif sur l’histoire du VIH…

The party is over

(personnage interprété par richard gere)

*** Les Soldats de l’Espérance And the Band Played On 1993 –

Etats-unis – Drame – 2h21

Réalisation : Roger Spottiswoode

Avec Matthew Modine (le docteur Don Francis), Alan Alda (le docteur Robert Gallo), Patrick Bauchau (le docteur Luc Montagnier), Nathalie Baye (le docteur Françoise Barre), Christian Clemenson (le docteur Dale Lawrence) Sortie France: 23 Novembre 1994

Quelques passages clés :

« Il n’y a personne qui s’intéresse à ce qui tue les gays sauf les autres gays et ceux qui veulent les voir morts »…. A propos de la recherche des causes du virus, partant de ce constat, un chercheur d’un petit groupe américain qui travaillera sur le patient zéro : « Il n’y a aucun argent pour la recherche donc il faudra travailler sans subside, il n’y aura aucune protection pour les personnels ça sera à vos risques et périls » …

Et pourtant, le courage d’une poignée de personnes a permis de comprendre le sida… Comme quoi parfois, il faut surtout une volonté plus forte que la volonté politique ou sociétale… Juste le courage de regarder la réalité en face au lieu de faire l’autruche et de la connaître pour mieux l’affronter…

En France au même moment au début l’épidémie, un responsable de l’hôpital Arnaud Bernard s’adresse au professeur Rosenbaum qui s’intéresse au sida (témoignage dans La Bataille du sida) et est probablement le premier en France à en avoir entendu parler et à essayer de soigner les malades :

« C’est très embarrassant pour moi, nous sommes tous les deux des hommes de coeur. On dit de nous « cet hôpital où vont ces gens là ». Bon nombre de nos patients normaux refusent de venir ici (dans l’hôpital Arnaud Bernard), ils ont peur. Cela peut mettre notre hôpital dans une situation extrêmement inconfortable, vous comprenez ce que je dis? Puis-je considérer que c’est la fin de cette affaire? (demande le directeur de l’hôpital).

-Non c’est la fin de cette discussion. La fin de cette affaire c’est que je vais chercher un autre hôpital. »

Pour convaincre enfin un politicien de s’intéresser au sida :

« en ce qui concerne la prochaine élection, nous survivrons mais nous sommes dans le coma. Le seul groupe sur le vote duquel vous pouvez compter en bloc et avec lequel vous pouvez gagner ce sont les gays et San Francisco est la seule ville au monde où vous pourrez gagner, car c’est une question de vie ou de mort pour eux, sinon, sans eux, vous deviendrez l’ex parrain de San Francisco :

– Qu’est-ce qu’ils veulent?

– Une incapacité pour ceux qui en sont atteints… et des fonds, des fonds, des fonds pour la recherche, c’est crucial

– J’introduirais la motion mais même si tous les gens s’amenaient pour danser le cancan jamais ils n’obtiendront de l’argent de cette administration pour tout ce qui concerne les homosexuels »

En réponse, le pouvoir central d’un pays gouverné par Reagan décide : « Cette année, les fonds pour la recherche vont encore être nettement réduits« ..

Pourtant, les cas se comptent par milliers et le taux de mortalité est déjà terrifiant, mais ça ne concerne que les gays… et les haïtiens…

Voir le film Les soldats de l’espérance

A propos du Patient Zéro

A propos de Bobbi Campbell, 16ème cas à être diagnostiqué (en 1981) à San Francisco et qui fut le premier à prêter son image pour avertir de l’existence de cette maladie (mort en 1984) :

Ce que disait un reportage français à propos du sida aux USA en 1983:

Addenda 10 Mars 2020

Il fut un temps où un nouveau virus au fonctionnement terrifiant capable de détruire tout le système immunitaire aboutissait à quasiment 100% de morts chez ceux qui le contractaient… Cela a duré pendant presque une décennie…. A l’époque, on ne comptait pas les morts au jour le jour dans les médias, même si l’existence de ce virus semait angoisse et rejet, y compris chez les soignants qui pour certains refusaient de s’occuper même des malades, chez les sapeurs pompiers et les pompes funèbres qui refusaient la prise en charge… Tout se passait dans une relative indifférence, jusque chez les médecins.

Quelques rares mentions dans des revues médicales attiraient l’attention de curieux, puis des petits articles passant inaperçus dans la presse, tentaient d’informer, jusqu’à ce que le nombre de victimes ne cesse d’augmenter partout dans le monde et qu’une course des scientifiques débute pour comprendre comment fonctionnait ce virus et comment il se transmettait et se détectait. Mais cela ne concernait souvent qu’une partie minime de la population, les homosexuels en l’occurrence, ce qui valait au sida le surnom de « cancer » ou de « peste gay ».

L’approche était souvent bien plus morale et sociétale que médicale et objective. Chacun y allait de son jugement sur ces pestiférés modernes. Certains osaient prétendre que ce n’était pas « grave » vu que ça touchait des homosexuels. Bien que d’autres victimes soient dénombrées chez des Haïtiens (sans qu’on comprenne pourquoi?), les prostitués, les toxicomanes, cela restait une sorte de maladie sélective et les marges intéressent rarement la majorité… jusqu’à ce que des hémophiles, des patients ayant subi des opérations et des transfusions soient aussi contaminés et donnent au sida une forme de respectabilité…

Il fallut des années pour envisager et admettre que le sida touche aussi les hétérosexuels à la vie sexuelle « normale » disons normative, car dans la logique de l’époque, les homosexuels avaient des modes de vie et de sexualité « à risque » et cherchaient quelque part cette maladie, alors que les hétéros (surtout les blancs par opposition aux Africains où se propageait de façon inquiétante le sida) n’étaient pas censés être exposés, mis à part pour les prostitués. Mais là aussi, ce n’était pas bien grave, vu que c’était un peu les risque du métier, et le sida n’était jamais qu’une variation moderne et aggravée de la syphilis. Qui se soucierait du sort des prostitués?

Une oeuvre didactique pour mettre le sida sur le devant de la scène

Les Soldats de l’Espérance est l’un des premiers film à parler du sida ouvertement dans une démarche historique et quasi documentaire. Depuis, le téléfilm The Normal Heart inspiré de la pièce de Larry Kramer a apporté avec une approche militante un complément utile, tandis que la touchante série suédoise Snö, adaptée du roman de Jonas Gardell N’essuie jamais les larmes sans gant nous transporte avec brio dans la Suède du milieu des années 80 au coeur d’un groupe d’amis décimés par le virus. Philadelphia avait refusé le défi en préférant aborder le sida à travers le combat juridique contre la discrimination. Les soldats de l’espérance fait oeuvre de pédagogie.

Quelques années après la découverte d’Ebola, on y suit la traque de ce virus d’un nouveau genre, stupéfiant et déstabilisant dans son pouvoir de destruction. On comprend ce qu’est pour une équipe d’infectiologues et immunologistes la recherche du patient 0 qui permettrait d’identifier un « cluster » de contamination et de comprendre quels étaient les modes de transmission potentiels. On voit comment la guerre entre scientifiques et instituts renommés a donné lieu à des querelles de clochers pour déterminer les découvreurs du virus du sida et on se réjouit qu’aujourd’hui, des coopérations soient évidentes entre chercheurs du monde entier.

Comme dans Dallas Buyers club, on comprend comment les pouvoirs publics des divers pays, dont les Etats-Unis ont ignoré, minimisé le Sida, refusé de consacrer des fonds pour la recherche comme pour les soins et la recherche de médicaments, car cette maladie dérangeait, malgré les efforts de certains militants pour tirer la sonnette d’alarme et demander qu’on n’en soit pas à compter les morts, mais qu’on agisse pour aider les malades à espérer une survie grâce à des protocoles de soins…

C’était une période où les soignants ne touchaient parfois pas aux malades, par crainte d’être contaminés. Les sidéens crevaient de pneumocystose, de toxoplasmose, d’autres maladies altérant le système immunitaire et de syndromes de Kaposi, dans des conditions atroces et dans l’indifférence. Quelques rares médecins comme le professeur Rosenbaum (dans le reportage La bataille du Sida) témoignant des premières années d’exercice rappellent que dans les hôpitaux, les administrateurs poussaient à refuser l’accueil des patients séropositifs, car les autres malades ne voulaient pas côtoyer des sidéens…

C’était un temps où par manque de courage, des politiciens ont refusé de prendre des mesures drastiques sous prétexte qu’une maladie ne semblait pas concerner tout le monde… au risque de laisser des lots de sang contaminé, propager la maladie… Ces malades-là n’auraient pas « mérité » leur sort contrairement aux malades originels, mais ils restaient des dégâts collatéraux regrettables. D’ailleurs, des tribunaux ont refusé de condamner les donneurs d’ordres ou ceux qui n’ont pas agi pour prévenir et ont contribué à l’usage de sang contaminé pour faire des économies ou ne pas risquer de propager la panique. La vigilance et les mesures de précautions n’existaient pas si ce n’est par le refus de soins.

Les choses ont heureusement changé à propos du sida, c’est devenu un virus bien connu et dans une certaine mesure sous contrôle. Le sida reste toujours un virus un peu à part, compte de tenu de ses principaux modes de contamination. Il a tué plus de 40 millions de personnes ; moins que la grippe espagnole en son temps certes, ou les épisodes de pestes dans les temps plus anciens. De nombreux séropositifs vivent désormais presque normalement, avec une sorte de maladie chronique, comme le diabète par exemple, quand ils bénéficient des soins, ce qui n’est pas encore une évidence partout.

Quand on voit ce que génère comme psychose le covid19 dans le monde, je ne saurais dire si l’intérêt médiatique que suscite ce « nouveau virus » est une bonne chose, alors que le sida était au contraire presque nié par la grande majorité… Sous l’effet de la mondialisation, la crise sanitaire dans des pays comme l’Italie, pays le plus touché par ce coronavirus en Europe, et le krach boursier avéré et une crise économique en prévision, et les conséquences économiques inhérentes dans de nombreux secteurs déjà en péril, ou encore les intérêts et enjeux politiques (quelque parti que ce soit) reflètent bien plus que les simples considérations médicales.

A l’époque du Sida, des personnels dans les compagnies aériennes refusaient le départ ou l’embarquement si une personne marquée physiquement par le sceau de la maladie avec les stigmates de Kaposi par exemple, montait à bord. Au temps du covid19, les compagnies se mettent à l’arrêt, éliminent des liaisons, voire font faillite, du simple fait qu’une virus toucherait 120 000 personnes et aurait fait environ 5000 morts. Il fallut des années pour admettre une nouvelle maladie et prendre la mesure d’une guerre.

Durant les années Reagan, il fallut attendre 1985 pour que le mot Aids soit officiellement prononcé en public par le président des Etats-Unis, et en France, ce ne fut guère plus rapide. Pendant longtemps, des séropositifs ont été interdits de voyager et placés sur listes noires dans certains pays et privés de soins, y compris dans leurs pays. Aujourd’hui, des millions de personnes sont mises à l’isolement par précaution au risque de générer des tas d’autres dysfonctionnements et des peuples entiers sont exclus par certaines destinations sous prétexte qu’un millier de cas de coronavirus sont enregistrés dans quelques foyers d’un pays.

A l’heure du covid19, dans une version amplifiée par rapport à celles du H1N1 d’il y a 10 ans ou du sras, il ne faut que quelques semaines pour plonger le monde dans une crise aux enjeux multiples dépassant largement la sphère des malades. Bien sûr, le mode de transmission du sida faisait une grande différence par rapport au covid19. Les risques sont liés à la potentialité de contagiosité et au génie de ce virus. Mais même pendant les guerres, les économies continuaient, tout le monde travaillait au prix d’une réorganisation.

Là, des pans entiers ou des régions sont mis à l’arrêt. On découvre comment des problèmes conjoncturels et donc probablement ponctuels signalent une foule de problèmes structurels et des conséquences ambivalentes entre la chute du cours du pétrole et l’amélioration des taux de pollution liée à l’arrêt des activités dans une grande partie de la Chine… On s’éloigne bien du coronavirus pour mettre en lumière des guerres économiques et des enjeux politiques et géopolitiques.

A l’aune de cette nouvelle pandémie mondiale qu’est le covid-19, populairement appelé coronavirus, se révèle un système complexe de récessions et pourquoi pas de dépressions… Ici une incertitude médicale et une maladie considérée comme nouvelle, sans qu’elle le soit vraiment, mettent en branle bien plus que des hôpitaux et des malades, dont on se demande en Italie, si l’on n’en n’est pas déjà au terrible moment du choix et du « tri » sélectif entre les malades, par manque d’appareillages et de personnels soignants pour les sauver tous. Une poignée de spéculateurs boursiers s’en frottent sûrement les mains, se réjouissant presque des récessions prochaines et se nourrissant des incertitudes et de la fébrilité des marchés, à l’idée que l’hypothèse d’une pandémie, alimente la panique des gens par effet domino et permette de faire des profits, sans se soucier des impacts de la crise qu’ils généreront à plus long terme…

L’équilibre et le sens de la mesure restent toujours un art difficile, car l’humain, dominé par la peur de l’inconnu, semble plutôt partagé entre la tentation de cacher, de ne pas voir ni savoir, ou à l’opposé des réflexes individualistes dus à une panique quasi irrationnelle (jusque dans les rayons des supermarchés dévalisés) pour anticiper le risque et pour mieux supporter quelque chose qui ne le touchera peut-être même pas.

Sandrine Monllor (Fuchinran)

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