Torka aldrig tårar utan handskar ; « N’essuie jamais les larmes sans gants » est une série suédoise sur le sida, qui a battu dans son pays tous les records d’audience. Snö, la série dérivée du roman N’essuie jamais les larmes sans gants, de son nom international, raconte la chronique de l’émergence du sida dans le milieu homosexuel de Stockholm et le cortège de préjugés, l’intolérance et les histoires douloureuses qu’il a générés, bien au-delà de l’aspect purement médical.
Chronique poignante sur l’émergence du Sida dans le milieu gay suédois
Préambule. “Cette histoire est une histoire vraie. Elle est arrivée ici, dans cette ville (Stockholm). C’était comme une guerre, menée en temps de paix. Alors que la plupart des gens vivaient comme avant, de jeunes hommes tombaient malades. Ils maigrissaient. Faiblissaient. Puis mouraient”.
Snö est un bijou, une petite merveille dont on regrette qu’elle se condense en trois épisodes de 55 minutes, bien que l’essentiel y soit magnifiquement évoqué. L’amour. La maladie. La mort. Traduite par le titre « Snö » qui signifie neige, le mini série suédoise en trois épisodes Torka aldrig tårar utan handskar ; « N’essuie jamais les larmes sans gants » est tirée du roman éponyme de Jonas Gardell que je suis impatiente de lire, même si j’imagine une grande fidélité, dans la mesure où Jonas Gardell est le scénariste également. Snö transforme une histoire bouleversante en optimiste hymne à la vie…
Ces histoires, puisqu’il n’y a pas que l’histoire de Rasmus, dépeignent la chronique du sida au début des années 80 en Suède et constituent un poignant et un beau témoignage, tout en simplicité, sans jamais tomber dans la leçon morale ou se transformer en combat contre l’intolérance ou en démarche idéologique. L’oeuvre de mémoire, infiniment poétique, alterne entre gravité et légèreté, insouciance, émoi, amour, morbidité et consolation. Le sida, venu comme un raz-de-marée qui submerge et ravage tout ce qu’il touche, confronte au rapport aux corps, devenus dépouilles et au deuil, qui marque de son sceau indélébile et oblige à ce processus d’acceptation d’être survivant. Raconter devient un devoir pour transmettre cette partie de l’histoire des homosexuels en Suède et ailleurs.
Très réussie, sur le fond et la forme, malgré quelques maladresses vite oubliées par le spectateur, la série Snö n’a pas pour mission de revendiquer. Elle raconte. Elle transmet une époque comme « une manière d’honorer, de pleurer, de se souvenir. Une manière de mener la lutte de la mémoire contre l’oubli ». La relative crudité sur les modes de vie et des lieux fréquentés par le « milieu » homosexuel suédois à Stockholm et la violence du traitement réservé aux malades, contrastent avec la pudeur des sentiments et l’intimité des états d’âme, la douleur et la colère, traduits avec délicatesse.
Il s’agit bien d’une histoire d’amitiés, d’histoires d’amour, d’immersions en soi-même pour comprendre ce qui rend vivant et comment ce sida, si dégoûtant et générateur de comportements ignobles, n’est pas parvenu à emporter les souvenirs. Le personnage principal comme dans le roman est en fait le sida, survenu à l’improviste et aussi insidieux qu’intraîtablable.
Le devoir de témoigner pour convertir la colère en mémoire
« Si tu veux essuyer des larmes, tu dois porter des gants. – Je sais, mais il était triste… – Tu connais les règles : à chaque fois que tu rends visite à un patient, que tu ajustes les draps ou que tu demandes s’il a soif, la procédure c’est “désinfection, gants, masque et manteau vert”. Aucune exception. Maintenant, tu le sais. »
Une infirmière
En découvrant presque par hasard la série Snö, originellement appelée « N’essuie jamais les larmes sans gants », je n’ignore pas ce que fut cette période d’émergence du Sida partout dans les pays occidentaux. Une maladie inconnue frappant initialement de plus en plus de personnes dans la communauté homosexuelle et répertoriée dans le monde entier, principalement dans ces milieux avant que les minorités marginales des toxicomanes et des prostituées allongent la liste. J’ai apprécié et ne peux que vous recommander le film Buddies 1985, premier drame sur le sida réalisé dans l’urgence en temps réel, quand le sida n’était pas encore reconnu et qu’il n’existait même pas de test pour savoir qu’on est malade. Ce premier film a le mérite d’être tourné, scénarisé et joué par des acteurs issus de la communauté gay et a pour vocation de faire reconnaître le SIDA aux Etats-Unis, à une époque où les pouvoirs publics sont sourds aux appels des concernés.
La mini série N’essuie jamais les larmes sans gants se fonde sur un livre richement documenté sur le sujet du sida en Suède. Elle évite le piège du plaidoyer victimaire. En quelques scènes âpres et frappantes dont la première, Snö identifie tout ce que la problématique du sida a soulevée en raison de l’identité des premières victimes, des modes de contamination toujours ignorés et des peurs irrationnelles inhérentes et surtout de la complexité que les homosexuels avaient tout simplement à assumer leurs désirs, alors qu’ils semblaient à peine commencer à se libérer grâce à la relative modernité d’une ville comme Stockholm, où l’on supposait en Suède, que tous les homosexuels du pays s’y retrouvaient.
Dans cette société si soucieuse d’entretenir depuis des décennies une « social démocratie » qui met le bien-être des individus au centre de ses préoccupations, du moins selon les paroles des politiciens, on découvre comment la Suède a affronté l’épidémie de SIDA. Le pays et sa société sont approchés à travers la dichotomie entre la « capitale » moderne de Stockholm censée être ouverte à toutes les expériences, et la campagne assez traditionaliste et excluante. Aucune n’a pas échappé aux comportements de rejet et de mépris ; mais l’une et l’autre se transforment en miroir.
Au début des années 80, quand des articles passés presque inaperçus pointent une « peste ou un cancer gay », on croit que le Sida est la première maladie capable de faire de la discrimination et à choisir la nature de ses victimes. Quand ces articles sont de plus en plus nombreux, font les gros titres et jugent les malades au lieu d’informer, on franchit un cap. Nombre de croyants, de toutes confessions, sont convaincus et parlent même de châtiment divin mérité par tous ces suppôts de Satan que la fornication a éloignés du droit chemin.
Les soldats de l’espérance, film chorale à vocation pédagogique, Un Compagnon de longue date et The Normal Heart ont déjà fait oeuvre de témoignages quasi documentaires sur l’historique des premières années Sida, (et dans une moindre mesure The Dallas Buyers club, sous un angle plus méconnu des recherches de traitements alternatifs ou Les Témoins ou 120 Battements par minute, si l’on retient des films français).
La lenteur du rythme et la trame relativement réduite ne sont pas des défauts nuisant à l’intérêt dramaturgique, mais au contraire, ils deviennent le gage d’une immersion au coeur de ces instants de l’enfance, ces souvenirs, apparaissant par des incessants allers et retours entre présent et passé, pour se remémorer d’où l’on vient et quel parcours on a accompli pour comprendre sa vie.
Les personnages vont à l’essentiel : ils ont pris le parti de la vie et d’en être acteurs plutôt que de la penser, l’imaginer ou de l’analyser. Ils assument leurs choix. En dépit de la mort annoncée de beaucoup des personnages et de la dégradation à laquelle le sida confronte le spectateur, elle se veut résolument positive et souvent même heureuse ; l’idée de vivre sa seule vie en étant soi-même l’emporte sur les erreurs, la peur de mourir et d’éventuels regrets. J’espère que mes mots aiguiseront votre curiosité pour voir la série et / ou lire le roman.
Dans Snö comme dans les oeuvres précitées, on se souvient comment les sidéens, condamnés à brève échéance, durant les premières années, étaient considérés comme des déchets toxiques qu’on ne touche pas sans mille et une précautions et qu’on emballe dans des sacs poubelles pour mieux éliminer ces nuisibles. Le Sida agit comme une déflagration. Puissante. Immédiate et aussi lancinante, bien longtemps après l’annonce de la maladie et la perte des êtres aimés.
Plus que la mort elle-même, on redoute la manière dont on sera traité, même après sa mort. L’évacuation des corps comme de vulgaires ordures, la volonté des familles, incapables d’accepter déjà l’homosexualité de leurs proches, de cacher absolument la nature de la maladie, devenue doublement honteuse. On ne saura pas grand chose de l’attitude des pompes funèbres suédoises, alors qu’on n’ignore pas que dans de nombreux pays, celles-ci refusaient de prendre en charge et inhumer les malades (et dans certains, ce refus n’a pris fin que depuis quelques années). La poignée de scènes relatant cet état de fait met en exergue l’hypocrisie de la société suédoise à l’image idéale bienveillante, prétendument soucieuse du vivre ensemble et de tolérance, mais dont le premier objectif est de cacher le plus possible les réalités caractéristiques du sida.
Alors que la mise en place des tests anonymes semble presque bien huilée, avec rendez-vous rapide avec un psychothérapeute, avant même de voir un médecin, la première scène de Snö identifie toute la complexité du traitement des patients, encore voués à la mort et dont les personnels soignants sont partagés entre leur propre peur d’être autant au contact des corps malades et le besoin de compassion que méritent les victimes. Là où l’hôpital, totalement aseptisé, avec ses chambres d’isolement, son personnel équipé de combinaisons, de gants de latex et de masques pour se prémunir du virus, et ses procédures codifiées de soin et de désinfection, gomme jusqu’à l’humanité du patient, la mort et les enterrements viennent signifier à quel point les compagnons, les amoureux, les amants, ne sont personne.
Sans mot dire, sans pouvoir réaliser les dernières volontés des êtres aimés, tous sont condamnés à disparaître devant les familles, qui ne souhaitent pas qu’on puisse associer leur nom à l’homosexualité de leurs enfants, et donc au sida. Le plus dur n’est donc pas la séparation d’avec l’être aimé, c’est la survie en tant que compagnon dont on interdit jusqu’à la présence lors des funérailles, et l’existence en tant qu’être humain légitime et accablé par la peine.
Je ne peux m’empêcher de faire une digression. Par ces temps-ci où le coronavirus gagne de plus en plus de pays comme un quelconque virus grippal en définitive et génère des mises en quarantaine, on parlait d’épidémie, dès les premières centaines de cas déclarés et les premiers morts. Alors que le sujet est à la mode dans les médias avant qu’une nouvelle actuelle plus trépidante et anxiogène ne vienne le faire oublier, je songeais à ce qu’avait pu être l’épidémie du Sida avec laquelle j’ai l’impression d’avoir grandi. La discrimination à l’égard des sidéens et séropositifs fait écho à ces comportements toujours actuels et à ce que de nombreux asiatiques ressentent actuellement comme un « rejet » voire même si le terme est impropre mais c’est le leur, un « racisme » anti asiatique, du simple fait que le coronavirus est né en Chine et a commencé par toucher des chinois. Certains ont peur à l’idée de croiser la route d’un asiatique et plus encore quand il ne se déplace pas masqué.
Tous les jours, on nous parle du nombre de nouveaux cas déclarés, du nombre de décès, des nouveaux mis en quarantaine en Chine ou ailleurs et des rapatriés qui font même l’objet d’un rejet dans certains pays comme l’Ukraine, où la population s’est opposée au débarquement de passagers chinois! Les frontières se ferment pour tenter de circonscrire illusoirement le virus en Chine, un peu comme la France croyait que le fameux nuage de Tchernobyl s’arrêterait aux frontières. Les passagers chinois sont exclus de nombreuses destinations ou de certains vols. Les batailles d’images entre les autorités politiques, les alertes par précaution des services sanitaires mondiaux concurrencent les hypothèses des menaces sur les bourses et le ralentissement de l’économie mondiale, dans laquelle la Chine pèse à elle seule pour 16% de l’activité. C’est cela donc être un nouveau virus à l’ère de la mondialisation
Le Conoravirus 2019-nCoV attire l’attention et génère la collaboration de la plupart des épidémiologistes dans le monde, on ne peut que s’en réjouir. Mais je ne suis même pas sûre qu’il faille se satisfaire de l’approche médiatique contemporaine et de sa chaîne de réactions comme la tentation du confinement, la quarantaine et la fermeture de lieux publics en Italie, alors que pendant si longtemps, un virus comme le Sida ne suscitait au mieux qu’indifférence, et on pouvait à juste titre se plaindre d’une absence de prise en compte et de considération des services et autorités publiques de tous les pays. On est passé de micro articles dans la presse sur une étrange maladie touchant seulement les homosexuels, à une forme de peur et de rejet généralisé et irrationnel, au fur et à mesure que grandissait le nombre de victimes et que celles-ci n’étaient plus seulement homosexuelle.
A l’époque entre 1980 et 1990, le sida faisait peur viscéralement, y compris chez certains soignants pour lesquels les protocoles de sécurité étaient très contraignants. A condition encore qu’ils acceptent de soigner les malades, de prendre en charge leurs corps et de les toucher! On est passé d’une phase d’ignorance totale, assez longue, à une forme de paranoïa dépassant largement les risques de contamination. Aujourd’hui, le simple fait de croiser une personne asiatique, immédiatement assimilée à un chinois, inspire la panique chez des gens, qui appellent les urgences ou des services pour dénoncer telle personne croisée dans la rue et toussotant ou telle autre dont les gouttes de transpiration laissent augurer d’une fièvre comme si elle pouvait être porteuse de ce coronavirus, censé pourtant se transmettre par l’exposition à les postillons échangés à moins de deux mètres.
Snö avait tout pour faire écho à ce que je peux aimer dans les rares films, séries et romans traitant du sida, qui parviennent à me toucher intensément. Pour en avoir visionné beaucoup et lu un certain nombre, je trouve souvent que les films ou téléfilms sont manichéens, qu’ils manquent de courage ou d’audace. Même les premiers téléfilms salutaires sur le sujet (La vraie histoire de Ryan White, Ben n’aura jamais 10 ans, La dernière chance d’Annie…) à une époque où la maladie était considérée comme la « peste des pédés » ont choisi l’approche des enfants hémophiles pour donner une certaine respectabilité au Sida.
Il fallut attendre 1991 pour que le téléfilm Fatal Love, inspiré de la vie d’Alison Gertz, décédée quelques mois après sa diffusion, vienne apporter le témoignage d’une jeune femme qui croyait avoir la vie devant elle, avant de découvrir qu’elle avait contracté le virus lors d’une aventure d’un soir. De ce temps là, même au milieu des années 80 et début 90, il semblait encore si improbable qu’une jeune femme blanche, hétérosexuelle à la vie sexuelle finalement banale et issue de bonne famille, contracte le sida, que l’errance pour trouver ce dont elle souffrait l’avait fait passer par une panoplie d’examen. Jusqu’à ce que le couperet tombe : elle était malade du sida. Ce téléfilm avait pour vocation de relayer le combat pour l’information mené par Alison Gertz auprès des jeunes, afin d’attirer l’attention sur le fait que tout le monde pouvait être confronté au virus. En un sens, il y a plutôt réussi, en démocratisant la maladie.
Je revoyais récemment An Early Frost, Un printemps de glace, le premier téléfilm américain traitant du sida en 1985, très policé et pensé comme une sorte de campagne d’information intégrant la problématique de l’homosexualité, afin d’essayer de lutter (sans grand effet) contre les préjugés que la maladie portait en elle en raison de sa cible originelle et de ses modes de transmissions initiaux. Cette image moins stigmatisante de la maladie, qui pour beaucoup à l’époque concernait des homosexuels méritant leur sort à cause d’une vie dépravée, passait par une disparition totale de toutes ces marques faisant d’un sidéen une cible facile à reconnaître.
Un cheminement vers l’acceptation de soi…
Dans Snö, j’y ai retrouvé tout ce que ces téléfilms vus dans ma jeunesse n’avaient jamais su me transmettre et n’avaient peut-être pas vraiment abordé, malgré leur bonne volonté. Si la mort semble hanter la série, c’est pour mieux mettre en lumière la vie. J’ai ressenti cette émotion troublante que m’avait procurée le film Philomena, où l’on retrouve une problématique partagée autour de la religion. Bien mieux que dans The Normal Heart ou Un compagnon de Longue date, je suis entrée en empathie et j’ai partagé un peu de la vie de ces jeunes, qui s’étaient trouvés et dont l’amitié et la soif d’amour les liait davantage que n’importe quelle famille par le sang. J’ai saisi l' »immonde besoin de tendresse » que le jeune homosexuel éprouve malgré lui.
Savoir que l’on est un homme aimant les hommes est une chose, y compris quand cette certitude est très ancienne et qu’on subit les invariables « sales pédés » « répugnant » « anormal » « dépravé », du simple fait d’exister. Rasmus, comme tant d’autres, de tous âges, semble séquestré en lui-même et sans issue de secours, jusqu’à ce que la ville et ses futures études ouvrent la perspective d’une vie nouvelle et exposent au vertige de tous les possibles.
Mais c’est une autre chose que d’être libre et de jouir de cette liberté pour se confronter à ce désir pathétique, purement physique, qui pousse se perdre, se vider, se soulager, avec n’importe quel homme croisé dans les quelques rares lieux fréquentés par d’autres homosexuels (parcs, toilettes de la gare centrale, bars clandestins, associations), pour assouvir ses besoins. L’amour, ce n’est pas que ce rêve de pouvoir aimer librement une personne qui nous aimerait en retour et pour laquelle on existe. La liberté a un prix parfois amer. Rasmus, comme Benjamin, Reine, Bergt, Seppo ou Lars sont sa proie. Inexorablement.
Loin de cette campagne rustre et de l’étouffant nid familial que quitte Rasmus en étant animé d’un flot d’espérances, dans cette grande ville moderne qui capte comme un aimant les amants et aventuriers d’une heure ou d’un soir, chacun se révèle dans sa vérité, avec sa personnalité, sa simplicité, son authenticité et sa trajectoire de vie – le talent des acteurs amplifiant la réussite du projet. Chacun a sa juste place et est développé avec une exigence et une justesse évidente. Sans pathos. Alors que d’ordinaire j’aime rarement ce type de réalisation si ce n’est dans The Assassination of Gianni Versace, j’ai apprécié la construction sous forme de successions de flashbacks, les messages à double entrée, les atmosphères et la reconstitution soignée de ces années 80.
J’ai aimé Paul, personnage exquis, libre et irrévérencieux, vraiment jubilatoire, qui est probablement celui qui m’a embarquée le plus dans l’histoire. J’ai aimé la pureté de l’amour et le dévouement de Benjamin, toujours en quête d’absolu, qui donne un sens à ces préceptes religieux que ses parents lui avaient inculqués, au point de préférer ignorer qu’ils ont un fils que d’accepter qu’il quitte la congrégation et qu’il soit homosexuel. J’ai aimé ce sentiment de différence que porte en lui depuis toujours Rasmus et ce conflit entre l’enfant parfait qu’il rêvait d’être pour ses parents et le jeune adulte qui a osé vivre, sans imaginer que le fait d’assumer sa sexualité lui coûterait sa vie…
J’ai aimé les rêves brisés et la lâcheté de Bergt, la discrétion de Reine, Lars-Åke et Seppo ; qui constituent ce cercle d’amis soudés par le même désir de vivre et d’être eux-mêmes. Insidieux, le Sida rappelle l’importance de rester solidaires pour se porter les uns les autres au propre comme au figuré, car sans cela, il n’y aurait que solitude, mise au ban, renoncement et mépris. Les silences donnent corps aux pensées. La solitude devient le miroir grossissant de l’absence.
Je m’efforce de me mettre à la place de ces parents à la fois si aimants et intolérants, pour qui le qu’en dira-t-on de la société, des voisins, de la famille des « frères » de la communauté religieuse, passe avant l’amour qu’ils ont pour leur enfant et pour ses choix et des volontés.
Ici, le sida devient le fil conducteur d’une quête identitaire et d’une intimité, du besoin brimé de s’assumer dans ses désirs charnels et dans son droit d’aimer qui l’on veut au risque d’être doublement rejeté. Snö n’est jamais uniquement une vision de la maladie décryptée avec des détails précis et abordée avec pudeur, depuis son apparition jusqu’à son issue mortelle, qui serait le prétexte au traitement de la déchéance corporelle. L’usage de l’ellipse évacue ce qui est le plus heurtant dans la décrépitude …
Rasmus, ce jeune homme beau, solaire et rêveur qui voulait simplement aimer devient cadavérique. Son corps encore plus décharné que celui d’un vieillard, se vide de son énergie à force de diarrhées incessantes et est défiguré par les plaies et les marques indélébiles de Kaposi. La victoire de la maladie sur les corps comme les esprits, s’incarne dans les souvenirs et les mots de Benjamin, enfin autorisé, bien longtemps après, à se recueillir sur la tombe de son cher Rasmus. J’ai aimé ce choix pudique finalement plus touchant que l’auraient été les images de dégradation et les scènes si dures de la fin de vie.
Snö, une série marquante et essentielle : l’une des meilleures séries sur le sida
Snö est de loin l’une des meilleures oeuvres que j’ai vues à propos du sida. Sans prétention, sans verbiage, sans émotion facile, N’essuie jamais les larmes sans les gants à voir en VOST, livre un récit intime qui oscille entre poésie et dureté et offre aux téléspectateurs trois magnifiques heures conjuguant une palette de sentiments variés et des éléments de réflexions sur le sens de la vie, quand celle-ci est ébranlée par la maladie. Elle s’avère redoutable d’efficacité, sincère et courageuse. Il y a la juste dose de mélodrame assumé pour embarquer dans ces destinées broyées dans la fleur de l’âge et cruelles.
Quand on parle de fiction sur le sida, le film si typiquement hollywoodien faisant office de référence est souvent Philadelphia, que je n’ai jamais aimé, même si j’admets avoir été un peu émue en le voyant. 120 battements par minute, beaucoup récompensé et vanté, m’a paru bavard et soporifique pendant plus de la moitié du film comme Plaire, aimer et courir vite, tandis que Test 1985 San Francisco et House of Boys étaient carrément inconsistants. Mais Snö, avec le recul nécessaire à l’appréciation de l’histoire du sida, réussit de façon sublime, là où The Normal Heart a pêché par excès, et par manque d’attention portée aux trop nombreux personnages et là où 120 battements par minute tombe selon moi dans le piège de l’idéalisme moral, sous couvert de raconter un peu de l’histoire du militantisme d’Act Up, n’incarne pas grand chose au final.
Malgré ses défauts surtout sur la première partie du film trop normative et un peu ennuyeuse, je vous recommande Holding the Man (disponible sur Netflix) qui fait vraiment écho à l’histoire de Snö, transposée en Australie. En 2h, l’oeuvre, inspirée d’une histoire vraie et du livre d’un des héros, Timothy Conigrave, condensent une histoire d’amour au temps du sida, de manière sensible. Très intéressant pour comprendre la question de l’acceptation.
Découvrez la série suédoise Snö : « N’essuie jamais les larmes sans gants » en DVD
A voir en vidéo à la demande sur Vimeo en vostfr et actuellement sur Canal Plus.
A ne pas manquer le livre inspirateur de la série : N’essuie jamais les larmes sans gants de Jonas Gardell
A voir également dans la même veine avec le choix queer de jouer faire incarner les rôles par des gays et lesbiennes It’s a sin, une série dramatique en 5 épisodes voulue comme un hommage aux « hommes perdus ». Elle est signée par Russell T. Davies, le scénariste et producteur de Queer As Folk, qui raconte l’apparition du sida dans le milieu gay britannique au début des années 80.