Où l’on aurait pu découvrir, entre deux endives cuites (et dégoûtantes), l’origine de la passion de l’auteur pour les îles isolées, en général, et pour l’île Bouvet, en particulier. Au commencement était l’île Bouvet… Une découverte des volcans du monde sur une terre hostile et méconnue…
Selon Wikipedia : L’île Bouvet, (en norvégien Bouvetøya) est une « île volcanique[1] inhabitée de l’Atlantique sud, située au sud – sud-ouest du cap de Bonne-Espérance. Nommée d’après son découvreur français Bouvet de Lozier, elle est possession norvégienne depuis 1927. »
Au siècle passé, devant des endives cuites, Damien, huit ans, abandonne sa fourchette et clame :
– J’aime pas les endives cuites et quand je serais grand, je vais aller à l’île Bouvet ! (sic)
Encore un de ces caprices d’îles, tous les coups lui viennent à l’esprit pour ne pas manger ses endives cuites, fulmine en silence ma mère, en levant un regard « résigno-exaspéré » vers la lumière du plafond.
– Oui, c’est ça. En attendant, mange tes endives.
Mon appétit pour l’île Bouvet m’est un peu passé avec le temps, me fait remarquer mon bon sens. C’est vrai, même si Tintin, dans « l’Etoile mystérieuse » m’a fait envie. Comme lui, j’avais envie de déraper sur le pont glacé d’un navire de scientifiques et de découvrir, à moi tout seul, une vraie terra incognita.
Plus tard, les romanciers se sont chargés de me donner des munitions pour assouvir – un jour, demain, plus tard, mais un jour quand même – ma passion des îles. Jules Verne, Stevenson, Jack London, Defoe, et tant d’autres écrivains hommes et talentueux, ont imprégné par leurs mots le cerveau spongieux de celui qui écrit aujourd’hui. Curieusement, il n’y a pas eu, à ma connaissance, beaucoup d’écrivaines qui ont écrit sur les îles.
Plus tard, j’ai consulté les encyclopédies, étudié la question de l’île Bouvet et constaté l’évidence.
Je n’irai jamais sur l’île Bouvet.
L’île est totalement inaccessible, totalement inhabitée, totalement pelée, totalement norvégienne, archi-glaciale et venteuse et brouillardeuse et misérablement moche, et totalement proche du continent Antarctique. Seule une minuscule station météorologique automatique passionne quelques climatologues et une poignée de glaciologues. Bon, il y a aussi des phoques et des morses, des manchots et des pingouins, des albatros et des pétrels, mais c’est la routine dans ces parages venteux et isolés. Il n’y a pas de port, pas d’endroit où débarquer. Et je n’ai pas d’hélicoptères. And my name is not Tintin. Je ne travaille pas pour Thalassa. Faut pas rêver.
C’est l’île la plus inaccessible du globe.
Dieu du ciel, pourquoi ce gamin que j’ai enfanté veut-il toujours aller au diable ?, se lamentait ma mère.
Faute de réponse rationnelle, elle eut le malheur de m’offrir un petit atlas de poche. On y voyait des confettis dans les océans. Ces minuscules bouts de terre étaient soulignés de jaune (possessions anglaises), de rose (possessions françaises) de rouge (possessions américaines). La passion s’empara de moi. Plus c’était perdu, plus je voulais y aller, plus je cassais les pieds à mon entourage, parfaitement indifférent de savoir que Pitcairn se situait à l’ouest de l’île de Pâques.
Et figurez-vous qu’à ce jour, je ne sais toujours pas pourquoi je suis en amour avec les îles isolées.
Tout ce que je sais, c’est que je le suis, avec ou sans l’île Bouvet. Avec des hauts et des bas, il est vrai.
Et j’ai toujours horreur des endives cuites.