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Heureux le voyageur ; la poésie ciselée de Derek Walcott (Littérature antillaise)

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C’est toujours une grande frustration de lire de la poésie traduite et de ne pas pouvoir goûter à la source des vers ciselés par le poète surtout, comme c’est le cas avec cette édition, quand la version originale figure en regard de la version traduite. Mais, même si on perd la musique, le rythme et la saveur des mots assemblés en une magique potion, il reste tout l’engagement du poète et la force des images et des évocations.

Derek Walcott, Prix Nobel de littérature, né à Sainte Lucie, petite île des Caraïbes, raconte l’exil, le voyage forcé, la fuite à laquelle il faut bien se résoudre.

« ….

bidonville ; arrogance, censure et corruption

font paraître l’exil un parti plus heureux que la patrie. »

Et, l’exilé pourra découvrir l’Amérique du Nord au Sud et du Sud au Nord, voyager vers la vieille Europe ou de sombres fantômes errent encore, ceux de la pire horreur de l’histoire et ceux qui ont violé la terre des ancêtres. Et, il faudra bien revenir vers ces îles exubérantes dont les desperados, dictateurs en paillettes mais tellement réels et si cruels et les poètes, messies de la paix et au moins témoins des débordements, ont peuplé les toiles hollywoodiennes.

Ainsi, le poète chante les pays qu’il visite, ne s’éloignant jamais de l’élément liquide qui fut son berceau, mettant des mots où les autres mettent des images et dressant une galerie de portraits où l’on croise aussi bien Seferis que James Coburn, Borges que Jean Rhys sa voisine des Caraïbes.

Mais le poète a une mission, il doit dénoncer et Walcott dénonce :*

« Maître, chaque idée se méfie aujourd’hui

de son ombre. Un vieil ami chuchote chez lui

comme si elle pouvait le jeter en prison ;

les marchés n’acclament plus, selon leur habitude,

nos milices bottées, camouflées, qui en trombe

passaient sur des camions, les grenades sapotes

poussant à leur ceinture ; des idées en arme

divisent les îles ; sur les places obscures

les poèmes se rassemblent en conspirateurs. »

C’est un poète engagé qui lutte pour la liberté, la démocratie, la justice, les droits de l’homme, toutes valeurs qui n’étaient encore bien souvent que des mots dans ce semis d’îles quand il a écrit ses vers encore blessé par le racisme qu’il a dû supporter.

« Les doigts de la caissière évitent encore ma main

comme si elle allait roussir la sienne – eh oui, je suis un singe,

l’un de cette tribu de délirants ou mélancoliques primates

qui ont forgé votre musique depuis plus de lunes

que dans le tiroir de la caisse toutes les pièces d’argent. »

Malgré, cette blessure, un peu d’aigreur et une certaine forme de découragement, le poète espère avoir lutté, surtout pour la cause des miséreux, de plus en plus nombreux, qui meurent de faim, et témoigné mais, humblement, il demande le pardon pour ce qu’il n’aurait pas fait

«  Puisse la dernière lueur du ciel avoir pitié de nous

pour le tenace mensonge si flagrant que nous n’avons pas dénoncé. »

« … Je suis las des mots,

et la littérature et un vieux divan bourré de puces,

las de la culture dont on bourre les peaux de l’empailleur. »

Denis Billamboz

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